Du pouvoir des mots et de la politique
Une chose m’a marqué dans « Le Nom de la rose » d’Umberto Eco : l’introduction. Elle résume le livre si joliment en disant qu’au début le verbe fut et que c’est en nommant les choses que l’on crée le monde. Tout le développement du livre est de nous montrer le danger de l’idéologie et du pouvoir dans son oeuvre de négation de la langue et de son rôle.
Les mots sont là pour échanger, et tant le tabou que l’altération du sens des mots nous font courir le risque de faire exploser notre société. Illustrons cet exercice sans peur de la bravitude voyoutocrate.
1984 et la tour de Babel
De 1984 de George Orwell tout le monde se souvient de la société utltra-sécuritaire, mais qui se souvient aussi de la novlangue et du conflit perpétuel ?
Dans 1984, le gouvernement fait un sain travail de purification de la langue en réduisant le nombre de mot et ainsi leur précision. Et ainsi, plus personne ne pouvant échanger il n’y a plus de solidarité, et donc de contestation possible. Contestation de toute façon découragée, à cause d’un état de guerre supposé permanent contre des ennemis dont on ignore s’ils sont réels.
Et comme le raconte l’histoire de la tour de Babel, quand plus personne ne peut parler ensemble, plus de projet commun n’est possible. Or le projet du vivre ensemble si cher à notre gouvernement est-il possible si les mots s’altèrent ?
Les néologismes
Quelles ne fut pas ma surprise en voyant apparaître deux tournures étranges récemment :
- le rejettement ;
- le tranfèrement.
Non que ces tournures ne soient pas françaises, mais elles découlent de la même logique que la bravitude. Une construction systémique des mots dans un sens non du respect de l’usage (ces mots ont le même sens que rejet et transfert), mais d’une construction pour les fainéants de la langue.
Remarquez, une langue plus simple est une langue plus apte à échanger. Sauf si au passage on perd le sens des mots, et qu’on oublie une chose importante propre à la communication : la langue doit être concise est agréable. Par exemple préférez-vous l’enfantin :
Est-ce que vous voulez un pain ? ou le
Veux-tu une châtaigne ?
Le Tu veux un marron ? étant quant à lui trop proche de la forme affirmative pour être utile.
Pourquoi choisir des formes nouvelles pour des mots anciens, en plus on perd le poids culturel du mot, et tout le monde se demande s’il connaît le sens du mot, car il n’a plus de contexte.
Exemple : flexisécurité, employabilité, globalisation.
Ces mots sont vierges de sens. Comment peuvent-ils être un projet quand ils n’ont de sens précis que dans la tête de celui qui le dit ?
Employons un mot ancien plein de sens pour dire la même chose : exploitation.
Quand un représentant du peuple emploie un mot inconnu du peuple cela ne veut dire qu’une chose : il veut* que le peuple ne comprenne pas son projet. L’hypothèse la plus sûre reste de lui substituer le mot le plus défavorable.
(Quoique l’incompétence crasse est peut-être plus envisageable qu’une volonté délibérée.)
Mots anciens mal utilisés
Le piratage
La Lloyd’s s’alarme d’un problème montant qui lui coûte cher : le piratage. En mer de Chine notamment, le nombre de navires arraisonnés augmente de façon alarmante. Je cherche sur Google le mot piratage, qu’est-ce que je découvre ? Que des millions de Français ont un bandeau sur l’oeil et tentent de s’approprier illégalement des navires appelés mp3 ! Mais tonnerre de Brest, ça n’a aucun sens !
Suis-je le seul choqué, c’est ridicule ! Pour information sous le nom de piratage les éditeurs de logiciels de musique et de médicament essaient de rendre illégale des pratiques légales comme le droit à la copie privée, ou l’accès gratuit au domaine public. Dans une économie libérale quelle est la preuve de l’utilisation de la force pour s’approprier l’argent des autres :
- des consommateurs qui contournent des mesures techniques allant à l’encontre de leurs droits ;
- ou des éditeurs tentant par des moyens techniques et de lobbying** de changer la loi, et les discours pour s’approprier votre argent ?
** (ce n’est pas vraiment illégal, mais pas vraiment démocratique/légal non plus.)
Pénibilité du travail
Reprenons le Robert en 13 tomes que lit-on comme définition de travailler dont dérive le mot travail ?
- sens original : faire souffrir, battre, blesser, molester, endommager, dévaster, souffrir, accoucher, ethymologiquement faire subir un supplice (du tripal ?) ;
- par extension : occuper, troubler, agiter ;
- puis ensuite le sens social : faire une action pour donner forme ou être utile.
Pourquoi préciser le mot pénibilité, le mot travail en français est intimement lié à la douleur. Le salaire, c’est le salaire de la peur, c’est aussi le salaire de la sueur. Il y a juste une forfaiture remontant à Louis XIV qui consiste de la part des courtisans riches propriétaires terriens à affirmer travailler alors qu’ils possédaient des serfs pour justifier de leur train de vie dispendieux.
