Edvige : la seule concession acceptable, c’est sa suppression définitive, pour un Etat républicain
Edvige est plus que jamais installé dans la vitrine médiatique française. Hélas, personne ne prend le soin d’argumenter et d’expliquer en substance ce qu’est Edvige, laissant la porte ouverte à toutes les interprétations et confusions. Alors un peu de pédagogie provocatrice ne nuirait pas au débat. Et puis, je présente un principe universel à visée heuristique. Si, pour Gabor, tout ce qui est techniquement faisable sera réalisé un jour, alors, tout ce qui est techniquement effectué a des finalités avérées ou bien cachées. Quelles finalités, Edvige ?
Quelques infos de dernières minutes glanées dans le journal télévisé d’Aquitaine. Edvige à la une. Les élus et le maire MoDem de Barsac, petite commune de la Gironde, ont décidé de délibérer officiellement sur leur inscription éventuelle dans Edvige, avec pour objectif de formuler une requête non moins officielle pour demander à être rayé, s’il y a lieu, de ce fichier. Jean-Paul Garraud, député UMP de cette même Gironde, s’est affiché en fervent défenseur d’Edvige, arguant que lui-même ne craignait pas d’être fiché, n’ayant rien à se reprocher. C’est bien là une rhétorique de base, populaires pour ne pas dire populiste, rhétorique apte à satisfaire l’individu lambda docile qui, lui aussi, n’a rien à se reprocher. Autant dire que le populaire inséré dans le sigle UMP a bel et bien toute sa place. Ce que n’a pas compris notre député, c’est que le refus d’Edvige va au-delà de son usage possible et que, même si ce fichier est sous le contrôle de la justice et de l’Europe et bla bla, c’est le principe qu’il représente que les citoyens combattent, avec diverses personnalités associatives, syndicales et politiques. Rappelons tout de même que JP Garraud fut reçu à Matignon pour remettre son rapport officiel sur les réponses à la dangerosité, avec 21 mesures pouvant être insérées dans les textes législatifs selon Matignon. On ne pouvait trouver meilleur apôtre pour célébrer Edvige ! Mais place à un peu d’analyse.
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Le décret instituant Edvige a aussi institué Cristina, présenté comme sa petite sœur, et, déjà, matière à confusion car, d’une part, ces deux fichiers sont issus de deux anciens dispositifs, l’un émanant des RG, l’autre de la DST. Cristina a pour vocation la sécurité du territoire et la défense des intérêts nationaux. Rien de répréhensible, toutes les nations modernes ont ce type de dispositif et d’ailleurs, malgré quelques possibles dérives, la légitimité est évidente. Ce fichier contient des renseignements sur des individus ayant affirmé des intentions violentes, d’ordre politique, religieux ou autres et, dans le contexte du terrorisme ambiant, il serait bien hasardeux de refuser un dispositif ayant comme finalité la sécurité du territoire et la protection des citoyens face aux violences délibérées. Qui, par exemple, permet de museler des activistes virulents d’extrême droite. Cristina n’est pas un point de détail. L’associer bêtement à Edvige, c’est entrer dans l’amalgame et l’angélisme gauchiste intransigeant ; prêter le flanc au pouvoir ; alors qu’accepter Cristina octroie la légitimité à combattre Edvige.
Edvige est tout autre dans sa lettre de mission. C’est un mélange des genres insupportable, à la fois dans la nature des individus fichés et les informations qu’il contient. Matthieu Lambda, jeune délinquant de 13 ans signalé par le principal pour avoir écrit sur les murs du collège, « casse-toi connard », se retrouvera fiché juste après Maurice Lambada, chanoine de Reims impliqué dans le mouvement charismatique auprès des jeunes chrétiens de l’université. Le seul motif écrit reliant ces deux personnages, c’est le soupçon de trouble à l’ordre public. Les individus ayant l’honneur de figurer sur Edvige sont susceptibles d’attenter à l’ordre public. Rappelons que nous sommes dans un Etat de droit et que la qualification des motifs juridiques mérite quelque attention. Le droit ne supporte pas le flou. Cette qualification de trouble potentiel à l’ordre public se révèle livrée à l’arbitraire d’un fonctionnaire de la sécurité alors que l’usage d’Edvige pourrait être facilement détourné au service d’intérêts spécieux, voire mafieux au sein de l’Etat.
Je propose une idée géniale pour ficher la délinquance ! C’est con que nos gouvernants n’y aient pas pensé car il existe un dispositif parfaitement adapté pour ficher la délinquance. C’est incroyable, et on nous l’avait caché ! Ce dispositif, c’est le casier judiciaire ! Evidemment, nos politiciens sortis de l’ENA n’ont pas été formés pour imaginer des idées aussi évidentes. Certes, le casier judiciaire ne contient que les inscriptions y figurant après les décisions du juge, selon la condamnation prononcée. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à un fichier judiciaire où toute comparution serait consignée et, d’ailleurs, la police a aussi son propre fichier où sont recensées toutes les interpellations et autres gardes-à-vue, même lorsqu’elles ne sont pas assorties d’une comparution devant le juge. S’il s’agit de consigner des informations pour, éventuellement, les utiliser dans la prévention des actes contraires à la loi, alors on peut dire que les dispositifs existants sont existants et suffisants.
