Elections présidentielles ou (an)élections prudentielles
A deux mois de l’élection présidentielle, peut-on faire un point et rassembler quelques éléments susceptibles d’alimenter la réflexion du « citoyen moyen » ?
Élections présidentielles ou (an)élections prudentielles ?
A près de deux mois d’une échéance électorale qui semble susciter autant d’intérêt que de perplexité, autant d’espoirs que de déceptions, autant de perspectives nouvelles que de frustrations sur l’essentiel, la présente réflexion s’efforce de faire un point.
1. L’intérêt s’est manifesté à travers l’affluence dans la dernière période d’inscription sur les listes électorales succédant aux réactions après le traumatisme d’avril 2002, après le mouvement des banlieues à l’automne 2005 et l’effervescence (notamment sur réseau internet) autour du référendum sur le traité constitutionnel européen. Mais la perplexité est inévitable face au nombre de candidats (pour l’instant « potentiels » en attendant l’épreuve des 500 signatures) et la lisibilité incertaine de leur candidature. Sans parti pris (du moins autant que faire se peut) mais simplement en appelant au réalisme et au bon sens, essayons de clarifier cette question.
Pour commencer, oublions les candidatures marginales, folkloriques ou au particularisme si poussé qu’il devient impossible de leur attribuer un sens en relation avec la fonction visée.
Aux extrêmes, à droite, de Villiers défend une vision passéiste difficile, même pour les meilleurs contorsionnistes, à relier au monde d’aujourd’hui, encore moins à l’avenir. De son côté, l’inusable Le Pen, malgré tous ses efforts de ces derniers mois, n’arrive pas à dégager une vision démocratique des fumées âcres de l’histoire dont ce personnage reste entouré. Malheureusement, ses qualités de tribun, son aspect patelin, l’efficacité avec laquelle il utilise le populisme dont semble avide la société française (européenne ?) et les carences des partis démocratiques attirent vers lui de nombreux électeurs. Les sondages restent en outre relativement impuissants à bien cerner qualitativement et quantitativement cet électorat, et le Front national reste un danger pour la démocratie.
Toujours aux extrêmes mais à gauche, on a un ensemble plus ou moins hétéroclite de partis protestataires. Depuis les années 1960-1970, la France a échappé au terrorisme rouge (à l’exception d’Action directe entre 1979 et 1987, plutôt marginal) ; aussi peut-on penser que l’accentuation des problèmes sociaux (chômage, difficultés de logement, insécurité sociale, accentuation des écarts entre riches et pauvres...) justifie l’existence de tels partis puisque l’injustice secrète la protestation. Pourtant, la protestation, si justifiée soit-elle, ne répond pas à ce type d’échéance électorale qui ne sert que de tribune à ceux qui s’en font l’écho ; de plus, deux plaies en affaiblissent la portée : d’une part, le corps doctrinal restant important parmi les protestataires, le trotskisme, a quelque allure de dinosaure sorti d’un Jurassic Park politique ; d’autre part, l’émiettement de ces partis fait de leur concurrence « un concourt de nains de jardin pour savoir qui est le plus fort » (dixit O. Besancenot, qui, par parenthèse, est l’un de ces nains !). Que peut-on en attendre sur le plan politique, quand le principal lien est le non en mai 2005 ?
Mettons un peu à part les candidatures de M.-G. Buffet et D. Voynet. La première vise à maintenir en survie un PC écartelé entre son existence institutionnelle qui a besoin du PS, et les retombées négatives de ses différentes participations à des gouvernements de gauche depuis 1981 : son rôle dans le succès du non l’a poussé vers une hypothétique union antilibérale mort-née. La seconde se situe dans une situation plus subtile : acquise à la participation institutionnelle (bien que les négociations avec le PS en vue des législatives n’aient pas encore abouti), elle reste en marge de l’extrême gauche puisqu’il n’est pas encore certain que tous les encartés du parti des Verts voteront pour elle plutôt que pour Bové ; mais surtout, ce dernier parti n’a pas été capable de prendre en charge politiquement l’héritage des travaux du Club de Rome de 1971 et la première percée de la pensée écologique (I. Illich, R. Dumont...) : avant d’exister réellement, il s’est usé dans des querelles intestines et reste noyé dans la diversité de la représentation écologique (C. Lepage, héritiers de Waechter, de Lalonde, sans oublier les prétentions de J. Bové en la matière, et le rôle médiatique de N. Hulot).
