Eglises, mosquées et bien plus encore ...
Dans un article récent (1), je rappelais que Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, avait proposé sur Europe 1, le 15 juin 2015, d'utiliser des églises vides pour y célébrer le culte musulman. Après coup, j’ai repensé à une poignée d’alexandrins que j’avais écrits en 1990, il y a 27 ans :
Quand se noie le soleil, les archanges gardiens
Du vieux pays chrétien de Jeanne la Pucelle,
Pieusement épuisés par leur vol quotidien,
Recherchent un saint lieu où reposer leurs ailes.
Las ! Les vieilles chapelles bien souvent sont closes
Et l'eau croupit au fond de mille bénitiers.
Les âmes ont subi une métamorphose :
De leurs fervents aïeux, qu'ont fait les héritiers ?
Mais, venues de l'Orient, quelques jeunes mosquées
Fouillent le sol de France afin d'y débusquer,
Avec l'aide de Dieu, les Satans délictueux.
Déjà, la nuit, des anges viennent y gîter
Sous leurs larges coupoles gonflées de piété
Recelant, pour certains, des agents infectieux...
ON N’EST PLUS EN 1990
Qu’il s’agisse de religion ou d’autres domaines, bien des choses ont changé depuis 1990. Le Mur de Berlin venait de tomber et Nelson Mandela venait enfin d’être libéré. Une ère vertueuse s’ouvrait-elle ? Francis Fukuyama réveillait beaucoup d’esprits en prédisant une Fin de l’Histoire dans un monde enfin apaisé baignant dans une jouvence de démocratie, de libéralisme et de marché. Cependant, au cours des 27 dernières années, la réalité s’est montrée très agitée ne pensez-vous pas ?
Sur le plan technologique d’abord. Quelques années avant 1990, les premières calculatrices programmables de Texas Instruments avaient émerveillé beaucoup de gens. En ce qui me concerne, le Macintosh 128K, né en 1984, et son tableur Multiplan avaient littéralement changé ma vie en augmentant (nous allons retrouver ce mot par la suite) les capacités computationnelles de mon cerveau. Pour nous, Français, le Minitel encore bien vivace et populaire était peut-être l’arbre qui cachait la forêt techno qui s’apprêtait à nous envahie : le développement foudroyant des télécommunications mobiles, du GPS, de l’internet mondial, des jeux video, des mondes virtuels, de l’intelligence artificielle, des robots, des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique, sciences cognitives) etc. Malgré l’éclatement de la bulle technologique autour des années 2000, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ainsi que leurs équivalents chinois se sont développés et comptent leurs clients par centaines de millions. En fait, notre monde s’appuie sur l’échange et le traitement d’une information (2) de plus en plus rapides et volumineux.
En septembre 2001, l’attentat contre les Twin Towers de New York marqua bien des esprits par sa symbolique. Il se trouve que, ce jour-là, je dînais à côté d’André Lajoinie, un homme plutôt jovial comme tous les communistes avant qu’ils n’arrivent au pouvoir, candidat du PCF aux présidentielles de 1988. Comme la plupart des hommes politiques il n’était guère préparé à ce genre d’évènement singulier et montrait la même déconvenue que François Mitterrand face à la chute du Mur de Berlin. Cet attentat a ranimé vivement la flamme du complotisme, du conspirationisme, des Illuminati et des ésotérismes du type danbrownien.
N’oublions pas la crise financière de 2008 Son signal d’alarme devrait nos faire comprendre que le monde virtuel des chiffres peut faire sombrer le monde réel tout comme des hallucinations peuvent tuer un schizophrène ou comme des idéologies ont le pouvoir de détruire des nations.
Dans le domaine des horreurs et des guerres, mentionnons, entre autres, le Rwanda, la Yougoslavie, l’Irak, le Golfe, la Syrie, le Yémen.
L’inquiétude écologique, depuis le Sommet de la Terre, à Rio en 1992, a pris une grande importance tant politique que technique. Les besoins croissant d’énergie obligent les chercheurs et les ingénieurs à trouver des solutions dans le domaine de la production et du stockage des énergies renouvelables (3).
