Effets positifs et pervers du tourisme de masse en Afrique
Le tourisme de masse est-il une aubaine ou bien un désastre pour les pays du tiers-monde ? De retour à Nairobi tout juste quelques semaines après les troubles qui ont suivi les élections présidentielles au Kenya et qui ont fait au bas mot près de 1 500 morts entre le 28 décembre et la fin janvier 2008, j’ai retrouvé un pays vide de touristes, mais redevenu calme et ouvert au débat politique. Si rien de fâcheux ne se passe, les premiers charters vont revenir pour Pâques et le rythme de croisière des safaris et autres divertissements reprendra pour l’été. Est-ce un bien ou un mal pour le Kenya, c’est ce que je vais essayer d’analyser en prenant ce pays comme archétype. Mais j’aurais très bien pu aborder le cas de la Tunisie, de l’Egypte que je connais assez bien qui ont aussi connu des périodes de vaches maigres touristiques après une série d’attentats islamistes.
Le tourisme peut-il tuer l’âme d’un pays tout en lui apportant un bien-être non négligeable du fait du flux financier qu’il génère ?
Au premier abord, le Kenya a souffert depuis Noël dernier du manque d’apport de devises dépensées par les touristes du monde entier qui venaient par centaines de milliers visiter les réserves animalières dans des paysages à couper le souffle et s’esbaudir tout en regardant danser des masaïs ou des samburus en costumes pseudo traditionnels, bonne occasion de faire quelques photos et de se préparer des souvenirs inoubliables.
De fait, le shilling kenyan qui s’échangeait à 90 KSH pour un euro avant la crise est descendu fin février à 110 pour se stabiliser désormais au-dessus de 100, malgré l’envolée de la monnaie européenne face au dollar américain. Les conséquences au niveau monétaire sont donc assez faibles, ce qui traduit une relative bonne santé de l’économie kenyane malgré tout fragilisée par la crise politique de fin d’année. Par contre, tout un pan de l’économie regroupant les hôtels de luxe et de catégorie moyenne a subi de plein fouet l’absence de touristes. Les agences de voyages tournent au ralenti, le marché local et les résidents expatriés n’étant pas suffisants pour remplacer le manque à gagner. Une foule de petits métiers gravitant autour des vacanciers a perdu son gagne-pain.
En 2007, Le Kenya a reçu plus d’un million de touristes, soit une hausse de 15 % par rapport à l’année 2006. Au niveau recettes, 95 millions de dollars, soit presque autant que l’exportation de fleurs coupées.
Le tableau est sombre pour le début 2008, avec seulement 27 000 visiteurs depuis le mois de janvier contre les 300 000 arrivées prévues d’après le chiffre du ministère du Tourisme du Kenya, soit une baise de 90 % !
Le compromis entre le gouvernement et l’opposition devrait permettre la relance de l’activité, si les émeutes sont remplacées par le débat d’idées.
Mais la Grande-Bretagne qui a interdit à ses citoyens de se rendre au Kenya est le principal pourvoyeur de touristes au pays et les Etats-Unis souvent pusillanimes ne sont pas prêts à fournir les mêmes contingents qu’avant les troubles. Heureusement la diversification de l’économie a atténué la crise, bien que l’industrie de la fleur coupée ait un peu souffert des émeutes à Nyavasha.
Heureusement, la Saint-Valentin n’a pas été touchée et le Kenya a expédié une quantité massive de roses rouge à la mi-février. L’avenir est plus dans ce genre d’industrie et la relance de la production agricole, orientée vers une meilleure qualité que le bas de gamme comme pour le thé ou le café.
Dans le secteur du tourisme, cependant, de nombreux employés sont au chômage technique, le personnel temporaire a été débauché. Guides, interprètes, chauffeurs et personnel hôtelier souffrent de l’absence de clients ; il en est de même pour les vendeurs de souvenirs de pacotilles, masques faits à la chaîne, bracelets atroces, croûtes peintes immondes et tissus dits africains made in China or Indonesia que les étrangères de passage s’arrachent deux fois le prix pratiqué chez Toto Sold ou à Barbès Rochechouart. C’est encore pire pour les prostituées et les gigolos de la côte, ces beach boys un peu rastas qui faisaient encore la saison dernière le bonheur d’Allemandes, Suissesses et Américaines ménopausées entre Mombasa et Lamu. Celles que l’on appelle Schengen faces quand elles sont Européennes ou Green card faces quand elles viennent des Etats-Unis, ne sont plus là pour remplir l’escarcelle de jeunes oisifs musculeux espérant un hypothétique visa si leurs performances ont été appréciées.
