Djibouti : une politique de l’autruche qui risque d’envoyer le pays dans le mur
Après plusieurs mois de tensions politiques dans la petite république de Djibouti, l'opposition accuse encore le président sortant Ismaël Omar Guelleh (IOG) de ne pas respecter l'accord-cadre de sortie de crise signé par les deux parties le 30 décembre 2014. Qu’en est-il vraiment ?
A son arrivée au pouvoir en 1999, Ismaël Omar Guelleh avait le vent en poupe. L'homme fort de Djibouti, élu avec près de 74 % des suffrages, mène une politique de développement de l'économie nationale dans l'objectif de sortir le pays de la crise économique des années de guerre. À travers une politique de privatisation massive, une refonte globale du système éducatif et un effort accru pour réduire le chômage, il redresse la situation économique du pays.
Une élection présidentielle sous haute tension
Quinze ans plus tard, le bilan est moins glorieux. Depuis les législatives de février 2013, la crise politique n'a cessé d'empirer. L'opposition unie sous la bannière de l’Union pour le salut national (USN) avait alors remporté 52 sièges de députés à l’Assemblée nationale, mais IOG a refusé de reconnaître ses sièges et s’est lancé dans une fuite en avant qui a débouché sur une vraie crise post-électorale.
En décembre 2014 un accord-cadre de sortie de crise est finalement signé. Il prévoit, notamment l’adoption d’un statut de l’opposition et d’un code de bonne conduite pour les partis politiques et une réforme instituant une Commission électorale nationale indépendante (CENI). Ce dernier point, particulièrement crucial a finalement du mal à être appliqué. Le chef de file de l'opposition djiboutienne, Ahmed Youssouf a sur ce point tiré la sonnette d'alarme : "il n’y aura pas d’élection en 2016 dans le pays sans une commission électorale nationale indépendante (CENI) crédible."
Toutes les clauses de l’accord-cadre devaient être réalisées au 31 janvier 2015 - il y a presque huit mois. Le pouvoir, s’il dit oui à quasiment toutes les revendications, a du mal à mettre en œuvre les solutions demandées. Pour ne rien arranger, IOG a décidé de se servir de la réforme constitutionnelle adoptée en avril 2010 pour briguer un troisième mandat lors de la prochaine élection présidentielle en avril 2016. S’il ne l’a pas annoncé officiellement pour le moment, sa campagne électorale est d’ores et déjà en marche et ses opposants craignent une répétition des évènements de 2013 alors que l’alternance dans le pays semble menacée.
La Chine, une alliée de confiance ?
Le Bilan économique d'IOG n'est pas glorieux non plus. S'il avait, durant ses première années au pouvoir, remis sur pied un pays plombé par les divisions et la mauvaise gestion, la situation à Djibouti s'est considérablement délitée depuis une dizaine d'années. Alors que le taux de chômage est de 60 % (celui des jeunes (18-25 ans) va même jusqu’à 70 %), presque 80 % de la population vit dans la pauvreté. Il existe aujourd'hui à Djibouti un sérieux problème d'énergie, de logement, d'infrastructure et d'accès à l’eau. Dans le classement de Transparency International (principale ONG de la société civile de lutte contre la corruption), le pays se situe à la très déshonorable 107ème place sur un classement de 170 pays. L'Indice de Développement Humain (IDH), lui, place Djibouti au 170ème rang sur 187 pays. Bref, c'est la débandade.
Conscient des difficultés que traversent aujourd’hui son pays, IOG n’est pas inactif et garde son ambition d’antan. Il souhaiterait en effet à terme voir Djibouti se transformer en un petit Singapour Africain. De grands travaux sont ainsi en marche dans le pays, mais ceux-ci nécessitent des prêts importants. Et alors que ses anciens créanciers, la Banque mondiale, l’UE et les Etats-Unis principalement, n’accordent des prêts qu’à conditions d’avoir un droit de regard sur les travaux et les conditions dans lesquels ils sont faits, IOG s’est tourné vers la Chine, plus permissive.
Une bonne idée sur le papier qui risque en fait d’enfoncer le pays à moyen terme. La Chine compense en effet la fluidité de ses apports par des conditions de prêt drastiques. Environ 45 % des 112 % du PNB de la dette de la République de Djibouti est constituée de prêts chinois, consentis pour la plupart au cours de ces cinq dernières années dans des conditions pas vraiment favorable au pays africain. L'Exim Bank of China propose ainsi un remboursement prévu en dix ans, sans période de grâce et un taux d'intérêt supérieur à 5 %. La Banque mondiale (BM), ancienne bailleuse de fonds du pays affichait un taux d'intérêt de 2 %, avec l'étalement des remboursements sur trente ans et une période de grâce de plusieurs années permettant de ne rembourser le principal qu'une fois le projet réalisé et rentable.
Un effondrement économique du pays serait d’autant plus inacceptable que Djibouti dispose d'un potentiel très important, par son implantation exceptionnelle - à quelques kilomètres du Yémen et à la porte du monde Arabe, entouré de pays hautement volatiles et donc économiquement peu viables. Sans oublier l'implantation des bases occidentales sur le territoire djiboutien qui constituent une manne considérable. Si la situation persiste, IOG risque de l'enfoncer dans une situation fiscale invivable et de le livrer pieds et mains liées au géant chinois, dont la stratégie d'impérialisme économique sur le continent africain est connue de tous.
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