Dîner de cour et dîner de gueux - (Pamphlet) - Première partie
En l’an de grâce 2021, en pleine crise du Covid les Français assignés à résidence, découvrirent avec stupéfaction les arrières-cuisines de l’Oligarchie. Ces arrières-cuisines exhalaient des fumets de repas fins de grand arroi, mais clandestins, préparés avec un soin tout spécial pour une gente réputée le bec délicat, par les chefs étoilés du sérail, triés sur le volet.
Toutes ces agapes quasi royales, bien entendu, servies aux ploutocrates contre un prix raisonnable… tournaient autour de plusieurs centaines d’Euros de participation !
En y rajoutant le Champagne, vins fins et liqueurs, et tout le toutim, le prix à payer pour bouffer caviar, langouste, homard, foie gras et maintes petites mignardises sucrées ou salées, quelques petites volailles rôties dans leurs jus, triées elles aussi sur le volet,il était prévisible que la note à régler se fût envolée, nécessairement.
Mais que ne feraient les pleins aux as pour vider leurs poches, en se remplissant par la même occasion, la gargamelle ?
Nous, Peuple, sommes appelés à croire sur parole l’amphitryon, l’organisateur de ces grandes agapes, un personnage détonnant et étonnant du microcosme, qui, entre deux gesticulations verbales burlesques, faisant remuer sa toison moutonneuse, nous expliquait devant caméra, les ressorts psychologiques qui animaient sa généreuse personnalité et sa manie de régaler ses convives, son empathie pour les riches, qu’ils fussent Ministres, Députés, artistes de renom, médecins grands pontes de plateaux TV, et autres journalistes, politiciens, etc.
Mais pas que… L’amphitryon, la main sur le cœur, nous jurait qu’il donnait aussi la pièce aux SDF. C’était son côté caritas. C’est que son visage rondouillard de bon vivant n’eût accepté qu’il y eût tant de misère, tant de morts de faim et de froid, dans la rue. La rue ! juste en bas de chez lui, sous ses yeux qui n’en pouvaient croire ! Car c’est bien au chaud que l’on mesure vraiment les écarts de degrés de température, surtout l’hiver !Il vous suffit de vous mettre dans la peau d’un SDF.
Moi, si bon vivant, je ferais un si mauvais mort, si j’étais à sa place ! Aussi s’épanchait-il en larmoiement derrière sa fenêtre, ses rideaux de lampas et son balcon ouvragé, à la vue du hère qui passe, se les gèle, et qui, le nez rougi par les frimas, demande la charité aux passants. Un passant qui passe sans jeter le moindre regard au sous-gueux, c’était insupportable pour l’amphitryon ! Et hop ! Une petite piécette par ci-, par là et la conscience repliée comme un éventail fermé, il pouvait dormir sur ses deux oreilles, sur son bon oreiller de plumes d’eider, en comptant non pas les moutons, mais toute sa collection d’objets précieux qui remplissaient sa demeure somptueuse.
Mais revenons aux volailles de ce repas de gala clandestin chez l’amphitryon, revenons aux petits poulets à la reine qui allaient régaler l’aréopage. Élevées dignement et gaillardement dans des fermes en Île de France, dans l’arrière-pays parisien regorgeant de lieux choisis pour cette gente si délicate, elles atterrissent généralement sur les plus grandes tables, toutes fraîchement plumées, nourries au grain sélectionné et lâchées dans les prés vert tendre. Après avoir été tuées artisanalement au surin aiguisé, elles se trouvent fins prêtes à passer à la casserole du grand chef étoilé. Vous ne croyez tout de même pas que la gente au bec fin se sert de la barbaque pré-découpée sous cellophane, en provenance des supermarché dont se contentent les gueux ? Ce serait mal connaître ce genre d’humanoïde qui ne se satisfont pas des restes industriels, ça c’est pour le bon peuple, les gueux, les manants, les chiens, quoi !
