DSK : L’admirable confession
Il y avait, indubitablement, quelque chose d’éminemment émouvant - une sorte de grandeur tragique, non dénuée de panache, et solitaire - dans la confession publique à laquelle Dominique Strauss-Kahn, certes blessé mais toujours digne, s’est livré, ce dimanche 18 septembre 2011, lors du 20 heures de TF1. Car ce que DSK a donné à voir comme à entendre là, devant des millions de téléspectateurs et face à des questions quelquefois indiscrètes, c’est un homme très sincèrement soucieux de dire enfin, par-delà la précision de son discours, la vérité - l’humble mais indispensable vérité - à ce pays qui l’aurait peut-être bientôt porté, s’il n’y avait pas eu les mensongères accusations de Nafissatou Diallo pour le faire chuter, au sommet de l’Etat.
Inutile, donc, de revenir, de pérorer ou d’épiloguer, pour la énième fois, sur cette pénible affaire : nous n’en connaîtrons probablement jamais - je l’ai déjà dit - l’exacte teneur, bien que DSK, lors de ce « mea culpa » en forme de repentir, n’ait pas hésité à avouer, en niant toutefois toute « agressivité » ou « violence », une relation « inappropriée » avec cette femme de chambre et, même, une « faute morale » face à ces Français qui, lui prêtant à juste titre une intelligence et une compétence hors norme, étaient sur le point de l’élire, à en croire tous les sondages, à la tête de la République.
Mais ce sur quoi, en revanche, il apparaît légitime, plus que jamais, de se pencher en profondeur, c’est sur la raison de pareille déchéance politique, sinon sociale. Un « acte manqué », pour s’en référer à la psychopathologie freudienne, de la part d’un futur candidat aux élections présidentielles, comme le suggérait Claire Chazal lors de cet entretien ? Peut-être, bien que DSK ait balayé cette hypothèse d’un simple mais prompt revers de main. Aussi, face à cette perplexité dont il a lui-même fait preuve là, est-ce à l’un de nos plus insignes maîtres, en matière de psychologie secrète, que j’aurais recours, pour ma part, pour tenter de comprendre ce type de comportement, particulièrement dramatique, et surtout lourd de conséquences, en la circonstance : le Charles Baudelaire de « Mon cœur mis à nu » - titre que Dominique Strauss-Kahn aurait par ailleurs pu faire sien, justement, lors de sa confession publique.
Voici donc ce que Baudelaire, poète maudit par excellence, dit, en ce texte, pour expliquer les contradictions, et autres ambiguïtés, inhérentes au tréfonds de l’âme humaine : « Il y a en tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. »
Point n’est besoin d’autres commentaires : c’est toute notre difficile, trouble et complexe humanité, là où l’ange semble côtoyer la bête, et le ciel rejoindre l’enfer, qui se trouve là, pour le meilleur et pour le pire, entièrement résumée !
Mais il y a plus douloureusement éclairant encore, sur le plan de l’analyse philosophico-littéraire, quant aux motifs cachés mais réels de cet essentiel dédoublement, d’un point de vue strictement anthropologique, de la personne.
C’est Oscar Wilde, le plus flamboyant des dandys de son temps avant que deux années d’emprisonnement pour outrage aux mœurs ne le broyèrent définitivement, qui nous les relate, en y soulignant en outre l’importance de tout amendement moral, dans son « De profundis », longue confession épistolaire qu’il rédigea du fin fond de sa tristement célèbre geôle de Reading et qui, par certains aspects, semble préfigurer, au vu de son récent parcours existentiel, le portrait de Dominique Strauss-Kahn en personne : « … le silence, la solitude, la honte – toutes ces choses, il me faut les transformer en une expérience spirituelle. Il n’y a pas une seule dégradation corporelle que je ne doive essayer de changer en une spiritualisation de l’âme. (…) l’âme (…) peut transformer en pensées pleines de noblesse et en passions de haute valeur ce qui en soi est bas, cruel et dégradant ; mieux encore : elle peut y trouver ses moyens de s’affirmer les plus augustes, et peut souvent se révéler le plus parfaitement au travers de ce qui était destiné à profaner ou à détruire. »
Paroles aussi lucides que courageuses, emplies de compassion et qui ne sont pas sans rappeler précisément, dans leur terrible mais profonde humanité, l’admirable confession, bouleversante à maints égards, de DSK lui-même, cet autre « maudit » des temps modernes qui, de son propre aveu, a tout perdu en cette misérable aventure new-yorkaise : de la direction du Fonds Monétaire International à la présidence de la République Française.
Mais que DSK, par-delà ce destin brisé, se console, autant que faire se peut. Car s’il a effectivement perdu tout pouvoir aujourd’hui – et il apparaît bien, en ce sens, la première et véritable victime de ce scandale planétaire – il conserve néanmoins, en plus de l’indéfectible amour de cette grande dame qu’est Anne Sinclair, la tout aussi inaliénable estime de ses pairs, fussent-ils à chercher, aujourd’hui, plus du côté des intellectuels, parfois, que des politiques !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, écrivain, auteur de « Philosophie du dandysme - Une esthétique de l’âme et du corps » et « Le Dandysme, dernier éclat d’héroïsme », essais publiés aux PUF, ainsi que de « Oscar Wilde », biographie parue chez Gallimard.
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