Il est d’ailleurs navrant de constater que ces consommateurs de folklore et d’animaux n’ont qu’une vague idée de l’endroit où ils se trouvent. Même en dehors de la consommation sexuelle, qui est relativement marginale comparée à la masse de touristes visitant les parcs et réserves en famille avec bambins et eau minérale, l’attitude du visiteur moyen est de s’époumoner en criant quelle nature, quelle beauté, sans réellement prendre les habitants en considération. Ce sont des Noirs et c’est tout. Qui s’intéresse aux ethnies, aux coutumes des différentes tribus du pays ? Qui accepte de manger des plats africains en dehors des nyama choma, la viande grillée que l’on trouve un peu partout et du passage obligatoire au Carnivore, le restaurant boîte de nuit où il est possible de savourer de la viande de crocodile, d’autruche, de zèbre et d’antilope à des prix prohibitifs ? Finalement bien peu de gens sur le nombre des visiteurs occasionnels, ceux qui remplissent les avions n’ont en général qu’une idée assez floue de l’endroit où ils se trouvent.
Cela dit, en Europe, en France, même le touriste étranger et aussi français n’est guère plus soucieux de son environnement humain et se comporte souvent de façon aussi ridicule. Il n’est qu’à écouter le ton péremptoire sur lequel un père de famille en short et espadrilles réclame un rouge sec (sic) qu’il a repéré à 18 euros la bouteille sur le menu, une sorte de Corbières ou un vin d’une coopérative de l’Aude qu’il contemple en pleine béatitude larvaire avant de le déguster goulûment avec fatuité devant bobonne et marmaille comme s’il venait de découvrir un Chambertin 1976 ! (Je n’irai pas jusqu’au 1964, car la fatuité a ses limites).
La différence en Afrique est que la manne est repartie de manière inégale et ne profite qu’à un petit nombre d’investisseurs locaux ou étrangers. Les salaires sont certes bas et l’emploi peu attractif dans le secteur de l’hôtellerie restauration en France, mais le prix chambre ne correspond pas à un mois de salaire d’une femme de ménage sauf si on s’adresse aux palaces et cinq étoiles. Et puis, rares sont ceux qui entrent chez un paysan du Rouergue comme en pays conquis en le prenant en photo devant une bouse crémeuse d’un bovin de concours à la satisfaction d’enfants braillards et hyperactifs essayant de taper sur un canard avec un parapluie ou un bâton. Ils se le permettent pourtant quand ils sont devant un éleveur kikuyu ou luo qu’ils prennent pour un masaï, une valeur sûre sur le marché touristique, et sont fort désappointés quand quelqu’un leur annonce le nom incompréhensible de la tribu du pâtre photogénique.
La pratique des voyages organisés tout compris, la fameuse formule all inclusive comprenant le voyage, l’hôtel, les repas et les excursions profite avant tout aux multinationales du tourisme et aux gros investisseurs locaux, les petits n’ont que les miettes et les touristes encadrés dépensent le peu d’argent qu’ils allouent aux extras uniquement dans les limites des complexes hôteliers de Nairobi et de la côte à Malindi, Watamu et autres destinations de rêve.
En Egypte, après le passage obligatoire aux pyramides, les hordes se ruent boire un thé à la menthe dans un établissement très kitsch en béton peint en rose où elles seront servies par un garçon de type nubien déguisé en mameluk, alors qu’à cent mètres de là, ces amateurs de breuvage exotique pourraient consommer le même thé pour beaucoup moins cher et parler avec des Egyptiens anglophones ou francophones qui ne s’adresseraient pas à eux pour leur soutirer quelques livres égyptiennes comme c’est le cas aux abords des sites touristiques. Pour cela, il faut prendre le métro et aller à Kasr el Nil, Zamalek ou encore plus loin vers Atabba et El Gesh. A Nairobi, il en est de même et la vie commence dès lors que l’on a quitté les Hilton et Sheraton et qu’on ne se contente pas de la conversation des serveurs des lodges et des campings de luxe.
