Deux ou trois choses de Bolloré... oubliées !
C’est à désespérer du journalisme d’investigation, ces derniers temps. Avec un ordinateur branché sur le reste du monde, il est quand même relativement facile de trouver davantage d’informations sur Vincent Bolloré et son groupe qu’on a pu en montrer à ce jour dans la presse, restée bien frileuse. Comme aurait pu le chanter Johnny Hallyday, il est facile de démontrer les collusions multiples entre son groupe et le pouvoir en place, et d’expliquer ces deux ou trois choses plutôt dérangeantes que jusqu’ici personne n’a rappelées au grand jour, ce qui peut paraître étonnant. A croire qu’en France, dès qu’on touche à certains, les langues et les portes se ferment.

Il conviendrait tout d’abord de revenir sur une personne. Car en effet, la galaxie Bolloré possède une étoile. Et cette star, c’est Michel Roussin, le second du groupe, tout simplement, dans l’organigramme officiel. Il semble bien qu’on l’ait en effet oublié, cet homme qui, chez M. Bolloré, joue le monsieur bons offices de l’ensemble de l’Afrique. Un homme, disons, particulier, ce Michel Roussin. Tout d’abord un ancien de la DGSE, ou plus exactement du SDECE, puisqu’il était le directeur de cabinet d’Alexandre de Marenche, son directeur de l’époque. Roussin est lui même officier de gendarmerie : idéal, disent les mauvaises langues pour gendarmer l’Afrique, sa terre de prédilection désormais (il met ainsi les pieds dans les traces de Jacques Foccart, son maître à penser). Il a été aussi directeur de Cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, et pour ce faire, vient de se ramasser une peine de prison avec sursis et une amende substantielle. Le 27 février dernier, en effet, Michel Roussin, et Louise-Yvonne Casetta, ex-assistante des trésoriers du RPR, ont été condamnés mardi 27 février par la cour d’appel de Paris à respectivement quatre et deux ans de prison avec sursis dans l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France. Ils se sont également vu infliger tous deux des amendes, d’un montant de 80.000 euros pour Michel Roussin, de 30.000 euros pour Louise-Yvonne Casetta. Une condamnation qui n’a eu aucune influence sur sa carrière industrielle. A ce jour, M. Roussin est toujours le second du groupe Bolloré et déclare sans ambage que le Congo est un beau pays . Il est vrai aussi que son président Joseph Kabila Kabange aime les beaux avions (un HS-125 immatriculé S9-DBG personnel), ceux de son ami belge George Forrest et ceux, plus connus désormais, du groupe Bolloré, groupe à qui on a confié l’exploitation forestière du pays (ou la déforestation, c’est selon). De Delmas-Vieljeux, le premier armateur privé français à Rail Afrique International, qui contrôle par exemple le chemin de fer du Congo Océan, Bolloré a jeté son dévolu sur l’ensemble des transports africains. Même le dragage des côtes d’Afrique se fait aujourd’hui sous son égide. De là à en conclure qu’il drague constamment, y compris en politique, il n’y a qu’un pas que nous franchirons aisément. Et conclure aussi qu’à ce stade d’implantation, un bon nombre de contrats industriels ne peuvent se faire qu’avec l’aval de l’Elysée. Dont acte.
