Détricotons les mensonges ambiants : 1 - L’instruction
A l'avènement de la presse libre, sous la Révolution française, il devint possible, au nom de la liberté, d'écrire n'importe quoi, et beaucoup en ont profité pour se mettre à écrire des mensonges de plus en plus éhontés, s'apercevant avec l'expérience que, plus le mensonge était gros (1), plus il était facile de le faire passer.
C'était d'ailleurs dans ce but qu'ils avaient d'abord milité pour obtenir ce droit, "faisant de la liberté un voile sur leur malice", comme le dit saint Paul. Cet étonnant paradoxe, ils ont aujourd'hui de nombreuses preuves de sa pertinence, si bien qu'ils se privent de moins en moins de l'utiliser, leur plus belle réalisation étant sans aucun doute l'incomparable "Naillenilèveune", mais qui n’est pas notre sujet du jour.
Nous nous proposons donc de dérouler, à travers une chronique "Détricotons les mensonges ambiants", les plus beaux et les plus célèbres de ces mensonges, si beaux et si célèbres pour beaucoup d'entre eux, que la plupart de nos contemporains, qui n'ont pas le temps ou le goût d'étudier un tant soit peu l'Histoire, se sentent obligés de rester persuadés que ce qui vient des canaux officiels ne peut qu'être l'expression de la vérité : Nous risquons ainsi parfois de leur faire de la peine, et nous nous en excusons par avance, mais la vérité n'est pas faite pour rester sous le boisseau...
Aujourd'hui, premier mensonge : L'instruction.
1 - De Charlemagne à Gerbert d'Aurillac
Dans le monde chrétien, l'instruction était, depuis Charlemagne, assurée pour tous par le clergé catholique, qui avait obligation de tenir gratuitement école dans chacune de ses paroisses : c'est ainsi que Gerbert, fils d'un misérable serf auvergnat vivant près d'Aurillac au Xe siècle, devint le pape de l'an mil sous le nom de Sylvestre II (999-1003), et le premier français à avoir jamais tenu la charge pontificale.
- Gerbert d’Aurillac
Gerbert fut tout simplement, comme Blaise Pascal après lui, un génie auvergnat : grand voyageur, mathématicien prodigieux, érudit polyglotte (il avait même appris l'arabe à Cordoue), théologien surdoué, précepteur de l'empereur Othon III, ami et protégé du roi Hugues Capet, précepteur de son fils, le futur roi Robert le Pieux, il fut aussi, dit-on, l'inventeur de la pendule.
Sans le système d'instruction gratuite et universelle de l'Eglise, ce génie n'eût sans doute jamais été révélé , et il aurait probablement passé sa vie à garder ses vaches ou ses moutons en taillant des flûtiaux sur le flanc de quelque beau volcan d'Auvergne...Peut-être serait-il, au mieux, devenu un poète populaire local, faiseur de chansons pour les soirées paysannes, dont il nous resterait aujourd'hui, qui sait, quelque belle complainte anonyme pour anthologie de la chanson française...
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2 - Soudain, la Révolution française
- La tour de Babel par Bruegel l’Ancien
La Franc-Maçonnerie, ennemi juré de l'Eglise catholique depuis sa fondation, a pour sa part jugé plus utile de combattre par la calomnie (1) que par la contradiction théologique : De fait, sur ce plan, les francs-maçons, hommes d'action rusés rendus redoutables par leur mépris de tout scrupule, marchands avisés, habiles faiseurs d'intrigues, stratèges impitoyables, se débattaient par contre, sur le plan théologique, avec l'adresse d'un chien dans un jeu de quilles : C'est pourquoi ils savaient ne pouvoir emporter aucun combat sur ce terrain, leurs "théoriciens" étant aux vrais théologiens à peu près ce que la science musicale d'un Mick Jagger est à celle d'un William Byrd...
C'est, du reste, ce qui leur posa problème quand ils ravirent à l'Eglise catholique la souveraineté sur la nation française, c'est à dire lorsqu'ils parvinrent à faire triompher leur "Révolution" qui, quoique dite "française", se trouve être en réalité une oeuvre londonienne, mais nous en reparlerons sans doute dans un autre chapitre...
- Le Collège de Juilly en 1824
Les réseaux d'instruction de l’Eglise étaient denses et nombreux : Outre les congrégations de frères ou de soeurs dévouées à cette seule cause, l'instruction et l'éducation de la jeunesse constituaient de fait la principale occupation des diocèses et des presbytères, rivant fermement, avec de solides connaissances littéraires, rhétoriques, musicales et scientifiques, la foi et la morale fraternelle élémentaire au coeur du peuple de France, selon un enseignement que seules des séductions de bateleurs pouvaient tenter de contredire : Mais le bateleur de foire, si efficace soit-il, ne l'emporte jamais que sur les ignorants.
Dès la Révolution, les fils de Voltaire entreprirent donc de détruire le plus possible ces réseaux, car ils savaient que, pour soumettre sans faille le peuple des campagnes, il était nécessaire que celui-ci devînt ignorant, la connaissance devant rester l'apanage de la bourgeoisie des villes, où elle pouvait demeurer fermement orientée sous l’étroite surveillance des loges.
