Dimanche, sur les 4 chaînes d’info, Mère Teresa bat Merkel et met KO Hong-Kong
Ce soir du dimanche 4 septembre 2016, les 4 chaines d’information diffusent en boucle
- des images du Vatican à propos de Mère Térésa qui vient d’être canonisée,
- un message rapide sur la "lourde défaite électorale" de Mme Merkel dans une région allemande,
- et moins que rien sur les élections à Hong Kong.
Mère Térésa : les reportages de pèlerins béats promènent l'ex béatifiée dans des lieux communs, sans que j’entende grand-chose de son action :
- l’appel reçu le 10 septembre 1946, au cours d'un voyage en train de Calcutta à Darjeeling. L’appel de Dieu, ce n’est pas la tasse de thé de ces TV,
- après avoir soigné les pauvres dans un dispensaire au Bengale, elle devient enseignante à Calcutta, de 1931 à 1937, dans des classes de 300 élèves,
- devant le refus d’un hopital à prendre un agonisant, elle se démène pour obtenir un lieu et y accueillir les mourants,
- elle organise sa vie avec les temps de prières le matin et le soir, et le service des pauvres le reste de la journée. Elle reste avant une tout bonne sœur,
- le 15 mars 1949, elle est rejointe par une de ses anciennes élèves. Ainsi nait, officiellement le 7 octobre 1950, sa congrégation qui va s’étendre et se répandre,
- un jour elle aperçoit un enfant abandonné en train d'être mangé par un chien dans la rue ; elle recueille l'enfant qui meurt quelque temps après. Elle décide alors d'ouvrir un orphelinat le 24 novembre 1955,
- en 1957 elle reçoit cinq personnes qui ont perdu leurs emplois à cause de la lèpre. Elle cherche alors à ouvrir un centre pour les lépreux, mais les sœurs sont accueillies par des jets de pierre. Elle décide donc d'envoyer des ambulances pour soigner les lépreux. Si les lépreux ne viennent pas à elle, elle ira aux lépreux,
- elle refuse le mercantilisme caritatif (charity business, comme seuls disent les Français) : elle veut que les missionnaires de la charité vivent de la providence, et donc des dons, mais sans trop accumuler. Elle décide ainsi en juillet 1981 de refuser des dons d’argent trop nombreux. De même elle refuse les associations qui ne la soutiennent que financièrement, en affirmant qu’elle ne veut pas des amis mais des coopérateurs. Ca aurait été une mauvaise cliente de Facebook !
- en 1982, sur une des hauteurs du siège de Beyrouth, elle sauve 37 enfants hospitalisés et pris au piège dans une ligne de front entre l'armée israélienne et la guérilla palestinienne. Elle provoque un cessez-le-feu, et accompagnée par la Croix-Rouge, elle traverse la zone de tir jusqu'à l'hôpital dévasté pour évacuer les jeunes patients.
Voilà quelques lignes sur son action. De quoi créer une série TV « Plus belle la vie » ou « Thérésa superwoman ». Mais apparemment pas de quoi fournir nos robinets télévisuels.
Il y avait beaucoup à dire sur Mère Térésa, sur son œuvre, sur sa vie, sur ce qu’elle laisse de pérenne au-delà des images pieuses. Le côté lumineux et le côté obscur.
Il y avait beaucoup à dire sur la politique menée par les responsables de ces pays et l’attitude des pouvoirs publics face à cette misère qu’ils laissent prospérer.
Mais voilà, les chaines d’information en continu ne sont pas là pour informer. Elles sont là pour débiter des flots de mini reportages qui s’écoulent en boucle et qui sont mis en forme comme les spots publicitaires, en étant destinés à frapper l’attention et surtout pas à donner à réfléchir ou à activer l’esprit critique.
