Sans doute n’est-ce pas affirmé aussi crûment. La cause est systématiquement masquée par métonymie au profit de ses effets exhibés qui offrent matière à variations. Nul ne fait mention, en effet, de l’agression sexuelle supposée à l’origine des conséquences que chaque hebdomadaire représente à sa manière mais qui n’en valent pas moins condamnation de DSK.
Le choix partisan des photos
1- la photo d’Anne Sinclair pour Paris-Match
Des six journaux, Paris-Match est le seul à se distinguer par la photo choisie. Il présente Mme Strauss-Kahn, sous son nom de jeune fille, en plan américain, vêtue de noir comme une veuve. Effet pour la cause, elle est, on en convient, la première victime collatérale de l’agression sexuelle reprochée à son mari : le leurre d’appel humanitaire est évident. Faute de pouvoir être suscitée par son mari, la compassion est stimulée à son profit, et même l’admiration : une image emphatique de Paris-Match souligne l’assistance immédiate qu’elle a portée à son mari, malgré les circonstances : « Face au scandale, elle vole au secours de son mari à New-York », est-il écrit en sous-titre. La vertu de l’épouse est opposée implicitement par contraste au vice de l’époux (1).
2- La photo de DSK pour les cinq autres hebdomadaires
Les cinq autres hebdomadaires ont au contraire préféré une photo de DSK.
- Seul VSD a retenu l’ignominieuse sortie du commissariat du prévenu dont la présomption d’innocence est bafouée publiquement une fois plus par la publication répétitive de cette image : empoigné aux biceps, mains menottées dans le dos, il est encadré par deux policiers comme un bandit de grand chemin dont on craint qu’il ne s’évade (2).
- Les quatre autres ont, au contraire, choisi des plans plus ou moins rapprochés du visage de DSK. Trois le montrent défait à la sortie du commissariat ou devant le tribunal, mais toujours dans une mise hors-contexte sur arrière-plan indéchiffrable pour éviter toute distraction.
* Le Nouvel Observateur a effacé l’escorte policière autour de DSK pour faire ressortir par contraste son visage détruit sur un fond uniformément noir, couleur du deuil (3).
* Marianne fait apparaître le visage au travers d’un pochoir dessiné aux initiales du prévenu : par intericonicité, on reconnaît des grilles d’une prison qui pourraient être celles de sa propre prison où s’est enfermé DSK, victime de lui-même (4).
* Seul L’Express (5) montre DSK fixer apparemment le lecteur du fond de la voiture de police dans une relation interpersonnelle simulée, selon le procédé de l’image mise en abyme. Mais la variété de l’information à laquelle appartient cette photo est complexe. Livrée involontairement par DSK et nuisible pour lui, elle paraît extorquée. Seulement, elle ne l’est que par la volonté de la police qui en fait donc une information donnée au service de sa promotion au détriment d’un puissant humilié. Mais elle est aussi une information donnée de DSK qui, du fond de l’humiliation subie, se défend avec le seul moyen qui lui reste, la puissance d’un regard noir. Contrairement à l’habitude, il ne s’adresse pas directement au lecteur, mais aux photographes, bourreaux auxiliaires de la curée à laquelle la police le livre. Ce n’est pas le regard d’un accusé penaud, mais d’un accusateur qui crie vengeance.
Le choix partisan des titres
Le titre de l’Express ne s’écarte pourtant pas plus que les autres de la conviction commune, la culpabilité implicite de DSK pour un crime non-explicité sans avoir été encore jugé. Les hebdomadaires en sont réduits à exécuter des variations sur ce même thème par les métonymies et métaphores de la déchéance.
- Quatre hebdomadaires braquent le projecteur uniquement sur le présent calamiteux du prévenu : « DSK, le cauchemar américain », « DSK, la chute », « DSK, la descente aux enfers », titrent respectivement VSD, Le Point, et Le Nouvel Observateur.
- Marianne élargit son cas personnel, cependant, en en faisant un symbole de la nation française : « DSK, une tragédie française ». L’affaire ne se limiterait donc pas à la personne de DSK mais engagerait le pays, voire l’entraînerait avec elle dans sa chute.
- Les deux autres hebdomadaires regardent moins le présent que l’avenir détruit : « DSK, le rêve brisé » titre Paris-Match, « Le scandale qui change tout », estime l’Express.
L’événement est donc vu d’un seul point de vue partiel et donc partial, comme un cylindre, selon l’angle de perception, peut n’offrir que l’image d’un disque.
Faut-il s’étonner du parti pris de ces hebdomadaires français ? À force de violer tous les jours la présomption d’innocence, en parlant systématiquement du « voleur, violeur ou meurtrier présumé », ils ne peuvent plus concevoir qu’un prévenu puisse être « présumé innocent » tant qu’un tribunal ne l’a pas déclaré coupable. On en voit ici le résultat éclatant. Car, que l’on sache, seule l’accusation a pu jusqu’ici s'exprimer publiquement dans ce commencement de procédure judicaire américaine : le témoignage d’une victime supposée a été reçu par la police qui, au vu d’une première collecte d’indices, l’a jugé recevable. Le procureur à qui il a été transmis, a énoncé alors les chefs d’accusation dont relève l’agression sexuelle alléguée. La défense n’a pas encore eu la possibilité de donner son point de vue, faute de connaître les preuves qui l'accusent. Les seuls mots que l’on ait lus de DSK, sont ceux contenus dans la lettre de démission qu’il a adressée au conseil d'administration du FMI, le 19 mai 2011 : « Je nie avec la plus grande fermeté possible, a-t-il écrit, toutes les allégations qui ont été faites contre moi ». Pourquoi donc cette précipitation de ces six hebdomadaires à condamner DSK avant tout débat contradictoire et tout jugement ? Paul Villach
(1) Paris-Match, 19 mai 2011
(2) VSD, 19 mai 2011
(3) Le Nouvel Observateur, 19 mai 2011
(4) Marianne, 21 mai 2011
(5) L’Express, 19 mai 2011
(6) Le Point, 19 mai 2011