Du Relais au Palais

Au pied de la lettre.
Après mes pérégrinations estivales, je suis revenu dans ce restaurant associatif et caritatif qui reçoit les exclus de la galette, les égarés sur les routes de ce vaste monde, les épaves d’une société qui aime à se délester des plus fragiles, des différents, des moins performants. Ils sont là, tout aussi nombreux qu’avant mon départ. Eux n’ont pas pris de vacances, ils sont venus tous les jours et fort heureusement, d’autres bénévoles tinrent le rafiot à flot.
L’image est assez maladroite car lors des deux orages violents que la région d’Orléans a essuyés, la salle de restauration fut noyée par les fuites d’eau. La vétusté de l’endroit n’est plus à démontrer et ce n’est pas le petit rafraîchissement de peinture verte qui fera oublier la réalité. Fort heureusement, des projets de reconstruction sont dans les cartons, projets qui demandent naturellement temps et procédures alambiquées, appels d’offres sans fin et subventions sans précipitation alors que l’urgence est chaque jour plus forte.
Je l’ai parfaitement ressentie en arrivant. L’afflux des familles venues des pays de l’Europe de l’Est est impressionnant. Les frontières sont ouvertes et la misère d’une Europe à plusieurs vitesses vient se perdre dans une nation qui ne peut ou ne sait recevoir ceux qui viennent à elle. Pour l’heure, nous avons dû modifier l’organisation interne en organisant un premier service plus tôt réservé à ceux-là.
Naturellement ce n’est pas sans conséquences. Les déshérités nationaux se plaignent de la priorité faite aux étrangers. Ils ne perçoivent pas qu’il y a là des familles avec poussettes et jeunes enfants. Ce jour-là, la plus jeune avait 26 jours, elle était dans les bras d’une mère qui voyait sans doute en elle, qui était née en France, son Sésame pour l’espoir d’une vie meilleure.
Comment expliquer à nos français de souche mais sans domicile fixe ou sans revenu suffisant, qu’il convient de donner priorité aux enfants et à leurs parents, de ne pas leur demander de faire la queue mais de les servir à l’assiette sans qu’ils aient à se lever ? La jalousie dans pareil cas est mauvaise conseillère. Les propos racistes fusent, des remarques acerbes rendent responsables des bénévoles qui subissent plus qu’ils ne gèrent les événements.
Je sens se former une véritable fracture entre ces deux catégories. Les uns se sentent en territoire conquis, passent sans faire la queue, s’installent et exigent parfois de manière véhémente et peu amène. Les autres regardent, doivent patienter et se sentent lésés. Le sale virus du racisme fait son chemin. Les meilleures intentions du monde se fracassent alors sur le principe de réalité. Faire différence c’est provoquer courroux et colère, frustration et jalousie.
La tension est palpable. Je sens monter des conflits, les gens deviennent irascibles. Même au sein de l’équipe, il y a des frictions. C’est normal, nous parvenons au seuil de tolérance, la structure ne peut plus absorber d’autres arrivants et pourtant le flux ne s’épuise pas quand les bénévoles finissent par le faire.
La chaleur n’arrange rien. Il y a de l’électricité dans l’air. La misère quand elle cesse de garder espoir en un possible lendemain meilleur conduit au désespoir. C’est ce qui se passe lentement mais sûrement dans ce lieu d'extrême dénuement. Chacun perçoit que rien ne s’arrange, que tout empire en dépit des pirouettes et du joli maquillage du niveau grimacier de la République. Les exclus sont effacés, gommés, retirés des préoccupations de ceux qui toujours plus tirent profit et privilège de cette situation.
Je sens ici monter la colère. Elle se fera vite haine et désespoir, ces maux terribles qui font basculer les hommes dans la bestialité et les excès les plus irrémédiables. Comment faire comprendre qu’il conviendrait de tout changer à ce modèle délirant ? L’un des bénéficiaires, l’artiste dont j’ai déjà évoqué le travail, me prend en aparté. Après la lettre que j’ai rédigée pour lui au Préfet du Loiret, c’est au Président de la République qu’il me demande d’écrire en son nom. Je crains de ne pas parvenir à y glisser les formules de politesse d’usage. Il ne convient plus de mettre les formes quand on sait avec quel mépris ce personnage agit pour le seul service d’une caste privilégiée.
Je ne me déroberai pas. Il aura sa lettre notre chef de l’état et le charmant personnage qui nous tient lieu de représentant suprême pourra jeter au panier sans même la lire, cette missive sans fioriture ni amabilité. J’ai désormais le plus profond dégoût pour ceux de son engeance qui sont responsables de ce désastre que je constate chaque fois plus fort quand je viens en cet endroit.
Cataclysmiquement leur.
Photos :Mag Centre
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