Mais vous avez raison de souligner que les temps changent. Le salaire est toujours là pour compenser la douleur subie au travail, d’ailleurs je tiens à signaler que vous pouvez m’embaucher comme PDG de n’importe quelle entreprise du CAC 40 au Smic.
Le travail est par définition physiquement et intellectuellement pénible. La première peine légale, constitutive d’un contrat de travail, est de renoncer 8 heures par jour à son libre arbitre et ainsi de revenir en enfance alors que nous sommes adultes. Quelle personne de l’entreprise n’a pas de contrat de travail ?
Le patron, car il n’a pas de relation de subordination. Le patron ne travaille pas, il reçoit une rente liée à son statut qui n’est pas corrélé avec sa douleur ou ses performances, car étant au sommet de la hiérarchie, personne ne peut mettre en place de mesures dites performances.
Le travail est un asservissement volontaire, douloureux consenti en vue de bâtir un projet commun. Quand on tente de dissocier la peine immanente au travail, quel message fait-on passer ?
Anglicismes et jargons
Il y a longtemps, je me moquais des Américains qui pour faire intelligent parlaient en français dans le texte des idiots savants.
Faisons-nous mieux ?
Nous impulsons des politiques, nageons dans les évidences, en toute sympathie de victimes tout en nous tirant des balles dans le pied. Ne cherchez pas toutes ces tournures sont des anglicismes, dont certains sont utilisés à contre-sens.
Je ne détaillerais pas le sens des erreurs, mais je vais les illustrer avec le jargon de mon métier : l’informatique.
Quand on traduit, on prend normalement le mot le plus proche dans le sens, et non dans la prononciation - quand on connaît son métier. Or, c’est de moins en moins le cas. En informatique, la plupart des problèmes que nous avons ont souvent déjà été résolus, donc on peut trouver du code organisé permettant à tous de le réutiliser. L’idée importante est la réutilisation, le mot anglais est library, que nombre d’informaticiens continue à traduire en français par librairie, l’endroit où l’on achète des livres. Humm, comment dire messieurs les informaticiens, librairy se traduit par bibliothèque. Car l’important dans notre métier n’est pas d’acheter le savoir, mais de le partager.
Peut-être que quand des experts disent des choses que vous ne comprenez pas, c’est peut-être le signe qu’eux-mêmes ne comprennent pas. Si vous ne comprenez pas, n’ayez pas peur de demander des explications.
Trop de mots tue le mot
Combien de mots utilisons-nous chaque jour, quel est notre vocabulaire ? Quelle est la limite ?
Autant de questions auxquelles je n’ai pas de réponses chiffrées, mais une certitude : notre capacité cognitive est limitée, nous avons besoin de synthétiser pour comprendre, et les plus grandes avancées sont liées à la simplification (toute relative) de nos perceptions, même si elles sont parfois paradoxales : nous comprenons beaucoup mieux les lois physiques qui nous entourent depuis que nous savons qu’il est atomique, ondulatoire, quantique, relativiste et déterministe en même temps (mais parfois à des échelles et des temps différents). La physique n’a pas changé le monde, elle a donné des mots qui ont changé nos perceptions. Des mots élaborés sans précipitations, compréhensibles de tous qui portent des idées qui ont changé le XXe siècle.
De l’autre côté, les dirigeants de tous poils nous enjoignent à participer à la vie de leurs projets (politiques, économiques, humanitaires, spirituels) tout en utilisant de plus en plus de mots et de sigles abscons aux sens troubles. Une langue qui nous est étrangère en somme. Croyez-vous vraiment que comme la physique ils changent le monde en répandant des mots au sens incertain ?
Pensent-ils vraiment que nous tiendrons pour profond ce qui est obscur ?
Conclusion
Détruire la langue, c’est détruire le lien social, car sans sens commun, il n’y a pas de projet possible.
Seulement à la différence de 1984, ce n’est pas tant la réduction du vocabulaire qui nous menace, que son altération et la prolifération de barbarisme.
Il est alors du devoir de chaque personne qui ne veut pas terminer dans une société orwellienne de continuer à pratiquer sa langue, à faire attention, et à rejeter violemment, experts, hommes politiques et idéologues de tout poil qui jargonnent.
Commencez à la coule : ne votez plus pour les hommes et femmes politiques qui ne parlent pas un français clair et précis, et quand vous ne connaissez pas le sens d’un mot, mettez votre vis-à-vis dans un embarras potentiellement amusant en lui demandant la définition.
PS : Comme je suis dyslexique, même si j’aime bien la langue, elle, elle m’aime un peu moins. Désolé pour les fautes.
PPS : voulant faire court, j’ai zappé la partie sur les tabous modernes contenus dans le politiquement correct. Et celle sur les mots anciens qui mériteraient d’être réhabilités dans leur sens premier comme métèque qui apporterait beaucoup à nos débats de société sur l’Europe et l’étranger.
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