Deux et deux ne font pas cinq, et le protectionnisme n’est pas l’isolationnisme
Il existe, nous dit un certain Sigmund Freud, deux sortes de gens qui croient ou soutiennent que, quelque part deux et deux font cinq, selon que ça les arrange bien ou que ça les dérange, peu ou prou. Mais les uns et les autres ignorent ou feignent d’ignorer qu’existent d’autres gens qui savent que deux et deux font quatre, de sorte que, de leur point de vue, le monde se divise entre ceux qui sont d’accord avec les conclusions qu’ils en tirent et les autres, lesquels sont forcément, disent-ils, contre eux. Cela relève de ce que l’on appelle la pensée binaire, et je dirai ici que la Pensée unique est fille de la pensée binaire.
Je m’explique : l’expression "Pensée unique" désigne la voix de son maître dans les mass média ; la pensée binaire est une propension des paresseux comme celle des orgueilleux à traiter la complexité. Elles ne sont donc pas de la même génération. La pensée binaire n’est pas sans un lointain rapport avec le "rasoir d’Occam", mais c’est un autre sujet. Joseph Joubert a écrit : " C’est l’orgueil qui fait le sophiste, la bonne foi fait le savant. " Et André Comte-Sponville : " La simplicité est le contraire de la mauvaise foi ". Muni de ces deux certitudes, On vérifiera aisément que les esprits simple ne sont pas savants ; les savants ne sont pas sophistes ; les sophistes ne sont pas simples.
Thomas Friedman faisait une belle démonstration de pensée binaire, quand il écrivait dans le New York Times du 18 septembre 2003 : " Il est temps que les Américains se rendent à l’évidence : la France n’est pas seulement un allié embarrassant. Pas seulement un rival jaloux. La France est en train de devenir l’ennemi de l’Amérique. ". Depuis, Nicolas Sarkozy est devenu président, et la France est re-devenue amie de l"Amérique.
Autre exemple : pour les libre-échangistes l’isolationnisme et le protectionnisme, c’est du pareil au même. "Prétendre que le protectionnisme aurait été la cause de la seconde guerre mondiale, il faut une profonde méconnaissance du nazisme et du fascisme, ou une immense mauvaise foi". (Jacques Sapir : ignorants ou faussaires).
Une des idées force des mondialistes, empruntée à Thomas Friedman est que "Chaque pays doit sacrifier une partie de sa souveraineté au bénéfice d’institutions internationales (telles que les marchés financiers et les multinationales) dans le but de parvenir à la prospérité économique de la Civilisation occidentale". Il nomme ces contraintes " La camisole dorée " (Golden Straitjacket en anglais). C’est dans cette ligne de pensée qu’il a écrit : "la guerre froide étant finie, le fossé n’est plus entre les faucons et les colombes mais entre les intégrationnistes et les anti-intégrationnistes."
Ce qui signifie, nous dit Noam Chomsky, "un fossé entre, d’un côté ceux qui sont favorables à davantage de mondialisation et de (ce qu’ils appellent) " libre-échange " (qui n’en est bien sûr pas un), et de l’autre ceux qui veulent le freiner voire y mettre fin". C’est là le premier fossé, et Chomsky ajoute : "Le second sépare ceux qui sont pour un filet de protection sociale et ceux qui pensent que tout le monde devrait " se débrouiller tout seul " et chercher à " grappiller tout ce qu’il est possible de grappiller "… (Propagande & contrôle de l’esprit public)
Ce premier fossé, celui dont parle Friedman entre les mondialistes et les autres, existe bel et bien. N’est-ce pas GW Bush, qui disait :"nous faisons la réalité" ? C’est le drame de la social démocratie, mais aussi de tous ceux qui nous proposent le beurre et l’argent du beurre, je veux parler d’Europe écologie. Car si l’on exclut les libéraux purs et durs, ceux qui pensent que tout le monde devrait " se débrouiller tout seul ", comment la Social démocratie ou Europe Ecologie pourraient-ils s’y prendre pour résister à la barbarie néolibérale autrement que par des institutions fortes et une démocratie véritable ?
On est là de toute évidence dans une impasse oxymorique (pardon pour le barbarisme !), puisque des institutions fortes et autonomes sont antinomiques de mondialisation libérale synonyme nous dit Chomsky, d’impérialisme. "On ne souligne quasiment jamais que l’expression " communauté internationale " est classiquement utilisée pour désigner Washington et tous ceux qui en viennent à s’aligner avec elle, pas seulement sur cette question, mais d’une manière assez générale" ?
Et comment peut-on, à l’instar de Friedman, appeler "camisole dorée" les mensonges et les pratiques terroristes auxquels les marchés financiers autant que les multinationales soumettent les institutions démocratiques.
Pour finir, je laisserai ici s’exprimer J. Sapir : "Le protectionnisme n’est pas une panacée — il n’en est aucune en économie —, mais une condition nécessaire.
Son but doit être clairement précisé. Il ne s’agit pas d’accroître encore les profits mais de préserver et d’étendre les acquis sociaux et écologiques. Il s’agit donc de pénaliser non pas tous les pays pratiquant les bas salaires, mais ceux dont la productivité converge vers nos niveaux et qui ne mettent pas en place des politiques sociales et écologiques également convergentes. Bref d’empêcher le commerce mondial de tirer tout le monde vers le bas.
La combinaison du libre-échange et de la rigidité monétaire de l’euro rend nécessaire, du point de vue des entrepreneurs, l’immigration clandestine. Le sans-papiers n’est pas couvert par le droit social existant. L’immigration devient alors l’équivalent d’une dévaluation de fait et d’un démantèlement des droits sociaux face à la pression de la concurrence importée".
Exemples récents de croyances que deux et deux font cinq :
"Nicolas Sarkozy croit que plus la société va mal et moins le risque social est grand" (D. De Villepin, FI 18/12/08)
"Pour enrayer la xénophobie, le mieux serait encore d’augmenter et non de vouloir réduire le nombre d’étrangers ". (Cohn Bendit " Xénophobies " )
"L’indépendance d’un expert est le gage de son incompétence : voilà le credo des industriels de la santé repris en chœur par les pouvoirs publics." ("Les médicamenteurs" Arte 9/6/9)
Liste ouverte, appel à contributions.
Thomas Friedman : New York Times du 18 septembre 2003 http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Friedman
Chomsky : Propagande & contrôle de l’esprit public : http://revueagone.revues.org/index98.html
Jacques Sapir : Igorants ou faussaires : http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/SAPIR/16883
Jacques Sapir : Le retour du protectionnisme et la fureur de ses ennemis : http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/SAPIR/16882)
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