Dupont Lajoie ?
Pour le grand soir, on attendra. En 2017, Emmanuel Macron avait réalisé au premier tour un score de 24,01% ; en 2022 : 27,6% - soit une progression de 3%. En 2017, Marine Le Pen avait fait 21,30% ; en 2022 : 23,4% - soit une progression de 2%. En nombre d’électeurs, le constat est identique : près d’un million de voix en plus (904 199) pour le président sortant et 430 000 de plus pour sa rivale préférée, celle qu’il a pliée en deux au débat télévisé il y a cinq ans – et qu’il pliera à nouveau en deux dans une semaine pour s’assurer une réélection peut-être un peu moins confortable, mais qu’importe. L’un comme l’autre auront prouvé que deux fois zéro ne font pas zéro, et qu’il suffit d’ajouter du vide à la médiocrité pour convaincre un million et demi de Français de plus de sauter les yeux bandés, pieds et mains liés, dans le puits fangeux du modernisme régressif creusé depuis vingt ans par la nouvelle ploutocratie aux manettes, cette « élite » décomplexée qui n’a lu ni Paul Eluard, ni Hannah Arendt mais qui a su lire, en revanche, les tendances lourdes de la société d’hyperconsommation et faire sienne cette maxime à la Thiers : le bonheur des uns ne s’est jamais arrêté et ne s’arrêtera jamais là où commence le malheur des autres.
La leçon de Thiers
Sur Adolphe Thiers (chef de l’Etat à la chute du Second Empire) et l’embobinage des foules, le recours à l’historien Henri Guillemin reste une joie pour l’esprit – et une torture pour l’âme. Le cynisme en politique n’est pas né de la dernière pluie, et l’héritage glorieux de la Macronie triomphante est sans doute à chercher beaucoup plus loin dans le temps que dans les chaussettes usées du Maréchal Pétain. Ecoutons plutôt :
Thiers disait à ses amis monarchistes : ‘’Je crois que nous nous sommes trompés en nous imaginant que la monarchie est le plus sûr rempart pour préserver l’essentiel, l’essentiel étant la fortune acquise et le moyen de la développer. C’est difficile, la monarchie. C’est un personnage seul, le roi, qui gouverne, et il suffit que les gens qu’il appelle des sujets s’appellent eux-mêmes des citoyens et se mettent à brandir le mot de ‘liberté’ pour que le roi soit renversé. C’est ce qu’on a vu en 1789, puis revu en 1792, 1830, 1848 et 1870. N’ayez donc pas peur de la République, n’ayez pas peur du suffrage universel. Qu’est-ce que c’est que la République ? C’est la démocratie. Qu’est-ce que la démocratie ? C’est la volonté nationale qui décide. Et qu’est-ce que c’est que la volonté nationale ? C’est une majorité – qui peut être d’une seule voix. Il suffit que vous ayez 50,1% des Français et ça s’appellera volonté nationale. Regardez la chambre qui vient d’être élue maintenant (8 février 1971) : vous êtes monarchistes divisés, mais en tout cas vous représentez la fortune acquise, et une fois que vous aurez reçu la bénédiction de l’opinion publique, vous serez invulnérables. S’il y a des gens comme les Communards qui se lèvent, vous les accuserez immédiatement de faire des attentats à la liberté. La puissance de contrainte de la République est infiniment plus grande que la contrainte de puissance de la monarchie.’’
Les communards d’hier sont devenus les Gilets jaunes, les « Antivax », les profs et les soignants en colère d’aujourd’hui. Ils étaient déjà en 2021 – du point de vue des classes bienpensantes façonnées à leur image par les opulents copropriétaires de la Garde suisse médiatique – une menace pour la démocratie. Ils seront en 2023, après la facile réélection du marquis de Rothschild, époux McKinsey et émissaire de Davos, la fange extrémiste à éradiquer définitivement au nom du Peuple qui s’est exprimé dans les urnes.
Le poids des années
L’étendard de ce nouveau peuple de France, que ça plaise de l’entendre ou non, est porté par une classe d’âge – les plus de 65 ans – qui pèse 27% du corps électoral, regarde massivement la télévision et suit majoritairement, par conservatisme acquis, les injonctions du pouvoir. 41% des plus de 65 ans ont voté pour Macron, contre 17% pour Le Pen et 11% pour Mélenchon. C’est un écart monumental – à la limite du plébiscite, qu’on ne retrouve dans aucune autre catégorie d’âge et qui a suffi à lui tout seul à pousser le petit marquis en tête au premier tour. Quelque part, on peut les comprendre :
- Ils ne feront pas la guerre en Ukraine, d’autres s’en chargeront pour eux ;
- Ils n’ont pas perdu leur emploi ou dû fermer leur magasin suite aux mesures de démence covidiste de ces chers gouvernants ;
- Ils ont eu davantage à gagner qu’à perdre de la campagne de vaccination sino-capitaliste ;
- Ils n’auront plus à partir à la retraite à 65 ou 70 ans – ça, ce sera pour les suivants ;
- Ils ont été bercés toute leur vie par le chant des patriotes aux poches pleines de la double-menace bolchévico-fasciste repris en cœur à longueur de journée par la chorale médiatique.
