Donald Trump, malgré tout !
Les Américains l’appellent “Deep State“ (“Etat Profond“), et non, cela n’a rien à voir avec un film érotique des années 70. Le Deep State, c’est, en son cœur, la technocratie de l’Etat fédéral. C’est aussi, de manière plus extensive, l’ensemble de l’écosystème qui gravite autour, participe et bénéficie du pouvoir de l’Etat : complexe militaro-industriel, grandes banques “too big to fail“, “mainstream media“ (New York Times, Washington Post, CNN), groupes de pression, organisations internationales etc.
Aux Etats-Unis comme dans les autres pays occidentaux, le Deep State a conquis une situation dominante dans la société. Les politiciens passent, le Deep State prospère. Mais si, en France, des siècles de centralisme monarchique nous ont mithridatisés contre toute velléité d’indépendance, les Américains se souviennent encore de l’époque pas si lointaine de la Conquête de l’Ouest, quand les pionniers vivaient en communautés autogérées et le Gouvernement fédéral n’était qu’une lointaine abstraction. Ce n’est qu’à partir du New Deal, dans les années 30, que celui-ci s’est étoffé et que s’est constituée une classe sociale distincte et relativement homogène de technocrates, imperméable aux aléas électoraux et dominante. Domination qu’elle estime méritée, d’ailleurs : Washington DC attire toute une méritocratie diligente et ambitieuse, souvent diplômée des universités de l’Ivy League (les “grandes écoles“ américaines), et généralement animée des meilleures intentions.
Pour le Deep State, il y’avait une et une seule candidate possible aux élections présidentielles de 2016 : Hillary Clinton, l’hyper-technocrate, “la candidate la plus qualifiée de toute l’histoire des Etats-Unis“. A Washington DC, Hillary Clinton reçut 91% des votes, contre 4% pour Donald Trump. Aussi, quand Donald Trump, “ le candidat le moins qualifié, etc.” débarqua à Washington DC, il y fut à peu près aussi bien reçu qu’un double-cheeseburger dans une convention de supermodèles. Ce n’était pas seulement les failles béantes du personnage (narcissisme, vulgarité, inculture, inconstance, rapport fantasque à la réalité) qui choquaient. Plus grave : en élisant un tel personnage, les Américains passaient outre les injonctions du Deep State, et manifestaient qu’ils n’étaient plus disposés à accepter sa tutelle. Ils adressaient un “ f... you ” géant à Washington.
La tectonique des plaques
Dans “Prospérité, Puissance et Pauvreté“, les économistes Daron Acemoglu et James Robinson comparent les régimes politiques “extractifs“, où une minorité contrôle le pouvoir et le détournent à son profit pour “extraire“ des rentes, aux régimes “inclusifs“, où le pouvoir politique est largement partagé et aucune minorité n’est en mesure de l‘accaparer. Les pays “extractifs“ se sclérosent et périclitent tandis que les pays “inclusifs“ innovent et prospèrent. Les mérites et les tares respectifs de l’élite (qu’elle soit méritante ou corrompue) et du peuple (qu’il soit vertueux ou ignare) sont secondaires : quand une classe sociale est en mesure de détourner le pouvoir politique à son profit, elle abuse de ce pouvoir. Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie. L’analyse vaut pour la Venise médiévale, pour la France d’Ancien Régime comme pour l’URSS communiste. Elle vaut tout aussi bien pour les Etats-Unis d’aujourd’hui.
Il y’a d’un côté un Deep State qui ne cesse d’étendre ses tentacules (à titre indicatif, le “Registre Fédéral“ des règlementations a atteint un niveau record de 97,110 pages à la fin de 2016, contre 79,435 à la fin de 2008, quand Barack Obama est arrivé au pouvoir, et un minimum de 44,812 pages sous Ronald Reagan). Chaque règlementation, individuellement, fait sens, c’est leur accumulation qui asphyxie la société. Le Deep State n’est pas intrinsèquement « mauvais », il ne complote pas contre le peuple. Mais comme toute classe sociale, il tend à maximiser son influence et à avancer ses intérêts. Faute de contre-pouvoirs suffisants, ceux-ci divergent irrésistiblement de l’intérêt général. Selon le maire (Démocrate) de New-York, les gens “adoreraient avoir un gouvernement très, très puissant, directement impliqué dans leur vie quotidienne“. Vraiment ? Vérité en deçà des Appalaches, horreur au-delà.
De l’autre côté, un peuple qui, à l’ère de l’Internet, exige proximité et horizontalité, et qui perd l’habitude de s’en remettre aux autorités supérieures.
La tectonique nous enseigne que quand deux plaques se rencontrent, cela produit un tremblement de terre. Ce tremblement de terre a pour nom Donald Trump.
C’est un canard, Donald !
Dès le lendemain de l’élection présidentielle, les Démocrates ont élaboré leur contre-attaque : ce déplorable que le peuple a élu, peut-être pourrait-on l’éjecter avant la fin de son mandat ?
