Du mensonge à l’affabulation
Le mensonge et l'ambition sont cul et chemise ; la chimie qui les provoque n'est pas connue dans ses détails, mais elle vient de loin. Un homme adulte, sain, n'a d'autre ambition que réaliser son œuvre, son œuvre, sa vie. Point besoin d'artifices pour ce faire, juste sa juste adéquation au monde. Pacifiste et non violent, il est capable de colères ou d'agressivité pour sauver sa peau. Il est capable de tactiques pour ce faire. Mensonges, reculades, esbroufe, tout est bon : le cerveau de l'homme sert à ça ; sans lui, l'homme n'existerait plus depuis longtemps. Un homme adulte et sain n'a pas besoin de s'inventer une origine exotique, aristocrate ou aventureuse, il ne porte aucune valeur à ce à quoi il ne peut rien.
Le réel est cruel à l'animal homme, on peut même dire qu'il ne peut pas le vivre ; depuis toujours il a eu recours à des rites, des religions, des mythes, des exutoires. Jung nous explique que la mythologie et ses symboles, les croyances ancestrales et obscurantistes étaient le lieu de jonction entre, non seulement le conscient/ l'inconscient mais entre le divin et l'humain, divin au sens de supra-humain, le Grand Tout dans lequel on baigne, qu'on le veuille ou non.
Jadis, en plus des légendes et des croyances semi crues, il y avait des exutoires communautaires, les transes, l'art, le théâtre, le carnaval ; des soupapes ludiques ou folles, indispensables et qui faisaient appel à l'humour, au rire, et à la lucidité ou au lâcher-prise des participants. On a dit que les soupapes faisaient perdurer- parce qu'on endurait- les inégalités ! Oui, sans doute mais subir tout ça sans exutoire c'est encore pire. Enfin on a les anxiolytiques, les abrutissants, les sédatifs et les excitants ! C'est plus profitable !
Au fur et à mesure de son évolution, l'homme arrivé à un certain stade de connaissances scientifiques – dites scientifiques car elles sont vite devenues technologiques- crut bon de décréter que la Raison, mise en majuscule pour l'occasion, suffirait à l'homme pour se dépêtrer de ses peurs, de ses faiblesses et serait toute puissante pour maîtriser la nature, qui ne s'appelle plus Dame et dont on ôte la majuscule pour l'occasion, rendant l'homme dieu ( je ne mets de majuscule ni à l'un ni à l'autre). Cela convînt et convainquit. En route pour l'aventure de la science et de la technologie. Dans ce domaine, on ne peut pas nier les énormes progrès. Mais fut laissé pour compte tout ce fatras terrorisant qui, croyait-on, disparaîtrait si on ne s'en occupait plus. Encore aujourd'hui, les propos que je tiens sont tenus pour folie obscurantiste par le péquin. Je n'invente rien pourtant ; ont subsisté ça et là sur la planète des sociétés, des sagesses passées qui elles, tiennent compte de ce que l'on ne peut pas occulter sans se vouer à la mort psychique.
Ceci est la toile de fond de l'immense illusion destructrice qu'engendrèrent Les Lumières, auxquelles je mets une majuscule, considérant que comme tout dogme, toute idée ou toute religion, la perversion de la version originale est responsable de toutes les dérives. Donc, maîtrise, pouvoir, supériorité de l'homme surdimensionné, en moins de dix générations, ces vérités sont quasi devenues génétiques !
Nous avons fait d'un monde que nous jugions, à tort ou à raison, hostile, un monde à notre botte ! Nous n'avons eu de cesse de nous en donner tous les moyens. Et pourtant, l'humain n'a pas changé, il reste faible, ignorant et pleutre. Certains le demeurent et s'en accommodent ; d'autres en revanche, en adéquation avec cette image d'homme tout-puissant, se dotent de béquilles, autant d'atouts nécessaires à leur ambition.
On ne peut faire le détail de tous ces délits de fuite ; je m'en tiendrai à ceux dont se dotent les gens de pouvoir.
Le désir de pouvoir est une pathologie, il faut bien le savoir, une immaturité, une fuite en avant.
La capacité à fédérer les énergies, centraliser les projets, donner de soi pour mettre en œuvre une réalisation, n'a rien à voir avec le pouvoir. Le pouvoir en est la dérive, l'effet pervers de ce charisme ; du reste aujourd'hui, nombreux sont ceux qui n'en font pas la différence.
Tous nos dirigeants sont donc pétris de la certitude que l'homme peut tout, et dérivent et se soumettent à l'ivresse du pouvoir.
Il faut néanmoins quelques ingrédients pour y parvenir : une schizophrénie totale qui les scinde et les coupe définitivement du réel. Une fantasmagorie aussi puissante que les hallucinogènes, à laquelle on ne peut se soustraire, et bien sûr une époque ou le délire de puissance et le mensonge n'ont pas trouvé d'obstacles sur leur route.