Le piège a bien fonctionné, au-delà même des espoirs les plus fous des conservateurs les plus acharnés. Le petit marquis, après cinq années d’épouvantable calvaire infligé aux deux tiers de la population, s’est offert le luxe non seulement de pouvoir remonter sur le ring, mais de pouvoir choisir son adversaire la moins redoutable – la même qu’il y a cinq ans. Qu’a-t-il fait concrètement pour mériter cet honneur ? Strictement rien, à part donner des garanties aux classes possédantes et bienpensantes qu’il savait faire le job (réprimer, humilier, ostraciser, diviser) sans reculade ni états d’âme. Qu’a-t-elle faire pour mériter ses galons de générale d’opposition fantôme ? Strictement rien, à part gérer la marque Le Pen comme d’autres gèrent McDonald’s ou Coca Cola, avec un minimum de prise de risque pour ne surtout pas dire la phrase qui fâche (les médias du système). Comme l’avait dit Emmanuel Todd dès 2017, « le vide [du candidat] Macron est entré en résonnance avec le vide de son époque ». La reconduction de l’attelage catastrophique Macron / Le Pen cinq ans plus tard parachève impitoyablement ce constat.
Partie remise ?
Comme Greg Lemond et Bernard Hinault arrivés main dans la main au sommet de l’Alpe d’Huez en 1986, la victoire de l’un est assuré par la présence de l’autre. A l’époque, c’était déjà un affairiste – Bernard Tapie, directeur de l’équipe cycliste Le Vie Claire – qui avait déjà œuvré en coulisse pour donner à la foule ce finale à couper le souffle et aux médias cet épique moment de confraternité sportive à faire pleurer dans les chaumières. Est-ce à dire que Dupont Lajoie n’a jamais cessé d’être majoritaire en France et qu’il faut donner raison à de Gaulle quand il disait depuis Londres en 1940 après la signature de l’armistice : « les Français sont des veaux. Ils n’ont que ce qu’ils méritent » ? Sans doute pas. Il y a chez les abstentionnistes comme parmi les électeurs de LFI, de Reconquête et du RN une forte réserve de mécontents intelligents, qui ne croient ni aux contes de fées du renouveau tombé du ciel, ni à la fatalité de la désastreuse Realpolitik mondialiste incarnée aujourd’hui par les Macron, Trudeau, Draghi et autres lutins cyniques à la solde de l’Avenir Unique. Il leur reste à se regrouper, à se parler aussi, pour que le petit marquis se sente isolé lui aussi, pris à son tour dans l’étau d’une gauche et d’une droite radicales (et non pas extrêmes) capable de se rassembler, ne serait-ce que tactiquement, pour faire capoter ses plans.
En vidant de leur sève et de leurs adhérents les partis bienpensants de droite (LR) et de gauche (PS), le petit marquis a peut-être savonné la planche qui a fait son succès. Ce nouvel extrême-centre décomplexé (LR-LREM-PS) clairement réuni et identifié autour d’un même mépris de classe ne pèse pas plus de 30 à 35% dans les urnes. Etant donné son idéologie (antisociale, antinationale, pro-UE, pro-OTAN) et l’état de délabrement moral et intellectuel de l’Occident, il est voué à garder sa place dominante dans les médias du système, mais il n’a aucune vocation, en revanche, à être majoritaire au parlement.
Que la droite gaullienne et la gauche jaurésienne prennent le temps de se réarmer et de se refaire une santé en puisant dans l’Histoire de France ce qui a fait leur force et leur identité, et tous ces Ménard, Hollande, Valls, Estrosi, Hidalgo, Juppé, Bayrou, Pécresse s’enfuiront au premier coup de canon – et avec eux le petit marquis et sa clique de courtisans. Alors oui, cinq ans de plus, cinq ans de plus à en chier, mais sachons humblement reconnaître que nous n’étions pas prêts. Vingt ans de lavage de cerveau post 11 septembre 2001 sont passés par là et ont préparé le terrain pour les Sarkozy, les Macron et les von der Leyen d’aujourd’hui. La prise de conscience, pour tardive qu’elle ait été, donne des premiers signes de bourgeonnement chez nos concitoyens les moins perméables à la propagande eurocrate des gestionnaires de bétail humain infédoés à Pfizer, BlackRock et McKinsey – et accrochés comme des moules sur leurs rochers à leurs petits privilèges. Si Jean Castex, BFM TV, Le Figaro et Le Monde se révèlent au final pour nous des adversaires trop redoutables, c’est que pas plus que Marine Le Pen nous n’aurons mérité notre place sur le ring.
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