Droit de réponse de Michel Dubec
Dans une pétition diffusée sur internet, il m’est reproché de me livrer à une justification « des violences faites aux femmes, et même des viols », dans mon dernier livre, Le Plaisir de tuer (co-écrit avec Chantal de Rudder, Seuil), et particulièrement dans les pages consacrées à Guy Georges (pp. 210 et suivantes).
Il va de soi que je condamne sans ambiguïté le viol, ainsi que la violence en général, y compris les violences conjugales, intra-familiales et le harcèlement. M’accuser de « complicité masculiniste » avec Guy Georges, c’est méconnaître d’abord la nature de l’avis que j’ai rendu dans cette affaire et où certains ont même vu la marque d’une excessive sévérité (Libération du mardi 3 avril 2001). C’est ignorer ensuite les chapitres que j’ai consacrés au viol des femmes, à l’inceste et à la pédophilie dans mon premier ouvrage (Crimes et sentiments, co-écrit avec Claude Cherki-Nicklès, Seuil, 1992) à une époque où ces fléaux n’étaient pas combattus avec la même vigueur qu’aujourd’hui.
Du fait de mes responsabilités professionnelles auprès des tribunaux, je suis amené à rencontrer de multiples criminels. Il m’est demandé, dans ce cadre, de comprendre ou d’essayer de comprendre leur comportement avant de rendre un avis sur leur responsabilité pénale. Pour réaliser correctement ce travail, il convient de suspendre un instant le jugement moral pour considérer le monde de la vie psychique, les fantasmes qui la traversent et les modalités particulières d’un passage à l’acte.
La différence entre une personne ordinaire et Guy Georges n’est pas que la première n’aurait ni vie intérieure ni fantasmes, mais qu’elle en reste là. Guy Georges, lui, passe à l’acte, il viole, il tue. C’est en cela, et en cela seulement, qu’il relève de la justice criminelle. Mais, dans le cadre de l’expertise, c’est sur le terrain des fantasmes qu’il cherchait à nouer une forme d’entente avec son interlocuteur. C’est ce que j’ai voulu raconter, sans fard ni détours, dans les pages attaquées par les pétitionnaires.
Toutefois, comme tout récit, celui-ci a un début, un milieu et une fin. En l’occurrence, une rencontre, une épreuve et un dénouement. La rencontre, c’est celle de Guy Georges : je ne l’ai pas choisi, c’est la justice qui me l’a présenté. L’épreuve, ce sont nos entretiens où il cherchait à m’attirer dans une sorte de partage pervers, comme il l’avait fait ou le ferait bientôt avec les autres experts commis dans cette affaire. La description de ce qui se jouait dans ces échanges a pu heurter, voire scandaliser, mais il s’agissait bien d’une épreuve et non d’un simple moment d’empathie. Car on ne sort pas indemne de ce genre d’échanges, même si l’important est précisément d’en sortir, comme je l’ai explicitement souligné à la page 213 du livre incriminé : « On se réveille comme d’un mauvais rêve, brutalement. On se retrouve brusquement dans la peau de ses victimes, solidaire de leurs familles en deuil, broyé par la même insupportable douleur qu’elles, de l’autre côté du miroir, là où le fantasme s’arrête. Et on en veut à Guy Georges du bout de chemin qu’on a été capable de faire avec lui, comme s’il nous avait piégés... ».
Mais il faut, pour le comprendre, lire le récit du début à la fin et comme un ensemble de séquences indivisibles. Au-delà de son dénouement strictement judiciaire (l’avis que je rends finalement à la justice et que certains jugèrent, comme je l’ai dit, non pas complice, mais sévère), c’est aussi le travail d’un dépassement que j’ai voulu rapporter ici.
De ce point de vue, ce livre est un exercice de sincérité sur un métier que je pratique depuis plusieurs dizaines d’années. Celui-ci m’a exposé à bien d’autres épreuves, dont beaucoup sont racontées dans le livre. Etais-je plus vulnérable qu’un autre ? Plus faible ? Moins disposé à traverser ces descentes aux enfers ? Je ne le crois pas. Les experts ne sont pas des machines. Et c’est justement pour cela qu’ils doivent s’astreindre, plus encore que les autres, à voir clair en eux-mêmes et analyser leurs propres affects pour pouvoir faire correctement leur métier.
D’une manière plus générale, j’ai la conviction qu’il y a toujours un avantage à ne pas ignorer nos fragilités, à savoir que le mal est à nos portes, et qu’il y aurait un grand danger, aussi bien individuellement que collectivement, à s’interdire cette reconnaissance. Si l’on veut dominer ses passions, il faut commencer par éviter de se tromper sur soi-même, de se mentir et de s’abuser. C’est aussi le sens de la confession professionnelle que j’ai voulu livrer au public, dans toute la vérité de mon expérience.
Je regrette que mes propos aient pu être mal interprétés et que certaines phrases, a fortiori sorties de leur contexte, aient pu heurter. Mais le choc que certains ressentent à la lecture de ces lignes n’est encore qu’une pâle traduction de la douleur que l’on éprouve au contact des tueurs et des violeurs. Il est en tout cas, en dernière analyse, le prix d’un supplément de conscience que je crois vital.
Michel Dubec
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