Disparition d’Emile : les limites des recherches cynophiles
Les grands-parents maternels d’Émile, un enfant de deux ans et demi, se sont aperçus de sa disparition samedi 8 juillet vers 17 h 45. « Quand ils ont voulu prendre Émile pour l'emmener, un quart d'heure après l'avoir réveillé de sa sieste, ils ont remarqué qu'il n'était plus là ". Entre-temps " ils avaient chargé leur voiture pour aller se livrer à une activité. (...) La famille est assez nombreuse », d'autres membres de la famille âgés entre 14 et 16 ans se trouvaient dans la résidence secondaire au Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence). L'appel à la gendarmerie est arrivé à 18 heures.
D'importants moyens de recherche furent engagés immédiatement : trente gendarmes, vingt pompiers, des centaines de bénévoles, des équipes cynophiles, des drones, un hélicoptère avec caméra thermique, un enregistrement de la mère d’Émile a été diffusé par mégaphone. « Des équipes cynophiles avec une dizaine de chiens sont intervenues ce (lundi) matin à la rosée pour faciliter le traçage des odeurs. (...) Quelques marquages qui donnent lieu à vérification. (...) C'est un élément relatif. Nous sommes en milieu rural, il peut y avoir des éléments parasitant pour l'odorat des chiens ».
Deux personnes ont aperçu l'enfant « en train de quitter le lieu de résidence de ses grands-parents puis dans une rue descendante ». L'enquête pour « disparition inquiétante de mineur » a été confiée à la section de recherches de Marseille. Le parquet de Digne-les-Bains a lancé un appel à témoins « toute personne ayant traversé le secteur pour se rendre à Barcelonnette et dans la vallée de l'Ubaye ou pour redescendre vers Nice, Grasse, Draguignan et Aix-en-Provence ».
La thèse de l'enlèvement est improbable selon le maire. « Le Haut-Vernet, c'est un cul-de-sac. On voit tous les passages de voitures. Vous imaginez, on est en Haute-Provence, un petit village dans lequel il y a une vingtaine de maisons, on voit tout. Après qu'il soit passé sur un chemin et que quelqu’un soit passé… On peut tout imaginer, mais c'est plus qu'improbable à mon avis. Ici, chaque voiture qui passe est auscultée, c'est comme ça, c'est la vie de village ». Émile est considéré comme un enfant qui est « un très bon marcheur et il y a des zones dangereuses où il aurait pu glisser ». Le terrain autour de la maison est escarpé (on est à 1 300 mètres d'altitude). Il y a des pentes, beaucoup de foins, d’herbes hautes. Il y a multiplicité d’endroits où il peut s’arrêter. Les premières recherches sont restées concentrées dans un périmètre de 5 kilomètres autour de la maison des grands-parents ».
« On estime qu'en 48 heures, l'enfant aurait dû être retrouvé s'il était dans le périmètre des recherches initiales. La " quasi-totalité " des maisons du Vernet ont pu être fouillées. Des enfants ont été retrouvés, vivants, 72 heures après leur disparition et à quelques centaines de mètres seulement de l'endroit de leur disparition et endroit ayant fait l'objet d'une vérification ! « Les recherches reprennent mardi avec un dispositif adapté pour répondre aux besoins de l’enquête. L'accès au site de la disparition sera interdit ».
Quelle que soit la mission confiée à un équipage cynophile, elle est toujours le résultat de la compréhension maître et chien. L’olfaction lui permet de différencier des odeurs inodores pour l’homme. Le chien, selon la race, peut compter plusieurs centaines de millions de cellules réceptives nasales (l'homme n'en possède que 5 millions). Si on mettait les cellules olfactives du chien, côte à côte, elles occuperaient une surface de 7 m2 contre 0,5 chez l'homme. Le chien est capable de détecter dans l’atmosphère une concentration aussi faible qu’un trillionième (1.10-18). Il peut distinguer deux jumeaux, l’odeur d’un pied à travers une botte de caoutchouc, l’odeur dégagée par la crainte ou la colère.
