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Accueil du site > Tribune Libre > Dix années de Précarité : Partie I

Dix années de Précarité : Partie I

Alors que les universitaires sont dans la rue, il faut parfois savoir témoigner d’une simple expérience pour montrer d’autres perspectives permettant de comprendre le problème de la recherche et de l’université aujourd’hui, celui des chercheurs précaires, des sans grades et sans statuts. Au dela d’un parcours, d’un témoignage, ce texte n’a que la prétention de décrire un vécu. Certains éléments sont évidemment édulcorés pour montrer l’essentiel.

Mon parcours initial ne me préparait pas à la précarité. Au contraire, j’avais été élevé dans une forme de culte de la compétence et du modèle républicain.En fait, mon idéal sûrement naïf reposait sur le fait que pour se réaliser il suffisait de réussir un parcours scolaire et universitaire. Faire ses choix en fonction de ses propres valeurs. Je veux donc aujourd’hui témoigner. Je suis issu d’une famille monoparentale. Ma mère était femme de ménage dans une maison de retraite et rêvait que son fils bosse « juste après le bac ». Elle n’avait pas d’ambition pour lui car consciente de sa petite condition. Mais cette modestie ne fut pas exaucée. J’avoue…

D’ailleurs, elle riait souvent en me rappelant que tout gamin je lui sermonnais que je ferai des études jusqu’à trente ans… J’ai donc été conquis très vite par l’étude et la connaissance, allant jusqu’à préférer lire un Zola plutôt que des vacances à la mer.N’aimant pas le principe restrictif des classes prépa et des écoles d’ingénieur, je me suis tourné vers l’Université à la sortie du Bac « C ». Après des études à Toulouse et le cumul de plusieurs maîtrises de sciences réussies, j’ai alors opté pour faire le célèbre de DEA de l’Institut Pasteur : mention virologie fondamentale. Là, le provincial que j’étais s’est confronté à un monde universitaire parisien et à ses discriminations : ceux qui venaient des facs parisiennes étaient bien « meilleurs » automatiquement que ceux venant des régions… phrase que j’ai pu entendre plus tard dans les réunions d’une Ecole Doctorale très prisée de la capitale lorsque j’étais représentant des doctorants. Il y avait également ceux qui étaient boursiers sociaux et ceux qui bénéficiaient d’un statut doré comme toujours. A la même période, j’ai également découvert le premier chercheur de ma carrière. Sur lui, on aurait pu faire une étude d’ethnologie à part entière. Assez particulier d’ailleurs, il démarrait sa journée en pensant au prix Nobel, en parlait souvent et se comparait volontiers à Tony Blair. Le blabla classique du narcissique… Ce Tony et lui étaient du « même age », avaient les « mêmes idées » mais excellaient différemment. Oui, c’était bien avant les guerres irakiennes. Au bout du DEA, la Bourse de thèse ne me fut pas attribuée, évidemment. Un déficit d’encadrement avait fait son œuvre, ce qui est également banal pour les Masters d’aujourd’hui. Et c’est ainsi que mon parcours difficile s’orienta vers l’autre monde : le monde précaire.
 
Réalités. Tout d’abord. Un étudiant sortant de DEA, surtout sans bourse, c’est parfois l’entrée dans les « galères ». Il est donc difficile de trouver rapidement un laboratoire de thèse et il est encore plus dur de trouver un financement. Mais, après six mois environ d’attente dans un « vivautage » étudiant, je suis tombé sur un futur directeur de l’INSERM. Lui, toujours tout feu tout flamme, me parla d’Amérique et de CDD… je signais alors mon CDD et lui laissais le document à contresigner avant de partir à l’autre bout du monde… Parti aux USA, je découvris que finalement mon contrat se changeait en embauche « made in USA », le contrat en effet n’avait pas été contresigné… j’allais être payé à la semaine, exit le droit au chômage à la fin du contrat… Les approximations allaient s’accumuler jusqu’à ce que je fasse le choix de quitter ces montages scabreux. Plus tard, je vis ce patron français être emporté dans une affaire mêlant découverte, société privée et conflits d’intérêts... Revenons au parcours. Au retour des USA, je battis le pavé parisien et je réussis à faire une thèse… peu financée… oui, quand on met le doigt dans l’engrenage de la précarité, il est rare qu’elle ne vous poursuive pas longtemps. Au bout de quatre années, après avoir subi le lourd labeur d’un travail de thèse, j’ai pu « présenter » et « recevoir les félicitations » d’un jury totalement acquis à mon laboratoire. Le plus pathétique était qu’un des examinateurs était l’épouse du meilleur ami de mon encadrant, l’autre était son ancien mentor… Je suis encore choqué de voir que le jury était choisi ainsi. J’avais rêvé de personnages moins « impliqués » qui puissent me laisser exposer des idées librement sans avoir à réciter la « chanson » qu’on m’avait apprise… Je comprends également mieux pourquoi certains thésards pouvaient être descendu en flamme à l’oral de leur thèse pour ne pas avoir suivi les carcans dogmatiques de leur directeur. Un grand exemple fut celui d’Albert Einstein qui fut cassé très longtemps par son patron à la suite d’une thèse jugée « médiocre »…
 
Heureux de mon parcours et de ma thèse passée, je souriais... L’avenir était là, face à moi… plein d’espoir. J’avais en effet supporté la pesanteur d’un directeur de thèse durant plusieurs années ; celui-ci ne voyait que son parcours personnel et était réputé pour ses sauts de caractères… Directeur hyper autoritaire et finalement bien peu humain. Et ridiculement radin, ne remboursant pas forcément les sandwich qu’il commandait à ses sbires… C’est alors que commença la traversée du désert.
 