JOUIR UN MAX ET VITE, ICI ET MAINTENANT
Certes, ce qui précède ne manque pas d’intérêt. Moins cependant, à mon avis, que ce qui suit
La société que nous connaissons aujourd’hui n’est donc plus celle de 1990. Par exemple, on se drogue beaucoup plus, la chirurgie esthétique semble moins inaccessible, le binge drinkingpermet aux jeunes de se mettre minables sans perdre de temps, des pratiques sexuelles naguère peu avouables (sextoys, sodomie, stimulation prostatique etc) se banalisent alors que le sexe récréatif et les sites pornos ont pignon sur rue ou plutôt, sur l’écran de votre smartphone comme sur celui des collégiens voire des écoliers (4). En un mot, on dirait qu’on se méfie moins de son corps, qu’on s’en sert sans vergogne et sans crainte afin de profiter vite et un max des plaisirs terrestres. Comme pour racheter cet hédonisme déluré, on suscite de nouvelles vertus afin de ne pas irriter Gaïa, la déesse mère de nos aises, et son environnement. Ainsi le nombre des adeptes du végétarianisme, du végétalisme et du véganisme va-t-il continuer de croître sans relâche. Ainsi s’apprête-t-on mettre fin à la chasse, à la pêche, à la corrida, aux zoos et aux animaux de cirque. Aussi, les anges tels que « 5 fruits et légumes, alcool avec modération, omega 3, bougez ... » et les démons comme « sucre, sel, graisse, capitons, cholestérol... » vont se voir invoqués sans cesse comme des leitmotive incontournables.
LA SORTIE DE LA RELIGION
Parallèlement à cette impérieuse nécessité de profiter pleinement des plaisirs de la vie sur notre planète, l’espérance d’une vie paradisiaque dans un autre monde s’est estompée. Mieux vaut rêver, ici et maintenant, devant un billet de Loto que de passer sa vie en misant sur l’Espérance d’un bonheur béatifique dans un monde hypothétique.L’Europe s’est déchristianisée. Le Black Friday a chassé le Vendredi Saint, la Consommation a détrôné la Passion christique. Parmi les signes avant-coureurs du phénomène, on peut rappeler la déclaration du Beatle John Lennon, en 1966, lors de la présentation du White Album : « Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus... Je me demande bien ce qui va disparaître le premier, le rock ou le christianisme ». Cela rappelle Staline demandant ironiquement de combien de divisions disposait le pape. Nous n’allons pas analyser ici les causes et les conséquences de la désaffection générale à l’égard des religions. Néanmoins, la théodicée étant ce qu’elle est et ne semblant pas à la veille de changer, le doute rôde toujours, taraudant les uns et les autres, croyants et mécréants. Le doute ouvre quelquefois les portes à l’apostasie et nul ne le combat plus que Daech qui craint la désertion des mosquées. Attendons-nous à ce que le satanisme théiste séduise de plus en plus d’adeptes qui se sentiront à la fois partiellement affranchis du doute et convaincus de vénérer le maître des concupiscences, le nouveau D.J. sympa de la vieille Vallée des larmes. D’autres, sans aller jusqu’à flirter avec Lucifer, se satisferont d’une spiritualité sans Dieu, d’une sorte de transcendance tirée bon gré mal gré de l’immanence. Méditation, encens, bougies parfumées, musique zen, pénombre, sophrologie et autres yogas y pourvoiront. Aurions-nous atteint l’état positif d’Auguste Comte qui, lui aussi, tenta d’instaurer une religion sans métaphysique exempte de tout « pourquoi ? » (5), se contentant de relever le « comment » des phénomènes reproductibles selon des lois infaillibles et, par conséquent, scientifiques. Plus récemment, Marcel Gauchet (6) a défendu la thèse d’une sécularisation définitive du christianisme en lequel sommeillait la spore d’un tel désenchantement. Les fois individuelles se personnalisent. Les croyants ressentent moins le besoin d’un clergé dispensateur de sacrements et d’églises où Dieu et les statues des saints les ont miséricordieusement accueillis pendant des siècles. A mon avis, en 2017, le mot « désenchantement » (7) fait un peu trop Disneyland. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’opposer la magie à la science mais d’approfondir sans cesse les rapports entre foi et raison comme le fait Fides et Ratio, lettre encyclique de Saint Jean-Paul II, en 1998. Pas en reste, Abdenour Bidar réfléchit à ce que pourrait être l’évolution désoccidentalisée de l’islam (8). Influencé par le soufisme, il cherche une porte de sortie non dogmatique entre foi musulmane et athéisme. Quadrature du cercle ? Michel Houellebecq, quant à lui, explore des voies différentes. Dans un entretien récent avec Der Spiegel (9), il évoque le retour du catholicisme en France et pense que si le catholicisme était une religion d’état, l’intégration des musulmans aurait beaucoup mieux fonctionné. Soudain, je me souviens d’avoir entendu Laurence Parisot, présidente du MEDEF de 2005 à 2013, déclarer sur je ne sais plus quelle radio que Soumission était un roman de gare. Comme quoi on peut sortir d’une Grande Ecole et ne rien comprendre au film...