Le chien piste les odeurs laissées sur le sol par le passage de l'’individu :
Le port de chaussures à semelle de cuir laisse une piste plus favorable que des semelles de caoutchouc.
Si l’homme est lourd, la piste sera plus facile à suivre que celle d’une personne plus légère.
Si deux pistes apparaissent, le chien aura tendance à prendre la plus facile (fausses pistes).
Il peut pister sur l’odeur d'herbes écrasées ou de la terre retournée.
Certaines races de chiens pistent sur les effluves, « odeurs » en suspension dans l’air : haleine, transpiration, odeur corporelle, caractéristique d’une alimentation, ou des vêtements.
Si l’odeur est faible, le chien piste sur les effluves et légèrement sur l’odeur. Si c’est le contraire, il inverse l’ordre. Certaines races de chiens ont une préférence pour l’une ou l’autre.
Si la personne a coupé à travers un cours d’eau, le chien qui utilise les effluves reprendra plus facilement la piste de l’autre côté.
Le Vernet traversé par une petite rivière (Le Bès) est entouré d’espaces cultivés et de bois sillonnés par des sentiers de randonnées et de VTT. Le hameau ,200 m plus haut que le village distant de deux kilomètres, est desservie par une départementale où deux voitures ne peuvent par endroit se croiser. Le climat y est celui de moyenne montagne (1300 mètres d’altitude), les journées sont chaudes et ensoleillées, les nuits plus fraîches (vent à 5 km /h, humidité 30 %).
Un très bon chien est capable de suivre une piste sur une dizaine de kilomètres ! Et dans des conditions favorables détecter l’homme à plus de 100 mètres et pister sur une trace qui remonte à une trentaine d’heures Plus la piste est fraîche, meilleures seront les chances de remonter la piste. Les conditions qui influent sur la piste sont :
Une atmosphère fortement humide, un ciel couvert, favorise la rétention des odeurs qui ne peuvent s'évaporer.
A une heure du lever ou du coucher du soleil, l'évaporation est plus lente.
Plus le temps est sec et chaud, plus il favorise l’évaporation de l'odeur.
Si le sol est plus chaud que l'air, il y a apparition d'effluves.
La nébulosité avec un plafond bas limite l'évaporation.
La végétation épaisse limite la dissémination des traces en agissant comme coupe-vent.
Le vent peut disperser l’odeur et effluves.
La pluie peut laver l'odeur.
Un terrain sablonneux, silice et sec s'oppose à la piste.
Une température trop basse peut contribuer à réduire l’odeur caractéristique ou réduire le seuil olfactif du chien.
Une odeur forte (transpiration, parfum, crasse, nourriture, vêtement, blessure qui saigne, alcool, médicament, améliore la piste.
Un sol dur (macadam, pierre) retient mal les odeurs.
Dans un milieu rural, l’odeur d’animaux, de fumier peut masquer la piste et distraire le chien.
Le franchissement d’un cours d’eau dissipe rapidement l’odeur.
Les très fortes pluies lavent la piste.
Les traces laissées dans la neige seront conservées grâce à l’humidité du sol.
La couche de neige s’opposera à la trace en la recouvrant.
L’humidité nocturne et la réduction du vent favorisent la conservation de la trace.
En ville, le trafic, le bruit et les odeurs ne sont plus caractéristiques, et la pollution s’oppose à la trace.
En terrain découvert : colline, vallée, couvert, bois peuvent affecter la vitesse et sa direction et fausser la piste.
Sous les lignes à très haute tension, le crépitement et l’ionisation de l’air peut déranger le chien.
Les champs cultivés avec l’imprégnation d’engrais atténuent la trace. La substance qui s’en dégage stimule le nerf olfactif et une exposition prolongée entraîne la sécrétion de mucus obturant les cellules olfactives du chien.
En intérieur, les appels d’air peuvent déplacer l’odeur ou porter celle d’un animal domestique et perturber le marquage ou les réactions du chien. Il pourra marquer dans une pièce, alors que la personne recherchée sera peut-être dans une pièce voisine.