Nous en arrivons ainsi aux candidats prétendant jouer les premières places.
A droite, la situation devrait paraître claire : N. Sarkozy défend l’idée suivant laquelle il faut permettre aux meilleurs individus d’agir, de prospérer, de créer des richesses dont les plus démunis finiront par profiter plus que par simple assistanat étatique. Ses propres aptitudes à l’action convainquent, mais il fait peur : déclarations fracassantes, atlantisme tendant à l’assimiler aux néoconservateurs américains, attitude équivoque entre laïcité et communautarisme. Il revendique la rupture, mais n’a-t-il pas participé à des gouvernements de son bord politique avec Balladur (1993-1995), Rafffarin (2002-2005), Villepin (2005-2007) ? Sa position dans ces gouvernements, parfois éminente, aurait dû faire apparaître cette volonté de rupture.
Opposée à N. Sarkozy, après une trajectoire typiquement mitterrandienne, S. Royal devient la candidate de la gauche. Elle présente un pacte présidentiel reprenant pour une grande part le projet socialiste mais assorti de propositions originales vis-à-vis de la pensée socialiste dominante de ces dernières décennies. Le travail, la famille, la morale en politique sont revalorisés. Tout en critiquant l’État colbertiste et jacobin, elle affirme que la puissance publique doit garantir la solidarité nationale. Une certaine élite de gauche arrogante voire méprisante avait compromis, pendant les années Mitterrand, la confiance en l’action politique, dans les milieux populaires ; S. Royal s’efforce de restaurer cette confiance en voulant « être à l’écoute », en essayant de faire vivre une « démocratie participative ». Mais le risque de glisser vers un certain populisme n’est pas négligeable, sauf à s’en tenir à « un faire semblant ». De toute façon, opposer le peuple aux élites et aux experts est toujours dangereux ; mieux vaut tout faire pour rétablir leur jonction. Enfin, pour l’instant, les cent propositions semblent trop ignorer les contraintes de l’économie.
Entre les deux et opposé à ces deux, F. Bayrou tente un au-delà du clivage gauche-droite avec une union des bonnes volontés de tout bord. Des idées raisonnables, un bon équilibre entre réforme et bonne gestion de l’État, et prise en compte de la question sociale, avec surtout une volonté de contribuer à l’avancée de la construction européenne, F. Bayrou a des atouts. Mais sa présence au second tour est peu probable, même s’il est le premier à affirmer en être sûr ; après tout, l’improbable n’est pas impossible, surtout en politique. Au fond la question essentielle que pose la candidature Bayrou est celle du second tour : que fera-t-il de son résultat ? Si ce dernier est médiocre, F. Bayrou est politiquement éliminé ou doit envisager une traversée du désert ; s’il est bon (position du troisième homme), avec qui peut-il négocier ? Et les voix qu’il aura recueillies, où iront-elles ? Un tropisme de droite ne reste-t-il pas le plus probable ?
2. Cette élection soulève un certain espoir : après les réactions plutôt imprévues des électeurs lors des votes d’avril 2002 et mai 2005 et le mouvement des banlieues de l’automne 2005, la classe politique est sommée de reprendre contact avec ses mandants. Effectivement, on observe un relatif renouvellement, un rajeunissement des candidats, et une modification de leur discours. On se rapproche du « peuple d’en bas » et des « vraies gens ». Il y a un effort pour se mettre en cohérence avec les difficultés de la société française : chômage, crise du logement... Les problèmes graves sont invoqués : mondialisation et délocalisations, migrations, dérèglement climatique, crises internationales...
Mais la déception se mêle à l’espoir : les discours s’usent faute d’être suivis d’initiatives concrètes. Les débats qu’une telle échéance électorale devrait nourrir restent superficiels et les médias (en premier lieu la télévision) contribuent à transformer cette échéance en scène théâtrale où les acteurs et leurs petites histoires prennent le dessus sur les idées. Les sondages dérivent la réflexion vers le jeu de pronostics. Ce que les anciens appelaient « les informations » s’est transformé en un flots de messages incohérents, contradictoires et au total peu lisibles par les citoyens, sauf à y consacrer beaucoup de temps pour faire le tri et retrouver le sens. Ainsi, vérités banales, idées toutes faites, conformismes restent dominants, renforçant la résistance au changement. On en conclura ensuite que la société française est bloquée !
