Deux milliards de cons rassemblés le 29 avril mais le rock progressif se porte bien
Deux milliards de cons seront scotchés devant leur poste de télévision. Telle est l’estimation des médias anticipant le décompte des spectateurs plantés devant leur écran pour voir se dérouler un événement qu’un jugement philosophique se doit de qualifier d’insignifiant. La culture moderne a su conserver le plus mauvais de la tradition. Les mariages princiers font rêver, on se demande pourquoi. Et la solution la plus directe, c’est d’admettre que les gens sont des cons. Une fois ce constat établi, on pourra écrire à son député afin qu’il pose une question au gouvernement sur la retransmission du mariage de Kate et William par une télévision publique financée par la redevance. La télévision doit-elle proposer des programmes pour les cons ? J’aurais tendance à dire que oui. Après tout, la redevance est payée par des millions de cons et il faut bien qu’ils soient remerciés de cette manne qui du reste, finance aussi quelques émissions plus instructives, des débats intellectuels, des documentaires sur le monde. Soyons indulgents. Les cons travaillent, font des enfants, cotisent pour les retraites, payent des impôts, votent, participent à la vie de la société, alors reconnaissons leur le droit de se rassembler en masse derrière un écran pour visionner un mariage à la con qui n’est pas plus laid qu’un match entre le Barca et le Real, ou qu’une émission animée par Arthur.
Deux milliards de cons, ça représente pas mal de monde. Pour une fois, les gens sont réunis devant leur poste, transgressant les limites géographiques, les couleurs de peau, les religions, les opinions politiques, les préférences sexuelles, les nationalités. C’est une bonne nouvelle. L’unité du genre humain se dévoile et tous peuvent communier devant leur poste, même les femmes vêtues d’un niqab, ou les taulards depuis leur prison. On devrait décréter le 29 avril journée des cons. On devrait même charger Rama Yade d’inscrire cette journée au patrimoine mondial et immatériel de l’Unesco. Quoique, ce patrimoine est censé protéger les cultures spéciales menacées par une prochaine disparition ; or, les cons ne sont pas prêts de disparaître. Cette espèce est d’une résistance incroyable, parfaitement adaptée à la société médiatique. Qui le leur rend bien. Con, il faut l’être pour se passionner par un mariage parce que le prétendant est de sang royal. Ou parce que les médias ont décidé d’en faire un événement. C’est sans doute cela. Mais deux milliards de cons, au vu de ceux qui dorment, qui travaillent ou sont occupés à autre chose plus intéressant ou utile, c’est beaucoup. Les journalistes nous prennent pour des cons. Ils racontent des conneries. Faut bien qu’ils fassent les intéressants et justifient leur soumission face à l’événementiel. Ils s’y croient. Cinq heures de direct, pas moins, pour la Deux. Le JT de la mi-journée déplacé. Parce qu’un gugusse bien né se marie. Ces journalistes sont aussi cons que ceux auxquels ils s’adressent. En vérité, deux milliards, c’est le nombre de spectateurs ayant accès aux retransmissions. Les télés du monde entier sont mobilisées. Il faut dire qu’il n’est pas difficile de trouver des cons parmi les journalistes pour commenter et diffuser cet événement.
Divisons deux milliards par mille. Cela donne deux millions. Statistiquement ce n’est rien, zéro, nada, peanuts. Mais ce chiffre indique l’ordre de grandeur des amateurs de rock progressif dans le monde, ou du moins, des individus potentiellement concernés par les œuvres dites progressives. Il faudrait en vérité diviser le chiffre par dix pour évaluer le nombre de gens vraiment intéressés par le rock progressif et encore par dix pour chiffrer le nombre des passionnés de prog, prêts à se déplacer pour un concert ou acquérir un CD d’un obscur groupe sévissant en Argentine ou en Suède ou encore en Italie, seconde patrie du prog après les Britanniques. Le contraste est saisissant. Et c’est cet aspect qui justifie ce billet assez incongru et iconoclaste. Comme s’il était sensé de comparer un joueur de musette et un virtuose du violon, ou bien un livre de Marc Lévy et une symphonie de Martinu. Quand les journalistes deviennent cons, il est temps d’écrire des choses insensées et de recommander le rock progressif comme un des remèdes à cet abêtissement culturel généralisé qu’illustre parfaitement cet engouement pour un mariage princier. Le prog résiste autant que les têtes couronnées. Heureusement. Sinon le monde serait invivable. Vivre rien qu’avec des cons, c’est pire qu’être atteint d’un cancer. Le progressif a un site très bien développé avec de nombreux critiques et d’inestimables informations sur ce qui sort dans le genre, non sans un éclectisme et une ouverture vers des styles apparentés. Il faut dire que l’amateur de prog est ouvert, écoutant aussi bien de la cold wave que du krautrock, du métal ou des standards comme Led Zep. L’amateur de prog est un mélomane qui apprécie ce qui s’est joué il y a trente ou quarante ans, à l’instar du mélomane classique qui ne refuse pas un Monteverdi ou un Bach.
Voilà, c’est dit. Il fallait le dire. Allez voir sur progarchives ce qui se passe. Le dernier Pendragon me paraît quelque peu raté, trop facile. On pourra se rabattre sur le quadruple album collectif dédié à la divine comédie. Le paradis, après l’enfer et le purgatoire, est un prétexte pour entendre une multitude d’artistes évoluant dans le prog, comme les Hispaniques Kotebel ou les Argentins de Nexus, sans compter les Italiens, Français, Scandinaves, Britanniques. Le rock progressif est universel mais pas autant que le mariage princier qui sera retransmis dans des tas de pays qui, tels l’Arabie ou le Yémen, ne connaissent pas le prog. Néanmoins, la culture prog gagne du terrain puisque le genre se pratique maintenant en Chine, en Iran ou en Ouzbékistan.
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