Si l’odorat du chien est exceptionnel, sa vue est médiocre. Il ne distingue pas les couleurs (il voit tout en bleu-vert). L'emplacement de ses yeux lui permet d'avoir un champ de vision supérieur de 70 % à celui de l'homme, mais il décèle plus le mouvement que la forme. Par contre ses facultés auditives sont très performantes. L’orientation du pavillon de ses oreilles lui permet de localiser la direction d’un son. Il perçoit les sons de 15 hertz à 60 kilohertz (ultra-sons) et décèle un huitième de note, ce qui lui permet, où l'homme n'entend qu'un seul son, d'avoir une nuance incomparable. Ne vous étonnez s'il reconnaît votre voiture, il en a mémorisé la « signature » sonore. Par contre, dans les ordres verbaux donnés au chien, il perçoit plus la décharge émotionnelle et l’intonation que le mot.
Tout au long de son histoire, l'homme a toujours été accompagné par les chiens. La relation entre l'homme et le chien remonte à l'apparition du tomartus (chien loup) ancêtre de tous les canidés. L’assistance du chien dans un concept moderne date seulement de la fin du 19è siècle. Le premier programme de chien « policier » est apparu à Ghenten en Belgique et son succès a retenu l'intérêt de toutes les polices occidentales.
Chaque race de chien a ses spécificités. Un chasseur en plaine ne prendrait pas un chien destiné à la chasse dans les marais. Médor a ses préférences : animaux à poils, à plumes, pour le terrier, blessé, fauves, cavage (truffe), etc. Il en va de même pour les chiens de recherches : pistage, sauvetage, en décombres, d'avalanche, de cadavres, etc. Le berger allemand est très polyvalent, le labrador plus apte aux trafics (douanes) et à la police scientifique (incendies). Le malinois a la préférence des groupes d'intervention, et le Saint-Hubert (patron des chasseurs et des forestiers) est souvent engagé là où les autres chiens ont manqué de flair.
Les premières recherches étant restées infructueuses, le village a été bouclé mardi matin, et des moyens spécialisés, dont 80 gendarmes et 10 sapeurs du REG (Légion étrangère) spécialisés en recherche de cache ont été envoyés au Vernet. « Les 30 bâtiments du hameau ont été totalement visités, 25 personnes ont été entendues, 12 véhicules ont été visités et 12 hectares ont été ratissés. (...) Des moyens spécialisés à la recherche de traces et d'indices vont désormais être déployés. Les recherches déjà menées n'ayant pas permis de repérer le petit garçon dans le périmètre initial de 5 km autour du hameau du Haut-Vernet et ses 25 habitants, là où Émile a disparu, à quelque 2 kilomètres au-dessus du village du Vernet. (...) Toutes les hypothèses restent d'actualité, aucune n'est privilégiée et aucune n'est exclue ». Point-presse du procureur de la République mardi 11 juillet à 18 h.
Des « anciens » du village évoquent l'assassinat de la patronne du Café du Moulin en 2008 ; la plaque au Vernet qui rappelle la disparition des 149 passagers survenue lors du suicide du pilote de la German Wings, Barcelone-Düsseldorf en 2015 ; la disparition de Yanis, 3 ans, disparu à 60 km du Vernet en 1989 et jamais retrouvé. Une disparition d'enfant n'est jamais un fait divers.
La recherche d'un enfant en bas âge est bien plus ardue que celle d'un adulte. Un enfant d'une trentaine de mois ne peut aller bien loin, mais il peut marcher, courir, grimper, escalader, ramper et se cacher dans un abri minuscule. Est-il habituellement encouragé par une figure parentale lorsqu'il accomplit un « exploit » ? Est-il audacieux (risque d'accident), timoré (il se réfugie dans un coin), ou peut-il se lancer à la poursuite d'un animal (risque de se perdre) ? A-t-il voulu rejoindre ses parents ? La « crise des deux ans » peut inciter l'enfant à l'autonomie, mais en cas de difficulté il ne peut se tirer d'un mauvais pas (manque de force physique) et manque de repères spatiaux temporels. L'enfant est dénué de toute logique, aussi peut-il être partout et nulle part.
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