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Du foot, par le foot et pour le foot !
Dans son ouvrage intitulé « Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde », l’ethnologue Christian Bromberger, montrait déjà en 2003 à la suite de Norbert Elias, que le football, ce fait social total, occupait au sein de notre société contemporaine une place centrale et cristallisait par ses enjeux, toutes les grandes questions sociétales. Les proportions que prend le débat autour des contre-performances de l’équipe de France, des insultes de Nicolas Anelka à son sélectionneur, et de l’attitude général des joueurs dans ce mondial sud africain, n’est pas sans confirmer cette thèse.
S’il s’agissait que de football, nous n’entendrions sans doute que des critiques sur le système de jeu mis en place, qui est manifestement inadapté au profil des joueurs choisis, sur l’incompétence et l’obstination de Raymond Domenech, ou encore sur le manque de combativité des joueurs qui ne semblent pas prendre la mesure de ce que l’équipe de France représente pour les Français.
Sans doute y a-t-il indéniablement chez ces footballeurs un côté « enfants gâtés », et les insultes proférées par Anelka à l’endroit de son sélectionneur sont inacceptables, quels qu’aient pu être d’ailleurs les propos exacts prononcés par le joueur. Aussi, qu’une presse frustrée d’avoir été longtemps tenue à l’écart de l’équipe et n’ayant pendant des jours rien à se mettre sous la dent, se venge en divulguant une crise qui en réalité aurait pu se régler en interne, est compréhensible.
Tout comme est naturelle l’amertume des chaînes de télévision et des publicitaires, catastrophés par les pertes sèches de plusieurs millions d’investissement. Ce qui l’est moins en revanche et qui est effarant, c’est ces explications ethniques et religieuses totalement fantasmatiques, que portent depuis quelques jours des personnages publiques comme Alain Finkielkraut ou encore Eric Zemmour, qui nous expliquent comme de coutume, que c’est encore une fois ces « sales gosses » issus de banlieue, auréolés de leurs origines étrangères, qui montrent leur incompatibilité aux valeurs de la République, dont le spectacle de sa désunion et de son implacable déliquescence nous aurait été offert ce week-end par l’équipe de France.
D’ailleurs, comme pour enfoncer le clou, ces commentateurs voient dans cette équipe des clans ethniques, mais surtout religieux avec le fameux « clan des joueurs musulmans ». N’est-il pas toujours plus commode de taper sur les mêmes ? Et pourtant, quand la France gagnait le Mondial en 1998, des joueurs issus de l’immigration et des banlieues, ainsi que des musulmans, étaient majoritaires dans l’équipe nationale, et cela ne semblait offusquer personne. Finkielkraut explique que cette équipe reflète la société française, alors que l’histoire prouve le contraire. Car, quand en 1998 on a cru en une France « black-blanc-beur », il a fallu très vite déchanter. Qu’est-ce que des joueurs, qui ont vécu depuis l’âge de douze ans en centre de formation, et qui depuis qu’ils ont dix sept ou dix huit ans vivent dans des appartements et des villas luxueux dans des quartiers chics, ont encore à voir avec la banlieue ?
Il faut croire que les « maladies » attribuées à la banlieue soient inscrites dans leurs gènes ! Quant à l’argument de l’Islam, là on a véritablement touché le fond. Pour rappel, des musulmans en équipe de France, il en existe depuis Larbi Ben Barka, surnommé « la perle noire ». De 1938 à 1954, ce joueur d’exception a honoré le maillot bleu.
En réalité, tous ceux qui ont joué au football, savent que les phénomènes de clan ne sont pas rares dans les équipes de football. D’ailleurs, si le Cameroun, meilleure équipe africaine sur le papier a été éliminé du Mondial, c’est parce que des clans se sont opposés, avec à leur tête le capitaine Samuel Eto. Ce « Ballon d’or », idole de beaucoup d’amateurs de football, n’a pas arrêté de contredire publiquement son entraîneur Paul Le Guen, et de se mettre à dos des cadres de l’équipe comme Achille Emana. Pourtant, cette équipe n’est composée que de Noirs, qui sont d’ailleurs presque tous chrétiens.
En réalité, les footballeurs professionnels, quelle que soit leur origine, ont été tous élevés dans un contexte d’extrême concurrence. Surtout que, en équipe nationale, se côtoient des joueurs ayant des statuts divers et variés, et qui n’en sont pas au même niveau dans leurs carrières. Voilà, autant de considérations qui, entre autres, peuvent rendre compte des rivalités et des tensions au sein des équipes. Souvenons-nous qu’en 1982, le clan des Girondins de Bordeaux avait fait alliance avec Michel Platini, pour évincer Jean François Larios de l’équipe. Comme quoi, les clans en équipe de France ne datent pas d’aujourd’hui. En réalité, il ne faut même plus s’étonner que les mêmes quidams nous resservent à chaque fois leur soupe nauséabonde. Mais, le plus grave est que certains journalistes daignent reprendre de tels fantasmes.
Mais, pour parler plus sérieusement de football, l’on n’a pas besoin d’être un fin tacticien, pour voir que les joueurs ont montré des lacunes impardonnables à ce niveau. Sans parler de leur air relâché de starlettes en vacances au « Club Méd ». L’on conviendra que ceci n’a rien à voir ni avec leurs origines, ni avec leurs religions. Ils sont toutefois l’arbre qui cache la forêt. Car, en réalité, ce sont toutes les instances du football français qui étalent leur faillite au grand jour. Sans nul doute, fallait-il purement et simplement remercier Domenech dès 2006. Mais, tout le monde a compris qu’il a dû son salut à Michel Platini, Aimé Jacquet et Gérard Houllier, qui ont pesé de tout leur poids, en influençant les votes au sein de la fédération, pour la reconduction du sélectionneur.
Quant aux membres de la fédération, ils font penser à des notaires de villages, aux ventres bedonnants qui s’accrochent comme des alpinistes à leurs privilèges. Cette fédération, et sa bureaucratie désuète qui privilégie les promotions internes, persiste à vouloir faire croire que l’équipe de France est la continuité du football amateur, alors que le football professionnel fonctionne selon d’autres logiques. En l’occurrence, des procédés avérés qui mettent en jeux énormément d’argent, et qui emploient une multitude d’acteurs, allant des agents, aux consultants et aux joueurs. Sans aucun doute, l’équipe de France compte pour ces derniers, mais, elle n’est hélas pas leur principal employeur.
Aussi, c’est le système qu’il faut revoir dans sa globalité et remettre le football au centre des débats. Il serait illusoire de partir dans des considérations d’ordre moral, car, contrairement à ce que l’on veut faire croire, le football n’est pas moral. Ce sport est aussi un business qui génère énormément d’argent, et il faut par conséquent lui trouver une éthique.
Cette crise ne sera résolue que si tous les acteurs, joueurs, entraîneurs, personnel d’encadrement et instances fédérales, assument tous leur part de responsabilité. Hélas, hormis le football, s’en prendre aux banlieues, à l’immigration ou aux musulmans, semble être également devenu un nouveau sport dans ce pays. Dire qu’il n’y a pas de problèmes qui leurs sont liés serait tout simplement absurde. Mais, de là à leur imputer les problèmes de l’équipe de France, c’est se foutre de l’intelligence des Français. Que l’on nous parle de foot, et que certains personnages, plus hommes de télévision que philosophes, plus démagogues que journalistes, cessent de penser à notre place !
Sakho Jimbira Papa Cheikh
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