QU’EST-CE QUE L’HOMME ?
Dans cette situation où l’humanité semble chercher de nouvelles orientations religieuses, on peut penser que la définition de l’Homme elle-même mérite aussi d’être rafraîchie ou revisitée. Certes, nous sommes encore les animaux sociaux d’Aristote mais ça n’est pas tout car nous sommes plus que des abeilles, au moins pour le moment. Qu’est-ce que l’Homme et, par conséquent, qui suis-je ? Depuis le début de l’humanité, cette question s’est sans doute posée plus d’un billion (1000 milliards ) de fois tant par les gens, comme dirait Jean-Luc Mélenchon, que par les philosophes. Cependant, ne perdons quand même pas de vue que la question la plus fréquemment posée par tous les animaux de tous temps concerne ce qu’ils vont bien pouvoir manger dans la journée, qu’ils soient faméliques ou rassasiées... C’est donc un animal social. Et raisonnable c’est à dire capable d’analyses et de synthèses lui donnant la possibilité de prendre des décisions et d’élaborer des projets à partir de critères touchant à la vérité, à l’erreur, au bien, au mal. Et capable de tout y compris de déraison. La raison et la déraison n’ont rien à voir avec l’instinct, cet algorithme génétique inné. En ce qui me concerne je me suis donné la définition suivante : « L’homme est un animal dont la raison naquit, une fois pour toutes, de la prise de conscience de sa mort fatale » (10). Fatal : qui doit nécessairement arriver, qu’on ne peut éviter. Les religions monothéistes, dites religions du salut, promettent une vie après la mort. Dans sa première lettre aux Corinthiens, saint Paul écrit « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien » (15, 1-26). C’est pourquoi Pâques reste la fête chrétienne la plus importante, Noël n’étant plus qu’une célébration de Mammon où la crèche finira un jour par sembler incongrue. Certains athées prennent la peur de la mort comme la principale motivation des croyants. Nous n’entrerons pas dans ce débat ici.
TRANSHUMANISME
Depuis quelques décennies, les cogniticiens et les auteurs de science-fiction, constatant la croissance exponentielle de la technologie, avaient le sentiment que quelque chose allait en émerger qui remettrait en question la représentation classique du monde. Aujourd’hui, cela porte un nom : « La singularité technologique ». Elle part de l’hypothèse que l’intelligence artificielle (I.A.), désormais à notre portée, va permettre à l’Homme, tout en le dépassant voire en lui échappant, d’atteindre le stade du transhumanisme c’est-à-dire de dépasser sa conditions actuelle par l’augmentation de ses performance physiques, mentales, cérébrales et psychiques. Ne pas confondre le stade de cet homme, souvent désigné par « homme augmenté » avec le stade suivant, celui du post-humanisme où l’homme ne comptera plus que pour du beurre et passera à l’arrière-plan du monde avant, très probablement, de disparaître à la manière de l’homme de Néandertal. Est-il même certain que ses successeurs jugeront utile de le gratifier d’un musée comme notre Musée de l’Homme actuel ? Pour faire très bref, rappelons que l’humanisme, né en Europe avec la Renaissance italienne, avait donné du mou à l’Homme par rapport aux contraintes religieuses rigides qui avaient prévalu jusqu’alors.
LA MORT DE LA MORT
Ce qui devait arriver arriva dans la quête humaine permanente de l’évitement de la mort : Google, chef de file du transhumanisme mondial, annonce quasiment l’immortalité de l’homme augmenté ! Déjà, dans la Genèse, le serpent promet à Eve " Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! » Puis, des philosophes grecs, épicuriens et stoïciens, tentèrent de s’en sortir par quelques habiles pirouettes. Certains, principalement hindouistes et bouddhistes, croient en la réincarnation ou en la métempsychose transmigrationnelle. Pour Platon, repris par Montaigne « Philosopher c’est apprendre à mourir ». Vinrent ensuite les religions du salut mentionnées plus haut... Longue est la liste des options proposées au cours de l’Histoire. Houellebecq, dans La possibilité d’une île, s’inspire de la théorie raëlienne. Revenons à Google. En 2013, Google crée une société de biotechnologie, Calico (California Life Company), chargée de se pencher sur les maladies, le vieillissement, la santé et, cerise sur le gâteau, l’immortalité. En 2011, Laurent Alexandre (11) nous avait avertis avec La mort de la mort . Selon lui, l’homme qui vivra 1000 ans est déjà né. Pour Ray Kurztweil, important futurologue travaillant au sein de Google, notre espérance de vie augmentera d’un an chaque année à partir de 2029. Puisqu’ il aura 81 ans en 2029 et qu’il ne veut surtout pas rater le coche, on ne s’étonnera pas qu’il veille jalousement sur sa santé...