D'une société hystérique, au XIXe siècle, début XXe, a succédé une société schizophrène- répétons-le : cette incapacité qu'a l'homme de faire face au réel- à laquelle succédera très bientôt une société paranoïaque.
Plus d'exutoire, plus de totem ni de tabou, plus de croyances, plus de rites , plus de soupapes ; et plus de sacré : l'homme livré à sa folie.
Entre parenthèse, il existe encore des civilisations hystériques, l'Inde en étant une illustration presque parfaite.
Nos héros politiques et tous les tenants du pouvoir marchand mondial seraient-ils à ce point acculés, et depuis leur plus tendre enfance, pour utiliser ces biais tout au long de leur vie ? Nous autres, petites gens du peuple, serions-nous à leurs yeux des ennemis à vaincre ?
Ou sont-ils vraiment malades ; psychiquement malades, des cas qui relèvent de la médecine ?
Je le crois.
Ainsi, les plus atteints gouvernent-ils.
Rien n'est aussi simpliste évidemment ; néanmoins, l'infantilisme des storytelling , l'infantilisation des populations montrent à quel point, sur les choses essentielles, l'homme n'a pas évolué. Cela montre à quel point, occulter, se mentir et mentir, mène à l'enfer. Le schisme est devenu un gouffre qu'on aura bien du mal à combler tant sont peu nombreux ceux qui en sont conscients.
Comment naît un roman national ? Sûrement de la même manière que l'histoire de notre famille et la nôtre ; à partir de faits, on brode à notre avantage ; parfois cet avantage est la victimisation, parfois l'ivresse de la force supérieure ! Mais ce roman se dégrade en subtilités, comme se dégrade sans doute le roman d'une manière générale ; les injonctions de Bush à soulever son peuple dans une seule et même voix, font mal ; ou peur. En France, on a abandonné la Toute-Puissance coloniale ; on bat sa coulpe de remords. En Allemagne, il n'y a plus de roman du tout, le traumatisme de la guerre a fait oublier que ce pays est celui de la philosophie et de la musique ; aujourd'hui il y a les bagnoles et les machines-outil ; les vieux aussi qui ont capitalisé pour leur retraite ! Rien, on le voit de bien excitant.
Alors, pour remplacer notre grandeur perdue – je ne parle pas des anglais, pardon, des britanniques, car le roman s'est achevé ainsi : TINA-, on raconte des histoires aux petits enfants : si tu es sage si tu travailles bien si tu travailles plus tu réussiras ! Quelle baisse de niveau !
Où sont donc passés Roland de Roncevaux, dont on nous a raconté que des craques mais qui faisaient rêver, notre bon roi Saint-Louis, qui a estourbi tout ce qui se trouvait de cathares et de languedociens sur sa route mais qui rendait la justice sous son chêne ? Robespierre le sanguinaire que tous les enfants craignaient de rencontrer sur le chemin du retour de l'école ? Le gentil Charlemagne, le délicieux Jules Ferry sans qui-vous-ne-seriez-pas-là ?! Plus de rêves éveillés pour nos enfants : bats-toi, sois le meilleur et tu seras plein de tunes ! Sûr que ça ne réussit pas à tout le monde. Quant à l'histoire, en Amérique on promeut le créationnisme et ici, pire que ce que je viens de rappeler, on zappe ( la guerre d'Algérie ? C'était quand ?), on mélange tout, on marie Napoléon et Louis XIV, ayant trouvé quelques accointances, on perd tout le monde et on a la paix !
Les programmes scolaires sont faits par des historiens triés sur le volet, et on se doute bien qu'ils mentent sciemment. On ne s'aventure pas à expliquer notre société, ses lois, on s'en tient aux batraciens, et encore c'est pas sûr, et on oublie d'enseigner la lecture. Au moins ceux-là n'iront pas chercher trouvailles ailleurs ! Le roman national, c'est des rédactions sur un sujet concret : la télé-réalité, le match de foot, enfin tout ce qui intéresse les enfants.
On ment, on affabule, on entourloupe, sciemment. Mais les fables sont concrètes, à portée de main si je puis dire. Bien entendu, ce n'est pas dans mon propos de parler du consentement fabriqué par la publicité et les médias.
L'ignorance programmée a remplacée nos légendes ; il s'en trouvera sûrement pour dire que c'est mieux ainsi.
Les mythomanes sont des gens qui ont besoin de se raconter des histoires pour se grandir ; ils s'inventent la plupart du temps une naissance de la cuisse de Jupiter, l'appartenance au petit peuple étant très dépréciée ces temps-ci. Cette maladie est encouragée par la rédaction de CV, qu'on enseigne en moins de deux dans un stage conçu et réalisé par un spécialiste ; on emphase le vocabulaire jusqu'à ne plus trouver plus haut, on monte en épingle une anecdote ou une expérience de quelques jours, on détaille les diplômes pour faire riche, bref, on se hisse, on se montre, on se vend. Peu à peu, on y croit.
