Vu la situation un peu particulière dans laquelle j'ai écrit mon livre « Mohicans », je vais chaque semaine sur mon mur Facebook tenter de vous faire part de ce qui se passe autour de cette sortie.
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J'ai eu l'idée d'un travail avec et sur Cavanna en 2009. J'avais remarqué qu'il était oublié des générations d'avant quarante ans. Plus on s'approchait de la vingtaine, plus l'amnésie gagnait du terrain. Cavanna était pourtant, à mes yeux et à ceux de mes amis, celui qui nous avait aidés à être ce que nous étions. Des types prêts à écrire et à en découdre, méfiants à l'égard des pouvoirs, ne se prenant pas trop au sérieux. Cavanna était celui à qui nous devions ce sentiment de liberté. Je l'ai revu. Nous avons parlé. Et l'idée d'un film s'est imposé. Il a été réalisé entre 2010 et 2015. Pendant que nous tournions, Cavanna est mort. Et alors que nous terminions le film et que nous devions encore enregistrer le témoignage de Wolinski, l'attentat de janvier nous a laissé hébété et perdu. Comment enchaîner ? Le film est sorti en salles en France en juin dernier et poursuit son parcours à l'étranger. Nous l'avons présenté en Angleterre, en Islande, au Mexique. Nous allons poursuivre avec l'Allemagne, l'Italie et bien d'autres pays. « Charlie » est devenu un sujet planétaire. Forcément, Cavanna aussi.
Chacun fait ce qu'il peut avec cette histoire. Mon boulot consiste à témoigner de ce que je sais, de ce que m'ont appris Cavanna, Choron, Delfeil, Willem, Siné et les autres. La première raison pour laquelle j’ai écrit Mohicans, était et reste d’informer le public sur une histoire méconnue et cachée. Je savais que cette histoire, mêlant captation d'héritage, compromission et détournement, ne ferait pas plaisir à certains anciens ou actuels membres de l’équipe de Charlie hebdo. Mais je ne pensais pas que la sortie de mon livre générerait autant de pression, de mensonges, d’autocensure et de craintes.
J’ai commencé à imaginer ce livre voici trois ans, au moment où je terminais mes entretiens avec Cavanna. L’histoire qu’il me racontait ne collait pas avec ce que j’entendais, surtout la période de prise en main par Philippe Val et ses after. J’avais pris quelques notes, en avais parlé à des éditeurs. Le déclic est venu après les attentats de janvier, en voyant comment Philippe Val, Richard Malka, certains cadres de Charlie Hebdo et la chargée de communication Anne Hommel utilisaient ce journal en sang et en lambeaux, pour faire passer des idées et une histoire qui étaient sans rapport avec l'histoire que je connaissais.
Je me suis mis à écrire vers la fin du mois de mai 2015. Mais j’ai poursuivi mon enquête jusqu’à la fin du mois de septembre 2015. J’ai enregistré, correspondu ou vu une cinquantaine de témoins, dont une trentaine m’ont répondu par écrit ou ont été enregistrés en vidéo. Toutes les citations du livre ont été renvoyées aux intéressés par mail. Ils les ont généralement relues et pour certains amendées. Seuls trois personnes - Le dessinateur Luz, Marika Bret et Eric Portheault, la DRH et le directeur financier de Charlie Hebdo - n’ont pas réagi à mes mails.
Je voudrais remercier les autres pour le temps qu’ils m’ont accordé et pour le soin qu’ils ont mis à me répondre. Inutile que je les cite individuellement, ils se reconnaîtront. Je les remercie, car les intimidations n’ont cessé de monter à mesure que l’échéance de remise du manuscrit approchait. Je pense en particulier à celles exercées sur Bernard Dartevelle, le premier avocat de Charlie Hebdo, qui explique comment Philippe Val et Richard Malka l’ont évincé et comment l’actionnariat du journal a été fermé à ses fondateurs. La confidentialité de nos échanges m’oblige au silence que seul lui pourra briser s’il le juge nécessaire.