GUERRE DES ETOILES ?
On est en droit de se demander si l’homme augmenté sera une belle personne, pour employer une expression à la mode qui élude la connotation religieuse de « saint ». Quelles qualités et quels défauts affichera-t-il ? Compassion, amour, dévouement, émotivité, orgueil, vanité, ambition, goût du pouvoir, égoïsme ? A ce jour, il semble que les spécialistes ne se soient guère penchés sur la question. Sera-t-il athée ou admettra-t-il quelque transcendance ? Comment jugera-t-il, par exemple, les armes nucléaires ? Son intelligence artificielle adhèrera-t-elle à la théorie de la dissuasion ou, au contraire, criera-t-elle au casse-cou ? Ne soyons pas hypocrites et reconnaissons le fait que, pour compter dans le monde actuel, il faut être armé jusqu’aux dents. Rien n’a changé depuis une déclaration d’Edouard Balladur à Valeurs Actuelles, le 4 avril 2003 ; « J’ajoute que si l’on excepte la France et la Grande-Bretagne, les budgets militaires sont tout à fait insuffisants pour permettre à l’Union européenne de peser de façon décisive sur les affaires du monde ». Tout est dit ! Et voilà pourquoi les armes nucléaires font baver d’envie la plupart des chefs d’état. L’honnêteté intellectuelle doit nous faire admettre que crier haro sur l’Iran et la Corée du Nord témoignent des limites de l’intelligence humaine actuelle : elle se heurte à des murs qu’elle ne sait franchir. Le 29 novembre 2017, le général croate Slobodan Praljak se suicide devant le TPI. Ayons la décence de n’en rien dire car on fait la guerre pour la gagner et pour la gagner il faut... Pour le moment, on n’en sait guère plus, on piétine. L’intelligence artificielle saura-t-elle éviter la guerre des étoiles qui ravit tant de laudateurs ? (12). Il y a 20 siècles, le Christ a dit « Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre ». Les églises seraient-elles mieux remplies si cela avait vraiment été essayé ? A contrario, les actes terroristes des islamistes colmateront-elles les fuites des mosquées ? Au stade actuel de la condition humaine où notre cerveau reptilien ne dort que d’un oeil, gouverner par la terreur reste possible.
A SUIVRE (1/2)
(1)Le véritable enjeu du duel entre Charlie Hebdo et Mediapart, Agoravox, 20 XI 17
2)Au sens mathématique de Shannon. Cela étant, l’information journalistique classique n’est pas en reste.
(3)Notamment hors du nucléaire, position renforcée suite à l’accident de Fukushima 2011. Voir le projet de réacteur pressurisé EPR
(4)Restons prudents pour ce qui concerne les liens entre pornographie et crimes sexuels. Dans Slate du 23 novembre 2017 (Les violences sexuelles sont-elles imputables au porno ?) on lit que « selon les chercheurs, les statistiques sur les violences sexuelles aux États-Unis et dans d'autres pays comme le Danemark, la République tchèque, le Japon, la Suède, l'Allemagne ou la Chine démontrent une corrélation inverse entre taux de viols et consommation de pornographie ».
(5) )Une citation de Comte :« Nous n'avons pas besoin de savoir ce que nous n'avons nul besoin de connaître. » Ce qui signifie que rechercher le « Pourquoi » des choses est inutile.
(6) Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard,1985.
(7) D’abord utilisé par Max Weber, sociologue allemand (1864 / 1920 )
(8) Comment sortir de la religion, éditions La Découverte, 2012. Rappelons aussi sa Lettre ouverte au monde musulman, éditions Les liens qui libèrent, 2015, qui a reçu plusieurs millions de lecteurs.
(9)Repris dans Valeurs Actuelles N° 4226 du 23 novembre 2017
(10)A ce sujet, on pourra relire mon article dans Agoravox du 8 novembre 2013 Le racisme comme non-sens ontologique.
(11)Chirurgien, diplômé de l’ENA, Sciences Po, HEC et fondateur du site Doctissimo
(12)STAR WARS
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