C’est en achetant deux kilos de clous, des carottes ou un jeu de clés à douilles que l’on apprend à connaître un pays. Je ne suis allé que très rarement voir des animaux dans des parcs en trente ans de séjours en Afrique, à une exception, près de Mombasa un petit parc jouxtant une cimenterie du groupe Lafarge. Quel plaisir de nourrir des girafes avec des granulés de soja et maïs à la main avec en arrière-plan les cheminées de l’usine de ciment crachant une fumée grisâtre. Les animaux, en fin de compte, je les préfère dans mon assiette, mais pas dans les restaurants exotiques. Manger rat, porc-épic, pangolin ou hippopotame a plus de tenue que de se prendre une platée d’antilope et croco au son d’un orchestre qui joue faux. Et puis, il est toujours agréable de déguster du singe, petite main recroquevillée dans l’assiette dont on sucera les doigts devant un couple de tourangeaux apeurés et fraîchement débarqués de l’avion comme je l’ai fait jadis au Congo.
Le tourisme est bon pour un pays quand les recettes qu’il génère sont équitablement reparties entre un maximum de partenaires et non comme c’est le plus souvent le cas entre compagnies internationales de voyagistes et affairistes kenyans qui ne payent pas beaucoup de taxes sur leurs bénéfices. Qu’il existe une catégorie de professionnels au service des clients bien formés dans une école hôtelière est souhaitable, que toute une population soit obligée de singer des coutumes et porter des costumes se voulant folkloriques pour complaire à des vidéastes amateurs est à la fois déprimant et dévalorisant.
Le tourisme profite à un petit nombre et n’est pas sans risque sur la dignité, l’équilibre psychologique et la culture des habitants. Les dollars, euros et livres sterling dépensés par les touristes ont un impact à la fois positif, mais aussi négatif sur le bien-être et les mentalités. Hélas, si le PIB 555,8 dollars par habitant et le taux de croissance de 4,8 %, ce qui est plutôt bon pour un pays africain, le taux d’inflation est, lui, de 17,9 %. Le tourisme participe aussi à l’inflation ! Quant à la croissance, elle est inégalement repartie, tout le monde ne profite pas de l’afflux de devises des touristes, les salaires sont bas et la redistribution très faible. Le gouvernement a certes la sagesse de réinvestir une partie des taxes dans des projets de sauvegarde de la nature (il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or), mais les éléphants et les tortues marines en profitent plus que les habitants de base, en particulier ceux qui vivent en périphérie des parcs et réserves et ne sont pas en contact direct avec les visiteurs, mais subissent les restrictions dues à la sauvegarde de la faune. Sans oublier que les terres allouées aux animaux et réserves naturelles sont de plus en plus convoitées par des habitants ayant été spoliés par les gouvernements successifs depuis l’indépendance du fait du népotisme et de la corruption qui a régi le droit foncier. La poussée démographique modifie aussi la donne. Garder des terres pour les girafes, éléphants, lions et buffles n’a de sens que si les bénéfices tirés de la visite des animaux sont redistribués aux plus démunis ou, du moins, puissent permettre la reconversion de ceux qui n’ont pas assez de terres. Espérons que cela puisse se faire dans un secteur autre que le tourisme, car il me semble néfaste que toute une population soit directement ou non au service d’une classe de privilégiés étrangers.
Alors, certains bons esprits parlent de tourisme « vert », pourquoi pas s’il existe des retombées équitables pour le pays et ses habitants ! Mais, personnellement, je considère que les éléphants n’ont d’intérêt que s’ils servent à créer des recettes bien redistribuées. Je crois plus dans l’industrialisation et le développement du secteur tertiaire pour améliorer le pays sans le dénaturer.
PS : pour les amateurs de girafes et de ciment, allez à Nyali, Bamburi Cement Factory, 10 km au nord de Mombasa. L’histoire de la tortue et de l’hippopotame perdu lors du tsunami est édifiante !
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