Les pressions ont commencé mi septembre sur mes éditeurs. J’emploie le pluriel car Julliard, ma maison d’édition, appartient au groupe Editis. Mes adversaires devaient savoir que le lien qui m’unit à Bernard Barrault est solide. Il fallait donc jouer sur une autre corde.
Le 10 septembre 2015, j’ai écrit une première lettre recommandée à Philippe Val que j’ai envoyé à son domicile. J’ai doublé cette lettre le lendemain d’un courrier sous pli à son éditeur Grasset. J’ai laissé passer quelques jours et, en l’absence de réponse, renvoyé cette même lettre à deux autres adresses. Dans mon courrier, je listais une quarantaine de questions reprenant toutes les interrogations le concernant dans le livre, en lui proposant une rencontre et en lui laissant mes coordonnées.
Le même jour, j’ai écrit à Richard Malka une lettre recommandée, doublée d’un mail. Ma lettre était dans le même esprit que celle envoyée à Philippe Val. J’y abordais de manière exhaustive tous les sujets du livre.
Le 15 septembre, j’ai envoyé un mail à Riss qui commençait de la même manière que les deux précédentes lettres Comme vous le savez peut-être, je termine un livre qui sera publié en novembre chez Julliard. J’y retrace la vie de Charlie Hebdo et d’Hara-Kiri depuis 1960 jusqu’à aujourd’hui. Ce livre très personnel est dans la continuité de mon film sorti au cinéma en juin dernier. Vous en êtes un des personnages. A ce titre, et afin d’équilibrer mon récit, j’aurais aimé avoir votre avis, vos positions, vos souvenirs sur divers sujets où vous êtes cité…
Mes interlocuteurs avaient trois semaines environ, pour me répondre. Voire plus. Je leur garantissais d’intégrer leurs propos, ma « religion » n’était pas faite sur de nombreux sujets. En particulier sur l'influence et le rôle de Malka dans cette captation de Charlie Hebdo. Riss m’a fait parvenir, le 22 septembre 2015, un mail dont j’ai rendu compte dans mon livre, où il met en cause mon intégrité. Il a refusé de répondre à la plupart des questions que je lui posais. C’est son choix. Et je n’ai aucun problème avec lui.
Le même jour, je recevais un mail et une lettre recommandée de l’avocate mandatée par Richard Malka pour me répondre. Curieuse méthode que celle de faire répondre par une avocate, pour un avocat d’habitude plus bavard. L’avocate en question me demandait de publier sa lettre dans son intégralité, ou de ne pas la publier du tout. J'ai fait le choix de ne pas la publier, dans la mesure où plusieurs questions posées amenaient des réponses qui n’étaient pas dans le livre. Et qui auraient pu être diffamatoires.
Le 23 septembre 2015, au nom de Philippe Val et de Richard Malka, est arrivée au service juridique d’Editis, siège, maison mère et diffuseur de Julliard, une lettre, au ton menaçant, signée de l’avocat Georges Kiejman, mettant en garde mon éditeur contre les affirmations « mensongères » de mes courriers et supputées diffamatoires de mon livre qu’il ne pouvait pas avoir lu car je ne l’avais pas encore terminé. Cette lettre a été suivie d’appel et de contacts avec le service juridique du groupe. J’en avais fait état dans un épilogue de mon livre qu’on m’a demandé d’enlever. Ensuite, les admonestations n’ont pas cessé pour obtenir copie du manuscrit, date de sortie du livre et pour me menacer de poursuites, ainsi que ceux qui pourraient faire état de mon travail.
Ironie de l'histoire, Philippe Val a décidé d’écrire lui aussi un livre. Nous nous retrouvons ainsi bizarrement concurrent, alors que nos deux démarches n’ont strictement rien à voir. Il est un acteur engagé de cette histoire. Je suis un témoin partagé de cette même histoire.
