Dissolution : pourquoi ?
"Un séisme politique, un coup de tonnerre"... les mots utilisés sont très forts pour commenter la décision prise par Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale, le soir des Elections européennes, après les très bons résultats du RN et de l'extrême droite...
"Pourquoi ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il décidé d'annoncer la dissolution de l'Assemblée et de prendre le risque d'une arrivée au pouvoir du Rassemblement National qui était en tête dans 93 % des communes françaises ?
Audace ou inconscience ? Coup de poker d'un apprenti sorcier ou respect du verdict des urnes ? Emmanuel Macron est-il en train de jouer son avenir et l'avenir de la France à la roulette russe comme le pensent certains ? Ou était-il indispensable de redonner de l'oxygène à une démocratie à bout de souffle ?
Le journaliste Jean-Michel Aphatie avait prédit il y a plusieurs mois une dissolution inéluctable de l'Assemblée avant la fin du quinquennat. Mais pourquoi maintenant ? Aphatie parle d'un hara-kiri politique...
Acte désinvolte ou piège bien pensé ?
Selon Perrine Simon-Nahum, philosophe, ce qui se passe est mauvais pour la démocratie, parce qu'Emmanuel Macron confond démocratie et démagogie.
David Djaïz, essayiste, tente de réconcilier le peuple avec la démocratie dans ses ouvrages et dénonce aussi un système à bout de souffle. Il a travaillé un temps avec Emmanuel Macron puis s'en est éloigné.
Jérôme Sainte-Marie, politologue, directeur de l'école de formation des cadres du RN parie, lui, sur un état de grâce en cas d'arrivée à Matignon de Jordan Bardella.
Jean-Michel Aphatie dit que tout cela lui paraît très inquiétant : "Emmanuel Macron ne maîtrise rien du tout. Il y a une dissolution qui est compréhensible pour l'opinion publique... après les motions de censure à l'Assemblée, le pouvoir dit : "on veut nous empêcher de gouverner, des gens qui n'ont rien en commun veulent nous empêcher de gouverner, donc je dissous, je vous redonne la parole." Il y a un récit qui est fait auprès de l'opinion publique.
Le récit est celui d'un homme accablé par je ne sais pas quoi, et je ne sais pas de quelle manière il est accablé mais je crois que cela n'est qu'un problème individuel, ce n'est pas un problème politique... un homme accablé qui constate que 32% des gens ont voté pour le RN, ce que prédisaient tous les sondages. Mais il dit quoi Macron ? Il dit : "Vous en voulez encore ? Eh bien, vous aurez l'occasion aux élections législatives, de voir, allez-y parce que là, c'est sérieux, les Européennes, c'est du flan."
Et Aphatie ajoute : "Je pense que nous ne sommes pas dans la normalité, je crois qu' Emmanuel Macron est plutôt dans une phase de dépression personnelle, de refus du pouvoir, d'appel à l'aide que dans une démarche politique réfléchie. Je trouve ça formidablement inquiétant."
Arthur Chevallier, historien, lui n'a pas trouvé Emmanuel Macron dépressif, il était selon lui de très bonne humeur, d'un optimisme incroyable. "La personne qui a le moins peur du RN, c'est Emmanuel Macron. Je veux dire par là qu'il y a une envie d'en découdre."
Marc Lazar, historien, a été, comme beaucoup d' autres, surpris de la décision d'Emmanuel Macron et dit : "Pour ma part, je ne sais pas si Emmanuel Macron est dépressif... effectivement c'est un pari, un pari très risqué mais assez habile d'abord parce qu'il met les Républicains face à leur dilemme : est-ce que certains d'entre eux vont s'allier avec le RN ? Il plonge la gauche dans une situation de crise. Je pense qu'il pense qu'il y a un réservoir d'électeurs, malgré tout, malgré le rejet profond dans la société. Sur la temporalité, on savait qu'il y aurait une dissolution, et là il a pris l'offensive, il a pris à contre pied tout le monde."
Perrine Simon Nahum précise sa pensée : "Macron se dit que les électeurs seront rationnels et que de toutes façons, ils feront le choix de la démocratie, sans s'apercevoir que la démocratie n'est pas éternelle et que la démocratie peut ne pas l'emporter. Je crois qu'il confond majorité et légitimité, il est dans une position tellement difficile (et c'est une position qu'il a aussi contribué à créer et à faire perdurer) que même s'il avait la majorité, d'une certaine façon, il n'aurait pas la légitimité, pas plus qu'il ne l'a eu avant, parce que, en désignant un seul adversaire, finalement tout le monde va dire : "On s'est rallié à Macron, mais ça n'est pas un vote d'adhésion, c'est un vote contre le RN."