Ainsi, au XIXe siècle, la F.M. se fixa pour tâche de faire reculer l'enseignement (2) en s'efforçant d'entraver l'expansion des ordres religieux, qui furent brimés, dépouillés et spoliés (3) autant que possible, afin d'empêcher qu'un enseignement religieux gratuit, hypothéquant le succès de la propagation des idées "socialistes", ne puisse se développer à nouveau comme il l'avait fait sous l'Ancien Régime.
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3 - La IIIe Répuplique
- Le Chemin de fer à Nantes
Puis vint la IIIe République : L'avènement du chemin de fer et du télégraphe avait considérablement facilité le contrôle global du territoire de la République , faisant du système administratif allant des cabinets ministériels jusqu'aux sous-préfectures un rouage efficace et parfaitement huilé, permettant de transmettre facilement et rapidement les ordres, et de s'assurer tout aussi facilement et tout aussi rapidement de leur bonne exécution.
Dans ces conditions nouvelles, la question de l'enseignement pouvait être reconsidérée : La mainmise efficace sur l'administration de toute la société permettait une fiscalité plus dense, donc plus rentable, à laquelle s'ajoutaient les recettes issues de la richesse apportée par la conquête de l'empire colonial : l'Etat disposait maintenant de ressources nouvelles et abondantes, qui allaient lui permettre d'entamer une destruction du réseau d'enseignement catholique non par une attaque frontale qu'il n'avait pas encore, en ce temps-là, les moyens de mener jusqu'au bout, mais par la création d'un réseau concurrent financé par l'impôt, et inspiré, cette fois, non plus par la morale théologique du clergé, mais par l'éthique philosophique des loges :
Maintenant que le petit peuple, en bonne partie déraciné par l'industrialisation et l'exode rural qui l'accompagna, n'avait plus de véritable ciment social l'inscrivant dans une tradition morale et théologique, il devenait possible, sur ce terreau désertique, de poser toutes sortes de pierres, fussent-elles d'iniquité : Car souvenez-vous que quand la fin justifie les moyens, il n'y a de place pour aucun scrupule (4).
On créa donc, sous l'impulsion du célèbre raciste (5) Jules Ferry, l'instruction publique laïque, gratuite et obligatoire, en s'efforçant de faire croire aux générations suivantes que l'on venait d'inventer ce principe d'instruction obligatoire et gratuite pour tous, prétendant délivrer ainsi le bon peuple de l'ignorance où l'aurait toujours volontairement entretenu l'Eglise (6), alors que l'on ne faisait que singer une loi mise en oeuvre plus de mille ans auparavant par cette même Eglise, et que venaient d'entraver pendant un siècle ceux-là même qui se targuaient maintenant sans vergogne d'en être les inventeurs :
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4 - Conclusion
Le voilà, ce joli mensonge, voyez comme il est beau. On y trouve le principe récurrent du mensonge maçonnique : Commettez sans crainte crimes et méfaits, et s'ils viennent à être publiés à la face du monde, rejetez-en la responsabilité sur vos adversaires, et vous ferez ainsi d'une pierre deux coups. Cette admirable mécanique fonctionne encore ; elle fonctionne même aujourd'hui mieux que jamais : voyez "Naillenilèveune" !
Mais le fait qu'elle fonctionne aujourd'hui mieux que jamais est précisément le signe qu'elle ne fonctionnera plus très longtemps : Un chant du cygne, en quelque sorte.
Finissons par une citation de Frédéric II de Prusse, "despote éclairé" initié à la F.M. par Voltaire : "Si j'avais une province à punir, je la ferais gouverner par des philosophes". Ce qui met en perspective le dilemme suivant : Frédéric fut-il plutôt un despote, ou plutôt un prophète ?
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Notes
(1) « Le mensonge n’est un vice que quand il fait mal. C’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai un jour. » Lettre de Voltaire à Thiriot, 21 octobre 1736.
(2) « Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manœuvres, et non des clercs tonsurés […]. Il est à propos que le peuple soit guidé et non qu'il soit instruit. Il n'est pas digne de l'être, il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants ». Lettre de Voltaire à La Chalotais, 28 Février 1763.
(3) « En 1790, il y avait peu de villages composés de soixante familles qui n'eussent pas leur instituteur, mais la loi du 18 août 1792, ayant supprimé les associations, expulsa tous les ordres religieux, même ceux qui, voués à l'enseignement public, avaient bien mérité de la patrie ».Revue d'Histoire de l'Eglise de France, annales de 1913.
(4) « Portez-vous bien, éclairez et méprisez le genre humain » Lettre de Voltaire à d'Alembert en 1757.
(5) « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures » (Jules Ferry, Assemblée Nationale, 28 juillet 1885)
(6) Cette idée pourtant si répandue est un parfait contresens : Dans les annales de 1780, on relève que « L'Eglise considère que l'instruction est utile à l'ordre public, l'ignorance entraînant l'oisiveté et le libertinage ». Cela constitue d'ailleurs le point de vue chrétien au moins depuis Charlemagne, qui considérait l'ignorance intellectuelle comme la source même de la barbarie, raison pour laquelle il rendit l'école obligatoire.
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