Mélanger les genres et affirmer qu’Edvige est nécessaire pour la sécurité républicaine n’est qu’un pur mensonge. Il s’agit de donner un cadre légal à un fichier des RG dont les prérogatives ont été votées sous un gouvernement de gauche présidé par Mitterrand. Et dont l’extension a été effectuée après ce fameux décret de juillet 2008. Si on analyse exactement les motifs, on comprend que la finalité n’est plus tant la sécurité du territoire que la surveillance politique de citoyens engagés dans diverses causes et qui, s’ils troublent l’ordre, c’est sans porter atteinte à la sécurité, sans forcément faire acte de violence et, le plus souvent, sans enfreindre la loi républicaine. Le mérite d’Edvige, c’est d’ouvrir le débat sur des pratiques tellement ancrées dans la société qu’elles étaient devenues acceptables et invisibles aux yeux des citoyens. Car qui peut prétendre que collecter des informations sur des responsables syndicaux, associatifs ou autres, sert la République et ses citoyens ? N’est-ce pas là un vivier d’informations pouvant être exploitées de manière malveillante afin de servir quelque intérêt factieux, politique ou économique ? Et, d’ailleurs, des précédents existent en la matière. Voilà l’arroseur arrosé et, s’il y a bien trouble de l’ordre public, c’est le fait d’Edvige dont l’existence n’a de sens que dans un Etat policier ayant besoin d’un dispositif au service d’une police politique.
Edvige n’a donc pas cette finalité que ses parrains lui attribuent et sert plutôt des fins autres, de surveillance, de police citoyenne, digne de l’ère de Fouché et, pour évoquer quelques événements récents, Edvige ressemble de près aux écoutes téléphoniques de Mitterrand, pratiquées contre Edwy Plenel, Jean Edern-Hallier, Carole Bouquet entre autres, des personnalités qui, comme tout le monde le sait, sont d’une extrême dangerosité. Allez, cessons de plaisanter, ne nous laissons pas avoir par ce mégotage proposé par Mme Alliot-Marie sur la désinscription des jeunes délinquants rentrés dans le rang après quelques années. S’il faut désinscrire, c’est tous les citoyens fichés qui, eux, sont dans le rang et vierges de toute condamnation. Autrement dit, un seul mot d’ordre, Edvige et l’Etat policier ou bien la suppression d’Edvige pour un Etat républicain.
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L’affaire n’est pas close. Le combat contre Edvige représente un enjeu par-delà les clivages politiques. Edvige laisse soupçonner que tout individu engagé dans une cause est suspect. En Union soviétique, tous les individus étaient suspects. Même si les garanties existent, c’est une question de principe et de valeur. Etre fiché est une sanction pour des citoyens engagés et, donc, témoignant d’une vertu. Le ressort de la République est la vertu disait Montesquieu. Raisonnez un peu et vous conclurez qu’Edvige est anti-républicain, qu’Edvige a pour ressort la peur et les craintes, un ressort qui, selon Montesquieu, détermine les tyrannies.
Mme Alliot-Marie s’est exprimée au JT de la Une, révélant au passage les piètres capacités à interviewer de Laurence Ferrari (mais c’est un autre sujet). Alain Juppé avec d’autres responsables du PS ont demandé un débat parlementaire ; Mme Alliot-Marie a fait semblant d’accepter, exprimant son souhait de s’expliquer devant une commission parlementaire ; mais ce n’est pas cela, un débat parlementaire, c’est un débat dans l’enceinte républicaine vouée à cet exercice. Mme la ministre a argué que ce fichier existait depuis 1991 (sous-entendu depuis Mitterrand), mais est-ce un argument pour justifier un dispositif ? A ce compte-là, nous en serions encore à l’esclavage, qui a existé depuis des millénaires !
Alors, autant dire que combattre Edvige, même si c’est peut-être vain comme je m’en suis expliqué, c’est combattre pour des valeurs. Dreyfus a été réhabilité. Qui peut dire que cela n’a eu aucune importance. Pourtant, l’Histoire fut terrible et des milliers de Juifs furent déportés trente ans plus tard en France. Supprimons Edvige comme nos ancêtres ont réhabilité Dreyfus, c’est le moins que nous devons à l’histoire française, si nous respectons les valeurs de ce pays. Alors, même si le système policier doit poursuivre sa course, il appartient aux citoyens et aux responsables républicains de faire plier l’Etat français et de demander à ce qu’Edvige soit détruit, même si nous ne sommes pas dupes et que les moyens actuels permettent de copier à l’infini toutes les données. Il est bon à certaines occasions de savoir dans quel monde nous habitons, dans l’éventualité d’un possible changement. Et savoir de quelle société nous ne voulons pas. Le président Sarkozy a bien compris l’enjeu, envoyant MAM pour déminer, mais l’affaire se corse, bien plus qu’une villa corse envahie par des militants. On ne fait pas disparaître une ferveur républicaine citoyenne comme on éjecte un responsable local de la sécurité.
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