David Djaïz renchérit : "C'est incroyablement dangereux, le soir où le RN et l'extrême droite font plus de 40% des voix, à un mois de l'ouverture des Jeux Olympiques, dans une situation où on va probablement changer de gouvernement, donc changer de ministre de l'intérieur, où l'on va peut-être avoir Jordan Bardella, Marion Maréchal, Thierry Mariani, alors que la guerre fait rage en Europe et que Poutine est en train d'agresser l'Ukraine, donc c'est une aventure qui paraît particulièrement hasardeuse et ce caractère hasardeux est renforcé par le fait que nous n'allons avoir que trois semaines pour battre la campagne. En trois semaines, on n'a pas le temps de construire une offre politique alternative ou un véritable programme politique. Donc, on va avoir de vieux réflexes qui vont reprendre le dessus. Et face à ce désir de RN qui est une déferlante dans le pays, il n'y a pas de raison que cela s'arrête."
Jérôme Sainte- Marie dit alors : "Le ressort de la peur, à force d'avoir été utilisé, est de plus en plus distendu et c'est pour ça que je pense qu'il fonctionnera très peu lors des seconds tours."
Lucile Schmid, essayiste, femme politique a un tout autre point de vue : "Moi, je trouve qu'Emmanuel Macron a eu raison de dissoudre. Le RN est un parti attrape-tout des colères. On vote virtuellement pour le RN qui n'exerce jamais le pouvoir. Emmanuel Macron nous rappelle une chose : c'est que si le RN a par exemple 150 députés de plus, eh bien il se trouve dans une situation de majorité relative, comme l'est aujourd'hui Emmanuel Macron et donc cela modifie complètement le rapport de force gouvernemental, et donc la question du rappel à la réalité sur le vote en faveur du RN-moi je me souviens du 21 avril 2002, quand Lionel Jospin a été éliminé au premier tour de l'élection présidentielle, je me souviens de ce traumatisme- donc on ne sait pas ce qui va se passer."
Jean-Michel Aphatie reprend alors la parole : "Quel objectif politique Emmanuel Macron poursuit-il, sinon celui de perdre le pouvoir ? Tous les propos que j'ai entendus là conduisent au même constat : après son action d'éclat, il va perdre le pouvoir. Est-ce que vous avez le souvenir d'un homme politique calculateur, accroché au pouvoir qui a agi comme ça ? Moi pas ! Demain, il va faire une conférence de presse ! Mais enfin, cela fait 7 ans qu'il est au pouvoir ! Qu'est-ce qu'il va nous improviser une campagne législative pour 15 jours, il va nous sortir des mesures du chapeau ? Il a des idées qu'il n'a jamais dites avant ? Mais on se fout de la gueule du monde ! C'est une pantomime à laquelle nous assistons... Vous parlez de réalité ? Ouvrons les yeux ! C'est un théâtre incroyable !"
David Djaïz, essayiste, enfonce le clou : "C'est vrai qu'il y a une montée des populismes un peu partout en Europe, mais en France la situation est pire ! On a quand même une mémoire de poisson rouge : depuis 2018, on a vécu 3 crises sociales majeures qui ont impliqué les catégories populaires, les Gilets jaunes, le mouvement des retraites, et les émeutes dans les banlieues. Pour les émeutes dans les banlieues, on avait promis une réponse majeure, magnifique, et puis rien... donc on a une France des classes moyennes et des classes populaires qui a un problème, qui est en dépression nationale et qui s'appauvrit. Il y a trois ressorts principaux : le sentiment du mépris, deuxièmement, "je paie des impôts, des charges et de plus en plus et j'en ai pas pour mon argent : l'école se dégrade, la désertification médicale, les problèmes de sécurité", la troisième chose, c'est qu'on a le sentiment d'un avenir confisqué : mondialisation, on a perdu au change, exode rural, on a perdu au change, transition écologique, on va encore se faire avoir..."
Alors ? Folie inconsidérée ou calcul politique habile ? Ce qui paraît sûr, c'est que la suite est très incertaine...d'autant que le moment est particulièrement mal choisi avec les Jeux Olympiques qui se profilent ainsi que les congés d'été durant lesquels beaucoup de gens partent en vacances.
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2024/06/dissolution-pourquoi.html
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