En zappant, j'ai vu
- les mêmes vidéos, ou du moins le même style, de la place Saint-Pierre et non pas des bidons-ville de Calcutta,
- le même angle d'approche du discours, sentimental et admiratif, sans recul,
- la même superficialité, avec un journaliste qui fait le trottoir et racole le premier venu,
- la même brièveté (1 ou 2 minutes, plus courte que les 10 minutes maximum que tolère un enfant de 3 ans à 6 ans pour une explication).
Voyons maintenant la lourde défaite électorale de Merkel dans l’un des territoires allemands, au nom compliqué de « Mecklembourg Poméranie Occidentale », puisque c'est ainsi que les bandeaux l'ont présentée, en omettant le titre de civilité "Madame".
Pour les chaines, c’est simple. C’est sa politique des migrants qui est seule en cause avec le postulat
Allemands moyens = xénophobes.
On a qualifié les votants. On leur a donné une propriété qui explique leur comportement aussi sûrement que celles d'un aimant, avec le pôle négatif qui repousse une autre charge négative.
Ils sont xénophobes, donc racistes.
Donc ils ne pouvaient que voter contre la gentille politique de la gentille chancelière qui accueille les gentils migrants. Pas besoin de chercher midi à 14 heures. Le parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD) devait battre Merkel.
Merkel + migrants => racisme en hausse => AfD gagnant
CQFD.
Chipotons.
C’est le SPD qui a gagné les élections avec 30,68 %, pas l'AfD.
Depuis des lustres il gagne les élections. L’AfD n’est arrivé qu’en 2ème position avec 20,8 % des voix et seulement 1,8 % d’écart sur la CDU merkelienne. J’en connais en France qui auraient aimer perdre avec seulement 1,8 %.
Ensuite, le land n’est pas un bastion de la CDU. C’est la Mecklembourg Poméranie Occidentale, pas la Merkelbourg Poméranie Occidentale. Ohé les médias !
Le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) est au pouvoir depuis 1998 et a fluctué de 41 % en 2002, à 31 % en 2006, à 35,7 % en 2011 et 30,68 % en 2016
L'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU) est passé de plus de 31 % en 2002, à 29 % en 2006, à 23,1 % en 2011 et à 19,06 % en 2016.
Ce n'est donc pas une perte sèche, mais la confirmation que ce land de l'ex Allemagne de l'Est aux rives de la Baltique et de la Pologne conserve son écart en faveur du SPD, tout en diminuant sur le long terme la confiance globale dans les deux grands partis, dans un ratio de 3 électeurs sur 4, puis 2 sur 3, puis 1 sur 2.
L'AfD profite d'un appel d'air : les anciens opposants Die Linke (parti de gauche) et Die Grünen (les Verts) s'associent ici et là avec les partis majoritaires pour gouverner le pays ou les régions. Ils perdent le rôle d'opposants. Comme la nature a horreur du vide et les électeurs aussi, ces derniers choississent l'AfD pour remplir ce vide d'opposition.
Comment comprendre ce désamour ?
L'économie va mal : adieu la pêche, les industries lourdes et les chantiers navals.
La croissance moyenne du Land entre 2000 et 2015 a été de 0,84 % contre 1,35 % pour l'ensemble de la République fédérale.
L'investissement par habitant est de 5.000 euros, contre 8.000 en 1995 et environ 6.900 euros pour la moyenne nationale.
Le chômage est en moyenne à 10,4 % pour 2015, soit de 4 points au-dessus de la moyenne nationale. Et encore, à combien serait-il les jeunes ne partaient pas ?
La population vieillit (1/4 a plus de 55 ans contre 1/5 en Allemagne) et elle se meurt (elle a diminué de 6 % en 10 ans).
Le salaire brut moyen a grimpé de 55,5 % de la moyenne nationale en 1991 à environ 80 %, mais il s'est essouflé et n'arrive plus à combler son retard.
Le salaire horaire est pire : 18,92 euros soit 76 % de la moyenne nationale.