Je ne revendique pas l’objectivité. Je n’ai jamais fait partie de Charlie Hebdo, même si j’y ai des amis. Et je n’ai jamais eu envie d’en faire partie. J’enquête, je suis dans le présent, je questionne le passé. J’ouvre des portes, que parfois je force. Je fais des liens. Je tisse. Je ramifie. J’interroge le réel, j’en rends compte. Les histoires intéressantes sont faites de trahisons, de types qui pensent détenir la vérité, de gendarmes, de voleurs, d’imposteurs. Je ne suis pas habité par un esprit belliqueux. Ma tendance naturelle serait plutôt la paresse. C’est un paradoxe. Il m’en faut beaucoup pour mettre en marche la machine à écrire. Ecrire, ici, c'est combattre. C'est canaliser une révolte.
L’immoralité ne me gêne pas. La corruption et la cupidité, pas trop. Je m’y suis habitué. Certains de mes amis ont été ou sont des escrocs, des fraudeurs. Ils ne sont pas cyniques. Souvent, ce sont eux qui m’ont donné des clés pour comprendre une réalité inextricable. Ce sont les effets nocifs de l’immoralité ou de la corruption qui réveillent en moi le besoin d’écrire. Depuis les événements de janvier à Charlie Hebdo, je traînais cette petite chose dure et insondable. Je devais m’efforcer de comprendre l’enchaînement des faits, sans me laisser emporter par mes émotions. Je n’ai jamais cessé de penser à la douleur des victimes des attentats et de leurs proches. Ce livre – Mohicans- est étranger à ces crimes. Mais sans eux et le choc planétaire du 7 janvier 2015, je n’aurais jamais démarré. Depuis toutes ces années, je ne sais toujours pas à quoi sert ce travail, mais je ne peux pas faire autrement. Quand la petite chose dure et insondable est en moi, il faut que j’écrive pour qu’elle s’en aille.
Si j’en crois la littérature reçue par courrier recommandé chez mon éditeur jusqu’aux derniers jours précédant la sortie de mon livre, et les conseils ou menaces exercés sur les journalistes souhaitant m’inviter ou simplement écrire sur Mohicans, les ennuis ont commencé. Je ne les cherchais pas. Un livre, même polémique, reste un objet de débat. Ma méthode est assez simple. Je pose des questions. Quand on ne veut pas me répondre, j’envoie mes questions par écrit et souvent en recommandé. Contrairement à ce que disent mes détracteurs, qui ont tous bâti leur carrière sur la défense de la liberté d’expression, ce sont de vraies questions. Ils n’y répondent pas. C’est leur droit. Ils s’en servent ensuite pour créer, rumeurs, amalgames et suspicions. Et donc -in fine- me faire taire. Là réside, selon moi, un souci. Et il est de taille.
Je m'attendais à tout en sortant Mohicans, mais pas à ce degré de mensonge et de délire de la part de celui qui a dirigé et -à mon sens- manipulé l'équipe de Charlie Hebdo pour l'amener à une impasse rédactionnelle, idéologique et économique. Philippe Val, puisqu'il s'agit de lui, n'a rien trouver de mieux pour m'attaquer qu'inventer de toutes pièces, dans son livre, une fiction qu'il fait passer pour vrai. Et que j'ai découvert hier en étant invité sur le plateau de
France Inter. Extrait :
Philippe Val n'a rien trouvé de mieux pour tenter de m'égratigner que d'inventer une vieille animosité à son égard. C'est tellement con et tellement fatigant de lui répondre. Un copain (merci Bertrand) vient de m'envoyer une citation de Bernard Shaw qui dit mon état d'esprit :
Don't wrestle with pigs, you both get dirty and the pig loves it
Qu'on peut traduire par :
Inutile de se battre contre un cochon, parce qu'on en sort sali et qu'en plus le cochon prend son pied.
Vous dire aussi que le livre en librairie depuis trois jours est déjà épuisé dans de nombreuses librairies. Et qu'il est en réimpression. Facebook et les réseaux sociaux ne sont pas étrangers à ce succès. Tel le saumon qui nage à contre courant et remonte le cours de la rivière, mon livre débarque. Je voudrais seulement qu’on le juge sur pièce.
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