Du « grand reset » économique au « grand reset » politique
Dans un précédent article, j'affirmais que le « grand reset » est une rationalisation de l'économie, non pas une destruction. Le problème n'est pas, en soi, de changer des pratiques quotidiennes rendues obsolètes par le développement technique, mais de savoir si ces changements vont vers l'émancipation ou au contraire le renforcement de notre servitude.

Il ne faut pas confondre le service que rend Amazon et le fait que ce soit une entreprise privée. Autant je ne me réjouis pas de savoir que l'ensemble de la plus-value atterrit dans les poches de quelques privilégiés parasitaires, autant je ne peux que constater que c'est la bonne manière d'organiser le commerce. Le problème d'Amazon, c'est le problème du capitalisme, la propriété privée des moyens de production, la captation de la plus-value par le capital aux dépens du travail, le régime du salariat.
En dehors de cela, du point de vue purement technique, c'est le modèle à suivre, et pas seulement pour le commerce, mais pour tous les aspects de la production.
Entendu sur France 3 : « Amazon est une catastrophe écologique »
Vraiment ?
Qu'est-ce qu'un supermarché ? des milliers de mètres carrés de parking, d'immenses édifices de béton climatisés. Il s'y affaire quantité de caissières, d'agents d'entretien, de gondoliers réapprovisionnant les rayons, de vigiles, etc. et bien sûr de clients.
Ces clients viennent acheter leurs subsistances, nécessaires et superflus, en prenant leur véhicule individuel, pour acheter peu ou prou toujours la même chose. Ainsi se déploie le ballet des heures de pointe, des centaines de milliers de véhicules venant encombrer les routes, puis errants à la recherche d'une place de parking dans les labyrinthes d'asphalte. Vient alors cette autre errance, dans les rayons, pour accumuler dans son chariot toutes sortes de produits sous emballages jetables. Puis c'est l'attente à la caisse, retour sur le parking, et trajets vers la maison. Temps moyen de l'opération : 2 h 30.
Analysons en termes économiques, donc écologiques. Premier constat : tous ces processus sont terriblement inefficaces et coûteux en énergie. La valeur ajoutée du déplacement physique du client est nulle, ou presque. Ces comportements sont des archaïsmes hérités de l'âge d'avant le commerce électronique. Pensez aux frais que ce mode de consommation vient ajouter au seul but de l'opération : avoir des produits chez soi. Pensez aux frais généraux qui viennent s'ajouter sur le ticket de caisse. Une grosse partie du personnel du magasin, des immenses surfaces de parking et de circulation pour la clientèle. En cas de vente de denrées fraîches, il y a totale contradiction entre la nécessité de confort pour le client et de réfrigération pour la marchandise. Gâchis d'énergie encore dans l'éclairage permanent des surfaces. Et n'oublions pas la facture d'essence du client.
A contrario, le commerce électronique optimise tous les aspects de la logistique, autant le stockage, où toutes les surfaces sont employées efficacement (chambres froides etc.), que la distribution. Entre 20 déplacements de véhicules individuels et un trajet optimisé d'un véhicule de livraison, l'économie de carburant est énorme. Ceci désengorge les routes, réduit les primes d'assurance, limite les frais d'entretien...
Ce mode de distribution peut aussi résoudre la problématique des emballages. Moyennant des conteneurs réutilisables, standardisés, consignés, rendus au livreur. Un simple scan de code-barres par celui-ci peut déduire de votre facture le prix de la consigne. Fûts de bières, pots de lait, bacs plastiques et même cartons peuvent être remis en circulation après nettoyage.
Le cas des « petits commerces » est différent, selon la réelle valeur ajoutée de ce mode de distribution.
Autant, une boulangerie à proximité se justifie parce que la fraîcheur du pain est sa première qualité. Il sera aussi difficile de se faire couper les cheveux sur Internet... Mais, au-delà de quelques métiers de bouche, les exemples sont rares. De manière générale, le petit commerce est la forme la plus sous-optimale de la raison d'être du commerce : réconcilier l'offre et la demande. Je veux du beurre, je me passe du sourire de la crémière. Incapables d'économies d'échelles par l'achat en gros, il cumule les tares de la mauvaise utilisation des surfaces et de l’addition des frais généraux, pour offrir un choix de produits limités.