Longue marche… 43 mois de chomisme dur… pas un euro des ASSEDICS/ANPE, n’ayant peu ou pas cotisé… Au cours de cette période aride, j’ai pu croiser évidemment quelques vautours. Des chercheurs INSERM, des chercheurs CNRS, des professeurs d’universités… Ceux qui vous promettent un post-doctorat en échange d’un travail bibliographique intense sur plusieurs mois. Ceux qui vous font attendre des réponses sur des semestres entiers puis vous « oublient ». Ceux qui vous font vous déplacer pour se payer votre tête avec une certaine méchanceté proposant des postes de techniciens ou de laborantins… Durant ces quatre années, j’ai néanmoins croisé des mouvements importants. J’ai participé à la montée en puissance de Génération Précaire, puis soutenu Jeudi Noir et la « France qui se lève tôt ». J’ai versé dans le journalisme toujours à titre gratuit… bref, quatre ans de précarité « active » qui ont fait de moi ce qu’on appelle un modeste « nouveau militant »… Il y a un bémol. Pour arrondir la vie, j’ai alors glané dans Paris… j’ai récupéré sans vergogne ce que la France d’en haut jetait… cette France qui jette plus vite qu’elle ne consomme… Quatre années passées à flirter, tous les matins, avec les poubelles du 16ième mais toujours avec l’espoir de faire un post-doctorat. D’être enfin reconnu pour ma compétence. J’ai gardé de cette période quelques images. Les premiers moments où l’on se met à récupérer des objets « poubellisés » : c’est difficile. Plonger sa main dans des détritus pour prendre le journal du jour, un livre jeté ou tout autre chose n’est pas un geste naturel. Il faut passer par un renoncement et se dire qu’on n’a pas le choix. Puis le geste étant devenu automatique, j’ai pu trouver des moments sympathiques… la récupération de costumes jetés par des riches, quasi-neufs s’apparentait à mes yeux à une ironie sociale qui me faisait sourire. Le « must » était lorsque je participais, habillé en Hugo Boss de « récup », à des colloques dont les principaux invités vivaient sûrement dans les beaux quartiers.

Je fus un jour amusé de voir le soir un intervenant d’une table ronde très « select » alors que je l’avais croisé le matin même en faisant ma besogne de « récupération ». Outre ces sentiments, j’ai observé la vague de précarité montante. Les chômeurs qui se lançaient dans les poubelles quels que soient les diplômes, les retraités qui faisaient de même puis des gens qui n’arrivaient pas à joindre les deux bouts pour finir par des familles qui arpentaient les mêmes rues et quartiers. Puis aussi, ceux qui cherchaient à manger en récupérant les denrées alimentaires jetées par des supermarchés, souvent sous l’invective des propriétaires des lieux. J’ai vu cette vague de misère s’abattre sur Paris… Il y a eu des moments poignant dont cette maman avec son gamin avec qui j’avais échangé quelques mots autour d’une poubelle bien garnie. Elle était ravie de glaner quelques vêtements d’enfant « pile à la taille de son petiot ». J’étais heureux pour elle mais constatant au fil de la conversation qu’elle se sacrifiait totalement… Tout tournait autour de son fils… elle endurait souvent des soucis de santé plutôt que de dépenser. Que sont ils devenus ? Ils avaient juste le tord d’être pas très riches et un peu seuls dans cette société devenue un tantinet « égoïste » ou « décomplexée ». Enfin, j’ai échangé aussi avec ces SDF qui se faisaient insulter par les riverains pour seulement essayer de survivre dans des tentes, bien avant l’arrivée des célèbres enfants de Don Quichotte. Eux aussi augmentaient en nombre. Au travers de ces contacts poignants, je m’éloignais alors de ce statut de Docteur en Science pour me fondre émotionnellement avec ces hommes brisés, affamés, cassés mais chez qui je reconnaissais toujours une magnifique dignité. Oui, dans chaque pauvre, précaire, clochard, il existe une histoire, une rupture et dans chacun j’ai toujours vu une extrême capacité de solidarité. C’est avec beaucoup d’estime que je vis plus tard les frères Legrand faire feu de tout bois pour ceux qui me touchaient le plus. La crise n’avait pas attendue les « subprimes » pour frapper toute une population fragile de notre douce France. Mais continuons l’histoire. Ensuite, il y eu l’espoir : une résilience sociale.

La Partie II. pour bientôt...

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3 réactions à cet article    


  • Philou017 Philou017 21 février 2009 15:27

    Edifiant.


    • Epeire 21 février 2009 23:35

      Si on m’avait dit que les choses iraient à ce point... Je comprends mieux pourquoi on parle d’un effondrement des vocations pour faire un doctorat.

      A l’auteur => Dans le cas où ça ne serait pas l’objet de votre 2eme partie, comment voyez vous la réforme LRU et le décret qui a mit les enseignants-chercheurs dans la rue ?


      • Romain Desbois 23 février 2009 00:11

        Merci à l’auteur de nous avoir livré ce témoignage poignant et oui très édifiant.
        Hélas l’article n’est pas assez racoleur pour susciter nombre de commentaires.
        Mais peut-être quà la lecture , on reste sans mots.
        j’ai moi même hésité.
        Mais sachez que l’important n’est pas la quantité n’est-ce pas ?
        La qualité de votre article le prouve à lui tout seul.

        Merci encore

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