Discuter : la meilleure pédagogie pour le vivre-ensemble
"C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique"
Jean de la Bruyère
Chacun tire la couverture à soi dans ce monde en perte de repères. Chacun dit que sa religion est la meilleure, que sa langue est la meilleure, que sa culture est la meilleure, que sa civilisation est la meilleure, que sa gastronomie est la meilleure, que sa poésie est la meilleure, que sa "laïcité" est la meilleure, que son économie est la meilleure et ainsi de suite. Dans ma Kabylie natale, on répétait souvent dans une belle expression métaphorique ce proverbe : "ivawniw kan iguetwan" "Seules mes fèves sont bonnes à cuire", pour interpréter cette propension de l'être humain où qu'il soit, à l'égoïsme. Ce dernier aime bien ramener tout à soi, à sa petite personne, à sa pomme.
Dans un article publié sur les cahiers de "Grep Midi Pyrénées" en 1991, le professeur feu Mohamed Arkoun décrit cette attitude comme un instinct humain "grégaire" naturel, mais n'a pas toutefois oublié d'endosser à demi mots, ce repli devenu excessif sur soi, d'une part, à cette ère de la modernité technologique qui, selon lui, nous fragilise et nous rend la proie facile de la désinformation médiatique. Il écrit ceci à sujet "L'Occident nous dépasse par son hégémonie scientifique (comprendre par là médiatique, technologique, culturelle), avec tout ce que la science peut permettre de puissance. Mais la science qui permet la puissance ne conduit pas toujours au sens. Il y a le sens (la tolérance, le respect de la foi et de la culture de l'autre, le vivre-ensemble, etc) et la puissance (la force militaire, la force technologique, la force intellectuelle, etc). D'autre part, ce repli sur soi est dû, parfois, à l'emprise des religions monothéistes elles-mêmes (Judaïsme, Christianisme et l'Islam), lesquelles sont d'après lui "des systèmes culturels d'exclusion réciproques". Si jamais tu croises la route d'un Juif lambda, il est contre le Chrétien et le Musulman. Le Chrétien pareil et le Musulman aussi. Qui va parler à l'autre, sans qu'il ne se dise : "Je suis le meilleur, ma religion est la meilleure, ma langue est celle du Bon Dieu" ? Voilà le nœud du problème !
J'ai eu une amie psychologue qui ne m'a jamais dit lors d'une discussion ou un quelconque échange sur un événement de l'actualité que j'avais tort. Parfois, je sentais bien que quelque chose de ce que je disais ne lui plaisait pas, l'amie très pédagogue, se contentait de prononcer ce mot magique : "c'est discutable !"J'aime bien ce mot "c'est discutable !". Si je ne suis pas de l'avis de quelqu'un, cela ne m'obligera pas, toutefois, de nier ni refuser catégoriquement son avis, mais d'en discuter. Discuter, faire se croiser les opinions, les idées, les arguments, c'est ça la vraie citoyenneté, c'est ça le civisme, c'est ça la meilleure pédagogie pour cultiver le vivre-ensemble dans la société.
Kamal Guerroua.
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