Donbass, la révolution des va-nu-pieds
Pour la première fois depuis les débuts de l’ère managériale contemporaine,
une classe moyenne a « fait ce qu’une classe moyenne ne doit jamais faire »
En quoi ce qui se passe au Donbass nous concerne-t-il ?
En ceci que pour la première fois depuis les débuts de l’ère managériale contemporaine,
une classe moyenne a « fait ce qu’une classe moyenne ne doit jamais faire » comme l’écrit
si magistralement Zakhar Prilepine dans son dernier ouvrage Ceux du Donbass.
La classe moyenne locale a sacrifié son intérêt à court terme – un bon salaire contre sa
docilité – à l’idée qu’elle se fait de sa dignité et de son identité ; ou, si l’on préfère, elle a
choisi son être contre son avoir. Cela est d’une grande portée révolutionnaire.
Alors que la « révolution » du Maïdan, spectacle en mondovision et chef d’oeuvre
d’ingéniérie sociale, s’achevait en un alignement de bon aloi sur le modèle socioéconomique
dominant, la « réaction » née du Donbass créait le précédent peu médiatique
mais proprement inouï d’une auto-organisation populaire.
Comprenons que les insurgés du Donbass sont des gens du peuple (mineurs et paysans)
imprégnés de valeurs aristocratiques, une illustration chimiquement pure de la « décence
commune » orwellienne.
Alexandre Zakhartchenko, président de la République autoproclamée du Donbass, était
électromécanicien des mines quand il a pris son fusil et il est issu d’une lignée d’officiers
Cosaques dignes du panthéon militaire russe.
Cela fait de lui la synthèse vivante des deux héros de La grande illusion, le chef d’oeuvre
de Renoir : l’ouvrier Maréchal et l’aristocrate de Boëldieu qui se battent (les bourgeois sont
à l’arrière) parce qu’il y va de leur honneur et de la vie de leurs proches.
Aux premiers jours de l’insurrection, la bourgeoisie de Donetsk (managers, haute fonction
publique) a migré vers Kiev ne doutant pas que le bon peuple, livré à lui-même et donc au
désespoir, implorerait sans tarder son retour. Rien n’est venu.
Contrairement à ce que ressasse la presse occidentale, l’intérêt russe n’est nullement de
souffler sur les braises de l’insurrection : les oligarques moscovites ont été pris au
dépourvu, leur soutien est de pure forme car leurs comptes en banque sont souvent à
l’ouest. Convertis de fraîche date aux délices du mondialisme bancaire, ils prient pour que
retombe le soufflé insurrectionnel de Donetsk.
Le discrédit qui frappe des élites manageriales est d’observation courante à Moscou
comme à Washington et il serait dans la logique des choses que la ploutocratie, celle de
l’est comme celle de l’ouest, voit d’un mauvais oeil réussir une expérience de (vraie)
démocratie populaire.
Une révolution de gueux qui se prennent en main sans recourir à quelque idéologie
incapacitante de droite ou de gauche ne peut pas, ne doit pas réussir.
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Il y a dès lors fort à parier que l’Etat russe facilitera la réintégration du Donbass à l’Ukraine
pour peu que les apparences soient sauves et que Mère Russie ne perde pas la face.
L’éléphant d’une révolution mondiale antisystème se cacherait-il derrière la scène du
« fantasia chez les ploucs » ukrainien ?
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