Quand des emails compromettants pour Hillary Clinton, démontrant les tricheries du Parti Démocrate, le Democratic National Council (DNC), en sa faveur et contre de son concurrent Bernie Sanders, ont été publiés sur Wikileaks, le DNC a immédiatement appliqué le “Théorème Pasqua“ : “Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien.” “L’affaire dans l’affaire“, c’était la révélation que le serveur du DNC avait été piraté par les Russes. Or Donald Trump aime bien Vladimir Poutine, donc il est complice, CQFD. S’en sont suivis six mois de battage médiatique sur le thème de “Donald Trump, agent russe ”. Las ! Plus l’enquête avance, plus elle revient en boomerang. Non seulement il n’y aurait pas eu de piratage russe, mais tout indique qu’il s‘agirait d’un coup monté du DNC. La révélation choc ne serait qu’une “fake news“, un “canard“ en argot journalistique français. Si cela devait être confirmé, cela porterait un coup mortel à la crédibilité de ces piliers du Deep State que sont le DNC, le FBI, qui a décidé de reprendre à son compte les allégations du DNC alors même que celui-ci refusait obstinément de le laisser inspecter le serveur prétendument piraté (ce refus même aurait dû lui mettre la puce à l’oreille) et les media qui ont entretenu l’hystérie autour d’un complot fantôme. Par ailleurs, d‘autres enquêtes concernant la Présidente du DNC et l’ex-Président du FBI sèment un doute sérieux quant à l’intégrité et a l’impartialité de ces personnages. En fin de compte, il n’y aura pas de prisonnier : Donald Trump sera « impeached », ou bien le DNC, les media dominants et, plus grave, le FBI auront perdu toute crédibilité et toute légitimité. Vae victis.
Voyant la théorie du complot russe chanceler, les media ont trouvé la parade : Donald Trump n’est peut-être pas un agent russe, mais il est nazi, comme l’a “démontré” sa réaction aux évènements de Charlottesville. Il a commis l’erreur, non, le crime, de dire : “Nous condamnons aussi fortement que possible ce révoltant étalage de haine, de préjugés et de violence, de toutes parts“. C’est le “de toutes parts“ qui était de trop : comment osait-il comparer les Antifas aux néo-nazis ? Fausse équivalence ! Outrage, indignation unanimes. Certes, les Antifas sont classés par le FBI et le Département de la Sécurité Intérieure (DHS) parmi les groupes terroristes, mais ce sont des terroristes de gauche, donc de bons terroristes. Après Charlottesville, les media attendaient avec une anticipation gourmande que la popularité de Donald Trump s’effondrât : c’est l’inverse qui se produisit. Caramba, encore raté : il s’avère que le peuple américain ne partage pas l’indulgence de ses élites envers les nervis masqués des Antifas. Les Démocrates durent du coup faire un virage à 180 degrés et bruyamment dénoncer à leur tour les Antifas, mais le mal était fait. Les media constatent avec effroi qu‘ils ont perdu leur pouvoir prescriptif : ils crient “traitre !“ et “Nazi !“, et ne récoltent en retour qu’une volée de tweets cinglants.
Le mérite de Donald Trump ne réside pas en ce qu’il a accompli, qui reste à ce jour en pointillés (réforme de l’Obamacare : échec. Réforme de la fiscalité -le code fiscal américain est un monstre de 75,000 pages- : en attente). Il réside en ce rôle de révélateur chimique du gouffre qui s’est creusé entre le Deep State et le peuple américain, et des extrémités auxquelles le premier est prêt pour conserver son imperium sur le second. Révélation libératrice et nécessaire afin de pouvoir construire la démocratie inclusive du XXIème Siècle.
En France, la classe mediatico-intellectuelle agite son éventail et respire ses sels : ce Trump, quel goujat, quel imposteur ! Seul Emmanuel Todd, plus perspicace, a compris le désir de renouveau démocratique que traduit l’élection de Donald Trump. Dans la classe politique, Jean-Luc Mélenchon perçoit la nécessité de dessaisir les élites de leur pouvoir afin de le restituer au peuple, mais son message est obscurci par son égotisme boursouflé et sa complaisance pour les tyrans exotiques. Certes, “L’Etat Profond“ français “tient“ mieux le pays que son équivalent américain, l’élection d’Emmanuel Macron en témoigne : la presse, abreuvée de subventions, est détenue par une poignée de milliardaires, la Justice réprime sans état d’âme les opinions trop dissidentes et les enfants de Colbert ne concevraient pas de se passer de la tutelle de l’Etat. Mais le péril se rapproche : les vents d’Outre-Atlantique ont la fâcheuse habitude de venir souffler chez nous. On veut croire que les Américains “redeviendront raisonnables” et que la Reine Hillary reviendra en triomphe dans un pays battant sa coulpe pour ses errements : rien n’est moins sûr. Entre les risques de la Révolution et la morne résignation à un ordre aristocratique, les Américains ont choisi. Après tout, ça ne leur a pas si mal réussi la première fois, en 1776.
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