La mythomanie, c'est pour les pauvres ; quand on est en haut du cirque, on n'a plus besoin de s'y croire, on affabule.
Le mensonge décidé et assumé, on l'a vu, est une tactique politique, de politiciens ; nos guignols désormais n'ont pas cette trempe ( incroyable d'en venir à dire cela) ; ils ont d'autres dons : ils sont inébranlables, insensibles au chant, toujours droits dans leurs bottes, vainqueurs malgré leur défaite,( ce qui n'a rien à voir avec la dignité du perdant) et surtout, ils sont prestidigitateurs. ( À propos de défaite, souvenez-vous comment Jospin fut conspué d'avoir capitulé ; on aurait voulu qu'il en sorte souriant, confiant, vainqueur quand-même pour soutenir ses troupes ; au fond l'homme ordinaire semble exiger le mensonge qui maintient l'image de l'homme infaillible dont il a tant besoin). Ils réussissent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, des régressions pour des réformes.
Je ne sais pas si l'affabulation est pire que le mensonge ; il est issu d'autres veines. Il y manque probablement la conscience de mentir pour le bien du peuple, dans un dédain parfait, mais il y a le rôle qu'on finit par habiter au point de s'y confondre. Car il n'est pas insensé d'imaginer qu'en proférant leurs promesses et vantant leur scénario, en se mettant aux enchères avec une surenchère de talents, de vertus, ceux-ci, habitant leur rôle d'acteur, ne se mettent pas à y croire. Ce dédoublement et cette confusion sont le signe inquiétant d'une absence totale de maîtrise dans un monde qui pourtant l'exige.
La théorie des ensembles m'a beaucoup plu et me paraît assez opportune pour expliquer, ou du moins illustrer pas mal de choses.
Si la maîtrise et la force me paraissent dans le contexte actuel tout à fait antinomiques, il est vrai qu'en remontant un peu, on peut leur trouver un petit bout de champ sémantique commun.
Maîtriser son art, sa technique, son savoir-faire, se maîtriser soi-même peut faire appel à quelque chose qui ressemble à la force, la force intérieure, celle qui émane des premier, troisième et sixième chakras principalement, respectivement Muladhara, Manipura et Ajna. Cette force qui est notre énergie à vivre, cette capacité à survivre et qui nous lie au sacré.
Mais la maîtrise telle que je la définis aujourd'hui, n'a rien à voir avec cette force-là ; elle est une tension, un déséquilibre : on tient tout à bout de bras. Elle est une volonté, issue du seul mental, qui avise au coup par coup, parant au plus pressé. Vouloir tout gérer, tout légiférer, tout programmer, tout contrôler est pire qu'une illusion : une faute, un enfer qui mène à l'enfer.
La confiance est nécessaire dans la délégation que l'on donne au pouvoir ; aujourd'hui cette confiance n'existe plus, globalement, son absence conduit à un abîme de solitude et d'impuissance. Les produits vantés à coups de millions, vendus à des acheteurs sans discernement, ne sont même plus des hommes de pouvoir : les larbins plus ou moins doués d'une idéologie mortifère. Il n'y a plus ni dessein ni destin ni cause, plus rien qui fasse sens, juste une débauche.
Bien sûr il n'y a eu aucune coupure nette perceptible par le peuple, entre un De Gaulle, un Mitterand et Hollande, une rapide dégradation continue, possible parce qu'il n'y avait plus aucun contre-pouvoir. Il n'y a rien de plus juste, depuis ces quarante dernières années que cette maxime : le pouvoir n'existe que parce qu'il rencontre des ventres mous !
La démesure, le désir de pouvoir, la schizophrénie, la mythomanie, l'affabulation- qui peuvent jusqu'à se passer de la séduction- le mensonge comme vérité, appartiennent tous à la même famille, et cette famille, il semble que nombreux sont ceux qui veuillent lui appartenir !
Mais le conte de fée que l'on nous sert, qui est sensé nous flatter -vous le valez bien- ne finira pas bien ; nous ne sommes plus assez ignorants, bien que tout soit fait pour, et bien que la plupart ait reçu la schizophrénie comme cadeau de la fée Carabosse dès le berceau, soit éloignée au possible de la Nature et de ses lois, à l'intérieur même de l'enfer programmé, les avertis voudront mettre sens dessus dessous la hiérarchie imposée. Pour ce faire, il nous faut quelques volontaires pour, au moins, accepter de voir l'immense dégât, retrousser leurs manches et inverser la vapeur.
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