Le revenu disponible par habitant stagne depuis 2010 au dessous de 7 % de la moyenne nationale et de 3,1 % à la moyenne de l'ex-RDA.
La consommation des ménages et l'épargne sont en berne.
Et avec tout ça vous voudriez qu'ils n'aient pas l'oeil terne et qu'ils continuent à croire les balivernes des partis qui les gouvernent ?
La xénophobie, messieurs les médias, est une explication bien courte et mal étayée, d'autant plus que ce n'est pas le land qui a le plus accueilli d'immigrés.
Il y a-t-il dans ces TV des journalistes qui savent lire les chiffres de l'INSEE et des autres instituts ?
Ou est-ce une décision réfléchie de manipuler les débats en criant le mot "populiste" ?
Changeons de continent.
Les élections législatives de Hong-Kong sont passées sous silence sur les 4 chaines d'information, du moins quand j'ai cherché à m'informer.
C'est normal. La prétendue révolution des parapluies de 2014 était beaucoup plus spectaculaire. On y voyait des gens assis. Des parapluies ouverts. Et la police les évacuer. Surtout les gens. Pas trop les parapluies.
Ce dimanche, ce n'était qu'une élection, avec des votants qui avaient eu le temps de se poser des questions et de chercher des réponses, donc de s'exprimer avec intelligence, sans passion excessive et sans geste ostentatoire.
C'est aussi la mise en place d'un rapport de force, puisque le statut actuel n'a qu'une durée de 50 ans et doit se terminer en 2047 pour être éventuellement renégocié et renouvelé.
Chaque camp tient à prendre date.
On nous a fait grace des résultats, même arrondis :
- camp Pro-Pékin 40 % des voix, 57 % des sièges
- pan-democrats 36 % des voix, 34 % des sièges
- locaux 18.96% des voix, 8,6 des sièges
- autres 4.81% des voix, 0 % des sièges
Pas un mot à la TV, et pourtant participation est en hausse constante 58 % en 2016, contre 53 % en 2012 et 45 % en 2008. L’opposition traditionnelle, pan-démocrate, a réussi à conserver sa minorité de blocage. Le parlement est rajeuni et 4 jeunes « manifestants des parapluies » sont élus, dont Nathan Law, 23 ans, qui a battu le puissant patron de télévision Ricky Wong (pro-Pékin). L’écologiste Chu Hoi-dick, 38 ans, a été élu à la surprise générale, y compris la sienne.
Aucune chaine n'a daigné donner de chiffres. Aucune n'a émis d'analyse sur cette partie sensible de la planète et sur la remise en cause possible du concept "La Chine et Hong Kong, un pays et deux systèmes". Malgré la réunion du G20 à Hanghzou, personne n'évoque cet empire qui étend son emprise et des petits états qui tentent de pas être étouffés.
Les dizaines de milliers d'Asiatiques qui ont défilé dans Paris ce jour-là et qui sont Français, ont pourtant beaucoup de contacts avec ces deux contrées. Ils protestent contre la violence et les agressions commises à l'encontre de la communauté chinoise et réclament des mesures de protection supplémentaires, un mois après la mort d'un couturier chinois à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Ils ont eu droit à quelques images, comme lors du nouvel an chinois. Mais ils ne sont pas considérés comme des téléspectateurs s'intéressant à autre chose qu'au nombril métropolitain.
Et de plus, ils ne doivent pas appartenir à la cible des GPAC (gobeur de publicités et acheteur convulsif).
C'est tellement plus cool, coco, de commenter une place Saint-Pierre clean sanctifiant une mère Térésa qui a apporté sa pierre pour construire un abri aux démunis.
Mais coco, ne dis pas qu'elle s'appelle Sysiphe et que toutes les pierres et toutes les bonnes volontés sont insuffisantes si on ne change pas la politique.
Voilà. C'était l'information que j'aurais aimé avoir et que la TV ne m'a pas donnée.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON