Donnez-nous seulement des “nouvelles” nouvelles
Comme la grenouille qui finit par mourir de chaud dans l’eau qui chauffe tout doucement, notre civilisation meurt tout doucement, chauffée par la lente dérive de l’état d’esprit de médias.
Monsieur, ou Madame le ou la journaliste,
Cela fait des éternités que ça me brûle, que je n’en dors ni n’en digère plus, que je suis malade à l’envie de rédiger cette lettre. Mais voilà, je ne trouvais pas comment la commencer sans risquer de vous courroucer dès l’entête et penser jeté aux oubliettes du classement vertical le mot que je lance ici comme un cri du cœur, comme une bouteille à la mer. C’est bien aux médias que je m’adresse, mais c’est par vous, puis par votre comité de rédaction qu’il faut que cette lettre passe pour rester “ouverte”. Et vous avez, je le sais, le pouvoir tout-puissant de la fermer, de me la fermer.
Croyez bien que je ne doute pas de votre souci d’objectivité, nourri sans doute depuis de nombreuses années par de longues séances enfumées de comité de rédaction, mais aussi de longs séminaires ou congrès pendant lesquels vous sacrifiez vos fins de semaine pourtant bien méritées à chercher à établir les critères éthiques qui devraient régir votre belle profession.
Je comprends que la masse d’informations à traiter ne vous ait pas permis de les connaître toutes, c’est pourquoi je me permets de vous signaler deux d’entre elles.
Gödel a démontré en 1931 que, même en mathématiques, l’objectivité n’existe pas.
* Il se peut que dans certains cas, on puisse démontrer une chose et
son contraire (principe d’inconsistance). Que dire alors des
contradictions qui foisonnent dans les sciences humaines encore si
embryonnaires ?
* Il existe des vérités mathématiques qu’il est impossible de démontrer
(principe d’incomplétude). Dans tout système logique, il y a au moins un
postulat non démontrable. Que dire ici aussi des postulats qui
émaillent les sciences humaines encore si jeunes ?
Depuis cette époque, la science ne cherche plus l’objectivité mais
l’efficacité, et ne travaille plus par des démonstrations, mais utilise
des “modèles”
dont la validité théorique est uniquement liée à leur capacité de
synthèse et de prédiction. Traduit en langage vulgaire, cela veut dire
que la science se reconnaît à ses fruits.
C’est à ça que je veux en venir : les fruits de notre civilisation sont mauvais : vous êtes aux premières loges et vous ne cessez de le dire, levant les bras au ciel avec des titres de plus en plus ravageurs lorsqu’un nouveau scandale dépasse en amplitude les scandales précédents. Sans connaître les théorèmes de Gödel, vous avez constaté par vous-mêmes que les experts scientifiques que vous interrogez disent l’inverse et le contraire sur quasi tous les sujets. Je ne veux ni vous faire l’affront de penser que vous ne l’avez pas constaté, ni vous accuser d’en jouer pour faire valoir vos thèses. Dès lors je me demande pour quelle raison vous vous obstinez dans toutes les informations que vous donnez à les déguiser d’emballage “scientifique”. Ne vous êtes-vous jamais rendu compte que chaque cause est causée à l’infini de ramifications inextricables ?
Il est à mon avis temps que vous adaptiez cette nouvelle manière de penser, que vous vous débarrassiez de votre complexe de Colomb : un fait d’observation ne peut pas être nié, isolé de son contexte global sous prétexte que le lien n’en est pas (encore) prouvé scientifiquement. Le postulat qui emballe toutes vos émissions est la croyance que vous avez sur l’amour. Vous rendez-vous compte de la caisse de résonance que vous constituez ? Vous rendez-vous compte de la force d’amplification que la répétition de cette croyance provoque dans les esprits ? Si l’amour, c’était ça, il ne provoquerait pas les fruits que vous voyez et signalez pourtant à longueur de temps. Vos informations, les films et les séries que vous choisissez, et les publicités que vous subissez véhiculent ce même postulat faux sur l’amour. Prenez garde à ce qu’un jour on ne vous reproche d’avoir soufflé le chaud et le froid, et attisé en cela le vent de la haine, comme Radio Mille Collines, en prenant vos lecteurs respectifs en otages de vos croyances sur la cause des avènements.
Donnez-nous seulement des “nouvelles” nouvelles, des nouveautés, des informations et pas des déformations, par pitié et laissez-nous les interpréter, de grâce, par nous-mêmes. Si ce n’est déjà plus pour nous, faites-le pour vos enfants, nos enfants !
J’ose espérer que cette bouteille jetée dans l’océan internet ne se retrouvera pas bientôt comme celle qu’on a trouvé à la libération des camps, au sommet d’un tas de cendres. Cette bouteille-là contenait, écrite d’une main tremblante, le petit bout de “papier” suivant : “le mot chien aboie-t-il ?”.
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