L'argument du « conseil » ne tient pas non plus. Rien n'empêche de communiquer ces conseils par voie électronique. Beaucoup se désolent de la situation des libraires. Je ne trouve aucun argument en leur faveur. Je suis attaché au livre physique, papier, mais je les commande, souvent d'occasion, sur Internet. Le monde est ma librairie. Je me flatte d'avoir une belle bibliothèque, dont beaucoup d'ouvrages « techniques » ou spécialisés, édités dans un cadre universitaire et très rarement republiés. Où aurais-je trouvé, dans une librairie de quartier, la « transcription des manuscrits des rapports des agents du ministère de l'Intérieur à Paris entre 1793 et 1794 », ou l'intégrale des « actes de la Commune de Paris » entre 1790 et 1795 ? Où aurais-je trouvé des manuels de guérilla ? Qui aurait distribué « Le commentaire du Verset de la Lumière », éminent ouvrage de philosophie Perse ?
Certains vont s'émouvoir pour tous les « emplois » perdus. Mais ces emplois sont coûteux et en pure perte. Un intermédiaire de plus sur la route entre le producteur et le consommateur, un intermédiaire gourmand et peu efficace a tout point de vue. L'économie réelle, c'est-à-dire celle qui a pour but de rendre un service réel aux individus, gagnerait à payer ces gens pour qu'ils ne travaillent plus, et cessent de parasiter la chaîne de valeur. Ceci économiserait beaucoup d'énergie, de temps, d'espace.
Certains vont se désoler à l'idée que leurs chers centres-villes n'aient plus de boutiques. Ici on touche au cœur du problème de l'horreur de l'idéologie bourgeoise. Malheureusement, durant des décennies, le marché a été soutenu par la décérébration des masses pour les transformer en consommateurs, faisant de la sortie « shopping » un « loisir » apprécié. Psychologues, statisticiens, scientifiques ont travaillé à faire rentrer la morale bourgeoise de boutiquier dans les cerveaux, dès le plus jeune âge. « On est ce qu'on possède »... Ainsi, je devrais me sentir honoré, en sortant d'une boutique, d'avoir vécu « une expérience shopping », due au bel assortiment de la décoration, et aux brèves banalités échangées avec le personnel. Ceci me coûtera une surprime de 60% sur la valeur réelle de mes achats... Je pourrais dire « c'est un choix de vie » que la fascination pour le shopping, mais ça n'en est pas un. Rien de naturel là-dedans. C'est l'aboutissement du travail scientifique de persuasion, véhiculé par la publicité mais aussi par une certaine « culture », séries télévisées, films à grande audience etc...
Que devrait-il y avoir dans les centres-villes s'il n'y a plus de boutique ? Si les mots « citoyenneté » et « république » avaient un sens, les espaces libérés devraient accueillir des associations, des agoras, des lieux d'exposition... Les panneaux publicitaires devraient être remplacés par des maximes philosophiques et de la poésie. Auraient dû se répandre dans tous les espaces municipaux ce qui faisait le cœur de chaque village français, fût un temps, métaphoriquement parlant, l'église, la mairie, l'école et le bistrot. Débarrassé des contraintes de la matière, cultiver l'esprit.
Le fait que les bouleversements de nos modes de vie soient décidés « par le haut », sans débat et sans consultation, trahie le fait que le « citoyen » est laissé dans l'ignorance des enjeux, dans l'impuissance de contrôler sa destinée. « Grand reset » économique, oui, mais la contrepartie doit être un « grand reset » politique.
Il faut mettre la technique au service de l'Humain, pas l'inverse. Donner un sens à la communauté nationale et à la souveraineté du peuple. Faire que le « progrès » soit véritablement un progrès, spirituel, social et moral, et pas un mode d'accaparement perfectionné du petit nombre, obsédé par la domination et la possession. L'enjeu est et reste la redistribution des richesses, le droit à l'existence et l'égalité des jouissances, comme juste rétribution de la participation volontaire à l'édifice social.
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793
Le peuple français, convaincu que l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme, sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l'objet de sa mission. En conséquence, il proclame, en présence de l'Etre suprême, la déclaration suivante des droits de l'homme et du citoyen.
Article 1. - Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
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