Et comme vous l’aurez remarqué, l’arrière sonne toujours trois fois : arrière-cour, arrière-cuisine et lieux de production fermière de l’arrière-pays. Jamais devant, tous derrière, tous derrière ! Cachés aux yeux du grand public. Pour la gente au bec fin, le bon peuple de France est une bande d’envieux, pas besoin d’exciter le péquin ! Les gueux le sont déjà assez comme cela, envieux, depuis qu’ils ont endossé le gilet jaune du cantonnier et ont fait mille fois le tour des Champs Élysée et de l’Arc de Triomphe, en marchant et en scandant le refrain désormais célèbre : « On vient te chercher chez toi ! »
- Horreur ! Horreur ! Enfer et Belzébuth ! s’exclame notre amphitryon vert de peur, rien que d’envisager une irruption de gueux rajaunis, dans les ors de ses somptueux appartements. Des gueux envahissant son immense Hôtel particulier tout plein de beaux et magnifiques meubles, objets de collection, impérieusement rangés, adulés, adorés, divinisés ; de quoi se faire une jaunisse à son tour !
Une invasion de Vandales ! Les Wisigoths à l’assaut ! Un cauchemar ! Que deviendraient toutes ces petites choses sacrées, touchées par la main de Dieu lui-même : le Corse Napoléone Buonaparto Impérator ? Ca n’a pas de prix un tel objet, ni sa valeur marchande explosive ! C’est vrai qu’un gueux ne peut comprendre ce genre de raffinement suprême : l’objet rare, la marchandise introuvable, l’adulation… La fétichisation… Tant de merveilles accumulées, juste pour se faire plaisir… Profiter de la vie… Quoi !
Le gueux, après tout, n’a qu’à travailler et arrêter de vivre aux crochets de la société ! Faire grossir son Smic, son Rsa, à bien l’utiliser, au lieu de gaspiller son pognon à boire des jus au bistrot, des bières au goulot, à fumer et à se ramasser des cancers, non mais ! D’ailleurs, les bistrots sont fermés ! Bien fait pour leur gueule… Le peuple, voyez-vous, il n’est pas éduqué, il faudrait que nous soyons plus « pédagogues ».
C’est vrai que pour la gente au bec fin, le peuple il sait lui parler, se pencher vers lui, le prendre par les épaules, du bout des doigts, bien sûr, l’odeur populaire c’est dérangeant, tout de même. Ca sent le gasoil, la sueur et le sweat-shirt mal lavé ! Le gueux c’est un enfant !
L’amphitryon sait bien que les Français mis sous cloche, privés de liberté depuis plus d’une année avec le Covid 19, seraient scandalisés d’apprendre qu’une petite camarilla d’individus se tapassent joyeusement la cloche, côté cour, pendant qu’eux, empêchés d’aller au restaurant ou au café, se contentassent de croûter devant leur poste de télé ou dans leur salle-à-manger, le croque-monsieur surgelé, le steak passé au micro-onde, et, pour les plus audacieux, le gratin de pâtes à la milanaise surgelé aussi, avec sa croûte de gruyère râpé gratinée, au goût de fond de baskets après une heure de footing. Bref, la gastronomie dans la plus pure version moderniste ! Tout ça, pendant que les restaurateurs en faillite calanchent, criblés de dettes, car impossible pour eux de les honorer en attendant de rouvrir, aux calendes grecques.
Notre amphitryon sensible aux malheurs de la France, lorsqu’il se promène dans Paris et passe devant tous ces restaurants fermés, les devantures tristement closes, le rideau baissé offrant le spectacle mortuaire de leurs chaises empilées comme des cercueils entassés, ça le rend triste. C’est un sentimental. Car la France c’est aussi le pays de la gastronomie, que diable ! Comme il larmoie sur les SDF, il larmoie devant les établissements clos.
Alors il a une idée de substitution. Pourquoi que je ne ferais pas le restaurateur à domicile ? Hein ? Oui, mais clando ! Comme au temps de la prohibition. Boissons à gogo, et tout ce qu’il faut pour que le corps exulte, comme disait le grand Brel.
Il y a de la place pour tout le monde chez moi, dans ma si vaste cambuse, du moment que les invités fussent sélectionnés, pesés, évalués, et qu’ils démontrassent leur appartenance au monde des Milord. En deux coups de cuiller à pot, il envoie les invitations pour répandre son idée fumeuse. Et tout le monde va jouer des coudes pour en être. Succès garanti. Car la gente des becs fins aime à se retrouver dans l’entre-soi. Les menus, ces promesses, sont prestigieux où l’on pourra tûter, siffler, siroter, entre perroquets et perruches, homards et langoustes, à tu et à toi ! Sans masque ! La muselière, c’est pour la gueusaille.
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