Drôle de guerre des Français contre le pouvoir du Sarkozy
Chez Stéphane Paoli, les invités ont évoqué la situation économique planétaire, tendue, non sans rappeler quelques similitudes avec les années 30. Une fois de plus, je recommanderai la prudence car l’entendement a vite fait de s’emballer face aux tensions sociales actuelles. C’est d’ailleurs à moi-même que je m’impose la retenue car je peux déraper assez vite, ce qui dessert parfois mon propos, mais pas ma ligne de conduite, ayant une certaine faculté à exécuter le dérapage contrôlé. Mélanchon oserait-il comparer Sarkozy à Hitler ? Cette hypothèse est plausible. Mais même si c’était le cas, encore faudrait-il un raisonnement convainquant. Là-bas aux States, c’est Obama que certains comparent à Hitler. Ce qui est vraiment du pur délire. Un Français avisé pencherait plus à la figure de Léon Blum. Il faut savoir manier les similitudes avec prudence. Même si parfois l’évidence est de mise. Dire de Franck Dubosc qu’il ressemble aux comiques troupiers des années 30, voire 40, c’est certain mais cela n’apporte pas grand-chose à l’intelligence des choses sociales. Chaque époque a ses beaufs, ses français moyens, ses fatigués du bulbe, ses énergumènes de comptoir. Le verre à moitié plein serait de faire de Dubosc un représentant de la France éternelle, un authentique rabelaisien. Quant à faire de Sarkozy un Hitler, c’est une audace supposant que le verre soit plein de vodka et qu’on l’ait vidé. On voit alors double et se dessine dans le cerveau dopé à l’eau ferrugineuse un Sarkozy affublé d’une casquette frappée d’une croix gammée.
Pourtant, in vino veritas dit l’adage. Beaucoup de choses sont comparables, bien qu’elles soient incomparables. Les similitudes servent d’interprétation mais pas de compréhension. L’issue prochaine du combat contre Sarkozy mené par les syndicats et la France frondeuse ressemble à bien des égards à l’étrange défaite de 1940. Issue fatale de la drôle de guerre menée par une armée française démobilisée face à la puissance militaire germanique. En 2010 le contexte est tout autre. L’enjeu lié aux retraites est sans commune mesure avec l’offensive du nazisme en Europe. Deux ans de plus à travailler, pas de quoi en faire un destin de l’humanité, juste un épisode de plus dans la transformation comptable de l’économie et du travail et la gestion des comptes publics. Le monde du travail est pressurisé par le monde de la finance. Les syndicats ont voulu faire de cette réforme un enjeu majeur. Ils ont eu raison. Ils ont voulu mener une bataille mais ils n’ont pas mis suffisamment de sens tactique, de stratégie. La pénurie d’essence est une improvisation. Les Français n’ont pas déployé de stratégie, hélas pour leur dessein si tant est qu’il y en ait eu un. Les manifestations n’ont pas eu assez d’ampleur. La puissance du mouvement social a été d’une ampleur inférieure à celle mobilisée en 1995 pour un enjeu qui à l’époque était moins essentiel. Les dirigeants syndicaux ressemblent à certains égards aux gradés de l’armée oeuvrant avant la drôle de guerre au sein de l’intendance au lieu d’être sur le terrain. Loin de moi l’idée d’accabler ou de juger les syndicalistes. Ce n’est qu’une remarque et d’ailleurs, les travailleurs savent très bien ce que sont devenus ces institutions censées défendre les travailleurs.
Dans un coin du défilé, je rencontrai une vieille connaissance de gauche, militante du PC de la première heure. Elle m’invita à réfléchir sur cette manif, ce bruit, ce vacarme, tous ces slogans devenus vieillots à force d’être utilisés dans la rue. Pourquoi ne pas innover et inventer d’autres formes de manifestations, par exemple, un sit-in géant ou une occupation de lieux stratégiques. Elle avait bien saisi ce qui a manqué dans cette lutte. Il reste aussi à comprendre pourquoi si peu de Français sont entrés en lutte, pourquoi la jeunesse ne fut qu’une pièce rapportée de dernière heure. Sans doute, l’heure est à la séparation des générations et des classes. Composer une lutte efficace et solidaire est devenu hors de portée d’un mouvement social affichant modestement du punch et de l’accroche dans les défilés. La drôle de guerre menée montre bien que la France est désunie et c’est ce qui fait la force de Sarkozy. L’évolution de la société vers le principe du jeu, des gagnants et des perdants, s’oppose à une conception plus solidaire du vivre ensemble et de la gestion des affaires publiques. Sur le plan idéologique, la bataille contre les retraites aurait dû être gagnée moyennant la lutte mais aussi et surtout l’alternative idéologique. La défaite est liée à un ensemble de déficits dans l’appareil de lutte syndical autant que la détermination des Français et pour agrémenter le tout, associons à cette défaite la démission des intellectuels qui ne savent plus concevoir la société et tracer les lignes directrices séparant les choix essentiels. Pour l’instant, le monde de la puissance, de la race des acteurs économiques, des oligarques de la finance, prend l’ascendant sur le peuple et c’est cela le « sarkonazysme ». Désolé pour ce mot mais le sens a parfois du prix, méritant un risque sémantique. Le triomphe des puissances économiques dans une société dont les marges précaires et pauvres sont préservées pour ne pas heurter la sensibilité des justes. Sarkozy a gagné contre le mouvement syndical mais il a en face de lui la conscience et les justes. Et c’est un tout autre combat qui se dessine, aux contours indécis mais avec des valeurs justifiant ce mot approprié pour désigner la crise, décision.
La tension est donc plus que palpable. Une mauvaise pensée conduit d’une vengeance d’un petit homme à moustache contre l’humiliation de Versailles, à une autre vengeance, d’un petit homme logé à Versailles contre l’humiliation de son parti un mois de décembre 1995. Cette fois, le duo de l’exécutif est décidé à tenir ferme et ne rien lâcher contre la rue. Il n’a pas besoin d’une guerre éclair. Juste de l’appareil d’Etat lancé contre cette fronde dessinée en fronde populaire. Les symboles de l’Histoire éclairent le ciel assombri d’un monde pourri. Une sorte de toile expressionniste où seraient représentées les turpitudes de l’âme humaine et les égarements d’une société qui ne sait pas plus où elle va que celle de 1940. Le lecteur saura apprécier si les propos ici tenus relèvent de la divagation ou bien éclairent d’une docte pénombre l’avenir d’un monde où les puissants écrasent les faibles mais en les dédommageant.
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