Le deuxième point qui a échappé à nos journalistes papier (imprimé sur du Bolloré !) c’est une société perdue dans la myriade de sous-traitants qui ont été annexés depuis des années au groupe. Et parmi ceux-ci, il y en a un qui vaut son pesant de mouron. Non pas pour les sommes qu’il réalise, au demeurant croquignolettes, mais plutôt pour les objets fabriqués. Un objet dont on a pourtant bien entendu parler durant cette campagne, de la bouche même du président actuel : j’ai parlé du... tourniquet de métro. La société visée est née en Belgique en 1969 (encore une création post-soixante-huitarde !) et s’appelle AutomaticSystems. Elle débute dans les appareils de commerce des contrôles de paiement. Dès 1974, elle vend ses tourniquets au métro parisien et celui de Manille. Puis viennent Milan, Barcelone, Montréal, ou même DisneyLand Paris, Eurostar, etc... Bref tous les tourniquets du monde, serait-on tenté de dire. En 1997, une société française, IER, l’absorbe. IER n’est autre qu’une filliale du groupe Bolloré : AutomaticSystems intègre le giron de l’industriel breton. Les ventes explosent, en Amérique notamment, et en France aussi avec les ventes de 700 "obstacles" (c’est le terme technique) pour le métro de Lyon et 1500 portillons automatiques pour les chemins de fer. Sur le site d’Automatic Systems, une photo montre un tourniquet de ce type... à la Gare du Nord . Sur le site, on trouve une phrase superbe : "C’est ainsi que la SNCF conçoit son rôle d’opérateur de transport public.Quoi de plus légitime dès lors que de faire appel à une société spécialisée pour équiper les accès de systèmes de contrôle d’accès ?". A mourir de rire, non ? C’est trop beau comme gag : c’est l’Etat français, par la SNCF, qui a acheté à Bolloré le tourniquet à l’origine des fameuses émeutes... et ça personne ne l’avait remarqué. Surtout pas M. Sarkozy, d’ailleurs, qui déclarait le lendemain être "du côté de ceux qui payent leur billet de train et qui n’acceptent pas qu’on démolisse les gares". Des gares toutes équipées Bolloré, à ce qu’on vient juste d’apprendre, donc. On pensait un futur président défendre l’intérêt général, on apprend aujourd’hui qu’il s’agit aussi de la défense d’une amitié industrielle.
Le troisième point qui n’a pas non plus été relevé mérite tout autant qu’on s’y arrête : c’est dans un autre domaine, celui de l’informatique et de la téléphonie, cette fois. Il concerne l’obtention des licences 3G et Wimax sur le territoire français : à moins que la France n’appartienne déjà plus à l’Etat français, c’est encore plus flagrant, car c’est l’Etat seul qui délivre directement ces licences, via les recommandations de l’ARCEP (pour Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) ! L’ARCEP est composé de cinq membres, dont trois nommés par le président de la République. Tous les membres de l’ARCEP, à des degrés divers, ont eu des liens directs avec le gouvernement en place. Interrogé sur la quatrième licence 3G, son directeur, Paul Champsaur écrivait dans le Figaro, à propos des 619 millions d’euros à débourser pour l’attribution de la licence de téléphonie haut débit restante : "Le quatrième opérateur mobile entrera avec un handicap. Juridiquement, le gouvernement a une certaine latitude, par exemple en étalant le paiement de la redevance initiale, comme le demandent des candidats potentiels". Des délais de paiement pour Bolloré, demandeur bien placé pour cette quatrième licence. Pour le Wimax, c’est autre chose. Dans les trois groupes retenus,dont Bolloré, il apparaît là qu’il y a eu favoritisme pur et simple dans les conditions d’attribution, tous les observateurs économiques le disent. Une attribution contre argent sonnant et trébuchant, qu’a déjà versé en 2007 le groupe Bolloré pour les douze régions obtenues. Ce faisant, l’Etat percevra en effet dès cette année 125 millions d’euros pour l’attribution des fréquences. Peut-être que le Wimax Bolloréen était déjà installé... et relayé jusqu’à... Malte, qui sait. Au départ, il y avait 59 prétendants aux attributions de licences Wimax , pour 35 au final, et encore moins sur le fil d’arrivée (trois seulement). Comme le dit le Monde Informatique "La subjectivité et l’hétérogénéité des trois critères de choix (contribution au développement territorial des services à haut débit, aptitude du projet à favoriser la concurrence et montant financier proposé par le candidat) permettaient au régulateur de justifier n’importe quelle éviction dans les trente-cinq candidats". On sent le coup de pouce, clairement, là, de l’Etat. Un coup de pouce largement en faveur du groupe... Bolloré, visiblement techniquement moins avancé que d’autres lors de l’attribution du marché.
Ces trois points précis démontrent à quel point le groupe Bolloré est lié à l’Etat français. Ce qu’il y a d’inquiétant, c’est qu’on n’ait pas cherché plus loin pour trouver cette évidente collusion. Le journalisme d’investigation a-t-il déjà fondu dans la presse gratuite, du type... Bolloré, tels MatinPlus ou DirectSoir ? Il n’est pourtant pas difficile de trouver ses liens. Ils sont écrits noir sur blanc sur votre écran d’ordinateur. La voix citoyenne se devait de vous les rappeler aujourd’hui, et de vous rappeler par là même qu’il y a bien eu conflit d’intérêt dans l’histoire récente du pays .
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