Discriminations ; l’obsession statistique
Le projet d’établir des statistiques « ethniques » refait surface à la demande de Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, qui manifeste une troublante obsession de la quantification : « On doit s’intéresser à tous les facteurs explicatifs de l’inégalité des chances et des inégalités de traitement : sexe, âge, diplôme, parcours scolaire, origine sociale, habitat... Tous les moyens sont bons pour lutter contre les discriminations, y compris statistiques. Opposer les divers moyens entre eux n’a pas de sens. » (extrait de sa réponse à l’historien Patrick Weil qui a refusé de collaborer à ce projet).
Un autre angle de contestation consiste à partir du caractère "modernisateur" de ce projet. En effet, Mr Sabeg a critiqué le travail de la Halde qui n’obtiendrait pas, selon lui, de résultats significatifs en matière de preuve de discrimination ou d’engagement de la part des entreprises. L’Etat souhaite désormais disposer d’instruments scientifiques et sanctionner uniquement les discriminations avérées. Cette tentative de rationalisation n’est pas sans faire penser à la société de contrôle qu’évoquait Gilles Deleuze ainsi qu’aux nouvelles techniques de pouvoir décrites par Michel Foucault ou Alain Supiot. En l’occurence, il s’agit d’importer dans la sphère publique des techniques rôdées dans les entreprises, à l’instar des normes ISO utilisées pour que les salariés se conforment par eux-mêmes et donc a priori aux objectifs de qualité totale. Les statistiques ethniques relèvent d’une gouvernance étatique plus économe de ses moyens car plus responsabilisante, différentielle et vérifiable. Elles renvoient également à une conception individualiste des rapports sociaux, fondée sur l’égalité des chances et la méritocratie plutôt que sur l’égalité sociale.
Que peut-on craindre d’une telle action ? Tout d’abord une contestation de la validité de ces statistiques et la tentation permanente d’une surenchêre. On risque également de contribuer à jeter un voile sur les véritables déterminants des inégalités scolaires ou sociales (les sociologues Marie Duru Bellat et Annick Kieffer viennent de montrer que c’est la profession du père qui est déterminante dans l’accès aux filières scolaires d’excellence). En privilégiant une lecture ethnique des clivages sociaux, on en viendra à présenter comme un progrès vers l’égalité, l’accès de personnes "de la diversité" à des positions sociales enviées alors que par ailleurs les inégalités entre catégories socio-professionnelles demeurent stables...nourrissant encore plus la frustration de ceux qu’on aura laissés sur le carreau. Enfin, la recherche systématique d’une "preuve" de la discrimination laisse songeur. Ne cherche-t-on pas plutôt à éviter un éventuel harcèlement juridique des entreprises et à substituer une lecture horizontale et victimaire des rapports sociaux à une lecture "de classe", verticale et collective ?
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