Dette 5000 ans d’histoire de David Graeber
Je viens de terminer la Dette 5000 ans d'histoire de David Graeber.
Commentaire & Considération
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En termes de style tout d'abord, comme à son habitude et c'est l'une des raisons du succès des penseurs anglo-saxons, cet ouvrage est tout à fait accessible. Nul besoin de dictionnaire pour triompher de chaque phrase et à peu près aucun requis en histoire, économie ou anthropologie n'est nécessaire pour aborder ce vaste passage en revue historique.
Graeber suit globalement dans son ouvrage la frise chronologique énumérant les moments où les crises de la dette ont été les plus fortes.
Première idée reçue abattue que les économistes aiment nous rabâcher : avant l'économie moderne, il n'y avait que le troc, or selon la majorité des anthropologues, rien n'est plus faux. En l’absence de monnaie, c'est un système de dette et de faveur qui se met en place. Il semble que ce système débouchait sur des compatibilités complexes qui ne faisaient pas peur aux premières civilisations.
Un passage assez oiseux passe également en revue le détournement opéré par les institutions religieuses pour soumettre les peuples avec une dette à l'égard du pouvoir divin.
La création de la monnaie n'apparait qu'au moment où des structures gouvernementales se mettent en place. Les États versaient ce solde nouvellement mis en place aux soldats (c'est de là que vient le mot d'ailleurs) afin d’en généraliser l’usage. Graeber pense donc que les périodes à fort usage de monnaie correspondent à des périodes de guerre.
Ce phénomène a apparemment été observé sous l'empire romain, le règne d’Alexandre le Grand et les premiers empires indien et chinois âge batisé axial.
A l'inverse, le Moyen-Âge, période plus calme, retrouve l'essor du système de faveur dans les couches populaires alors que les grands négociants n'auront de cesse de vouloir de la monnaie pour avoir du paiement comptant.
Point très intéressant : les institutions religieuses qui à cette époque récupèrent la plus grande partie des liquidités des périodes précédentes interdiront de manière plus ou moins directe l'usure. La religion musulmane (assez proche finalement de la religion chrétienne) est la plus stricte à ce niveau.
Graeber observe alors assez finement que les mécanismes de dette et de faveur ne sont valables qu'au sein de petites structures et dans un cadre de proximité. Il ne projette malheureusement pas cette observation sur le monde contemporain.
La Renaissance verra le retour fracassant de la monnaie avec sa triste corrélation expansionniste notamment dans le Nouveau Monde.
Graeber rapporte que les problèmes de création de monnaie en fonction de l'inflation sont loin d'être nouveaux et que déjà en Italie à cette époque, les notables savaient très bien en jouer, en finançant les croisades par exemple.
Il nous explique que par corollaire les annulations de dettes sont également loin d'être nouvelles, les mésopotamiens par exemple faisaient de manière récurrente des annulations collectives de dettes.
L'ouvrage dans son ensemble fourmille d'anecdotes instructives, par exemple, la fameuse pierre de Rosette qui a permis à Champollion de comprendre les hiéroglyphes est elle-même une annulation de dette. Autre exemple, au sein d'une entreprise, vos collègues vous aideront toujours ce que Graeber considère comme étant du communisme.
La toute dernière partie, malheureusement trop courte, n'ose pas les conclusions qu'on aurait pourtant attendu, Graeber propose en effet un jubilé d'annulation de dette, mais sans réellement aller plus loin.
La seule observation du lien entre dette et budget militaire des USA à elle seule vaudrait de les virer de toutes les négo internationales (y compris TAFTA et autres Kyoto), d'autant qu'en rabaissant sa monnaie, les USA font venir chez eux des devises, en d'autres termes, nous payons leur dette par la peur.
L'ouvrage de Graeber a une grande valeur en matière d'histoire économique, mais sa valeur militante manque à mon sens de percutant.
La notion de dette odieuse par exemple n'est pas mentionnée :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_odieuse
Il est pourtant difficile d'accroire que cet anarchiste déclaré ne connaisse pas ce concept. Ces travaux, notamment à travers l'exemple irakien offre pourtant une légitimité pour la demande de leur annulation.
De surcroit, le mécanisme de dette odieuse met également à jour un déficit démocratique intolérable pour n'importe quel gouvernement moderne.
Autre point, n'importe quel contestataire avec quelques neurones comprend qu'il y a très fréquemment un enjeu d'autorité qui traîne dans de nombreuses interactions. Les relations bancaires n'y font pas vraiment exception : une simple consultation historique des annulations de dettes permet de voir qu'il y a eu des précédents, la négociation est donc parfaitement possible et envisageable. Pourquoi l’est-elle entre les institutions et pas entre vous et votre banque ?
A mon sens, il s'agit juste d'un blocage mental : "on se doit de rembourser" ; la fameuse citation de S Biko trouve ici également sa pertinence : "La plus grande force de l'oppresseur se trouve dans l'esprit de l'opprimé". (Graeber parle un peu de cette idée dans son introduction, malheureusement, il ne va pas plus loin).
Si ce qu'on pourrait appeler les dettes méta-structurelles (celles de nos états, de nos banques de nos grosses boites et celles qui nous servent à payer nos maisons) méritent très probablement la répudiation irrévocable, il convient sans doute de s'interroger sur son utilité à échelle quotidienne en le rebaptisant système de faveur par exemple.
S'interroger sur sa pertinence est important car selon toute probabilité en son absence, on se retrouve avec la monnaie et cela revient à mettre un pouvoir bien trop important entre les mains de celui qui la fabrique (c'est du moins l'observation historique appuyé par la fameuse phrase de Rothschild : « donnez-moi le contrôle de la monnaie et je me passerai de ceux qui font les lois », il nous faudrait plus de recul sur les expériences de monnaie virtuelles pour l'affirmer définitivement).
Autre raison de considérer le système de faveur (cette remarque prend sa pertinence à l'aune d'expériences comme le couchsurfing, le covoiturage...), il permet un rapprochement des gens plus intimes que la relation commerciale, disons-le tout net : les apôtres du libéralisme se trompent complètement quand il voit dans le marché global une opportunité au monde de rétrécir et de se rapprocher (je parle avec quatre ans d'expérience en tant que commercial), les relations/échanges avec capitaux sont par essence viciés, la crémière ne vous sourit pas pour votre charme mais bien pour l'argent que vous allez lui donner.
Le système de faveur ou de dette implique de fait une relation moins superficielle comme le soulève les conditions de Sack : si vous prêtez à quelqu'un, vous devez avoir au moins la certitude qu'il vous remboursera, les dettes odieuses le sont car les créanciers ne se sont pas souciés de savoir si les débiteurs pourraient rembourser un jour.
A défaut de capacité de paiement, cela implique au moins à l'égard de votre débiteur une confiance et ça c'est un sacré pas vers autrui.
Amorcer une faveur non à l'égard d'une seule personne mais de la communauté fait jouer des mécanismes réputationnels qui pourront, si vous êtes sages faire l'objet d'un article ultérieur.
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