Economie - Service public, monopole et entreprises privées
Nous vivons en France sous un drôle de paradoxe : si le tout Etat a vécu, la droite au pouvoir depuis une décennie n’a pas créé un marché pur et parfait loin sans faut. Il est de bon ton aujourd’hui de dédaigneusement évoquer les « fonctionnaires », d’imputer à cette catégorie dont « on » ne fait pas partie à la fois les déficits publics, la lourdeur administrative, l’improductivité française... Et de louer par la même occasion le secteur privé source de toutes les richesses et de toutes les efficacités. Cette frontière intellectuelle et morale que l’on veut imposer m’interpelle et souffre d’une mise en situation au quotidien.
Ainsi, le monde de l’artisanat reste pour moi un grand mystère. Peu
bricoleur, doux euphémisme, je tente de recourir régulièrement à leurs
services. Tente, disais-je... Difficulté de trouver un artisan
disponible, besoin absolu de comparer, négocier, contrôler, vérifier,
parfois nécessité de faire refaire... la "première entreprise de France"
comme se qualifie cette corporation évolue dans un contexte où
l’amateurisme se conjugue à l’à-peu-près... et c’est peut-être le
meilleur symbole de notre économie !
Le monde nébuleux des
professions libérales n’est pas mal non plus. Sa seule évocation fait
rêver, sûrement le concept de liberté, et le statut et les
rémunérations sont de ce fait parfaitement justifiés et indiscutables.
C’est assez cocasse d’incriminer les fonctionnaires comme cause absolue
des déficits publics et de plaindre ces professions médicales pas assez
rémunérées alors même que les comptes de la sécu qui les finance sont
dans le rouge cramoisi. Oui, c’est vrai, je l’avoue, je trouve que mon
médecin généraliste est trop payé, pareil pour le kiné qui m’a soigné
la cheville dernièrement... on me rétorque qu’ils font beaucoup
d’heures, ben ils ne sont pas les seuls, qu’ils ont fait beaucoup
d’études, ben ils ne sont pas les seuls non plus. A quand une adéquation
de leur activité en rapport direct avec le marché, c’est-à-dire une
population qui s’appauvrit et un Etat exsangue plutôt que de soutenir
artificiellement l’activité ? Et à quand les premières fermetures de
cabinets médicaux pour cause de dépôt de bilan ? Et que dire des
avocats, notaires...
Le monde des grandes entreprises me semble le
coeur même de notre imbroglio politico-économique qui veut que l’on
prône le libéralisme mais pas trop... J’aime à mettre en parallèle
cette doctrine avec l’attention que portent les politiques à leur
progéniture : oui au libéralisme, à la remise en cause professionnelle
tout au long de sa vie, aux incidents de carrière, aux changements
d’orientation... mais pas pour les hommes politiques ni leurs familles,
ni leurs proches. Il n’est qu’à voir le nombre de membres du gouvernement
actuel et leur entourage passés par ces structures. Et c’est peut-être
une des explications possibles à cette dérive de notre économie qui
veut que dans le secteur privé, des pans entiers soient protégés
au-delà du raisonnable et de ce que pourrait accepter un marché
équilibré. Au détriment du reste de l’économie. Les privatisations de
l’ère mitterrandienne avaient enclenché un processus devenu, sous les
gouvernements successifs de droite un leitmotiv. Aujourd’hui, parcourez
le CAC 40, vitrine scintillante et identifiez les entreprises quasi
monopolistiques et accrocs au marchés publics : voilà notre économie
dominante. Une économie de groupes fonctionnarisés. Oh certes ils
génèrent des profits mais à quel prix ? pour quelle compétitivité ?
quelles places laissent-ils aux autres entreprises ? celles qui ne
sont pas introduites dans les milieux autorisés, qui n’ont pas accès à
des marchés négociés, celles qui font notre économie réelle, celles
qu’appelle de ses voeux Hervé Novelli, secrétaire d’Etat aux
Entreprises (quel triste symbole, un simple secrétaire d’Etat pour les
entreprises, un ministre pour l’agriculture et la pêche) et au Commerce extérieur. Car pour expliquer le déficit record du commerce extérieur,
il stigmatisait récemment le faible nombre d’entreprises moyennes et le
manque d’innovation. Ben oui mais en favorisant les uns on pénalise les
autres mon bon monsieur.
Diminuer le service public est présenté
comme la solution. Elle ne réglera rien. Il faudrait diminuer cette
économie para-publique. Alors, à quand une limitation des grands
groupes (Vivendi, Vinci, Véolia, Suez...) et de leurs insaisissables
filiales, l’imposition de règles strictes de concurrence avec les PME
et la mise en oeuvre d’accès aux marchés publics réservés au vrai tissu
économique constitutif de notre richesse ? A coup sûr cela ferait de
sacrées économies pour l’Etat.
Cela ferait du grabuge chez les amis
du pouvoir certes. Car curieusement le monde politique ne sait
s’afficher qu’avec le CAC 40.
Mais il est vrai qu’"on ne donne rien si libéralement que ses conseils", disait de La Rochefoucauld...
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