3. Le relatif changement de profil des candidats, cette tentative de renouvellement du discours politique comme la mise en avant des problèmes maintenant posés à l’échelle planétaire faisaient entrevoir l’émergence de perspectives nouvelles. Hélas, le gouffre qui sépare la présentation de ces problèmes et les propositions mises en avant pour en esquisser la solution entraînent plus de frustrations que d’adhésions. Pour appuyer une telle affirmation, je ne mentionnerai qu’un seul point : qui peut croire que le développement suivant le modèle des sociétés occidentales avec les phénomènes d’épuisement des ressources (matières premières, énergie...), de destruction de la biosphère, de dérèglement climatique peut être adopté (mondialisation oblige) par les six milliards d’êtres humains (huit milliards dans vingt ans) ? Pourtant le dogme de l’économie repose toujours sur la croissance (le mot décroissance demeure tabou) et la notion de partage à l’échelle mondiale ne sort pas du doux rêve utopique. L’humanité est confrontée à sa survie à l’échelle de quelques générations (enfants, petits-enfants) et les élections d’avril prochain se réduisent à une bataille sur le « chiffrage », l’évaluation du coût de tel ou tel programme électoral.
Un autre exemple de frustration, plus proche d’une réalité présente peut être tiré de la citation suivante : « Compte tenu de la complexité des sociétés et de leurs interrelations, il n’y a pas de formule simple pour parvenir à l’âge d’or d’un monde durable, énergétiquement vertueux. La naissance d’un tel monde demande la conjonction (a) de comportements individuels quotidiens dénotant une conscience des enjeux, (b) de décisions gouvernementales responsables devant le futur et (c) de l’émergence d’une aire géographique capable de rendre crédible un mode de vie alternatif : l’Europe » (J. Perez, Pour un pari démocratique, Ed. Publibook, 2003, p.297). Or, quelle est la place de l’Europe dans la présente campagne électorale ? Quelle volonté réellement affichée pour réconcilier, là encore, les élites volontiers européennes et les couches populaires qui, se sentant menacées, tendent à se refermer dans une identité plus réduite (nationaliste, régionaliste, communautariste...) pour se protéger ?
En conclusion, la présente réflexion, facile à partager par
les « citoyens moyens », conduit plus à élimination de candidats qu’à
un choix fait avec enthousiasme. Ainsi, continuer à croire en la démocratie implique
d’ignorer les sirènes de l’extrême droite : exit de Villiers et surtout Le
Pen. De manière plus indirecte (gardons en mémoire le résultat du 21 avril
2002), on peut renoncer au vote protestataire de la gauche de la gauche,
même si l’on trouve de bonnes raisons à ces protestations : exit les
candidats « antilibéraux ». Les défenseurs de l’écologie devraient
porter le message le plus important : leur dispersion, leurs incohérences
voire leurs contradictions, l’incapacité des verts à faire vraiment émerger
l’écologie politique sont démobilisatrices et décourageantes : exit,
encore cette fois, les candidats de l’écologie. La droite, quoi qu’en pense F.
Bayrou, se présente avec deux candidats. L’un, homme d’énergie et d’action mais
à un point tel qu’il suscite quelque crainte, affirme que favoriser
l’enrichissement de quelques-uns diminuera la pauvreté du plus grand
nombre : l’histoire, de la plus ancienne à la plus récente, est bien loin
de nous en convaincre : exit N. Sarkozy. L’autre a une méthode originale
et met en avant des idées ne manquant pas d’intérêt ; mais il peine à nous
convaincre avec la si hypothétique formule « ni droite, ni gauche » (n’est
pas de Gaulle qui veut), d’autant plus que l’essentiel de son électorat
de base penche à l’évidence plus à droite qu’à gauche : exit F. Bayrou.
Reste S. Royal, candidate également source de perplexité malgré l’intérêt de sa
démarche, de déception, déjà, malgré les espoirs qu’elle avait fait naître, de
frustration sur l’essentiel malgré les perspectives nouvelles que sa
candidature pouvait offrir. Mais pour la première fois dans l’histoire de notre
pays, une femme pourrait parvenir aux plus hautes responsabilités : il
pourrait en résulter un tel choc sociétal que les changements, encore
impensables aujourd’hui, pourraient s’ensuivre par simple effet
domino ; en outre, son pacte présidentiel, s’il n’est pas, a
priori, plus crédible que les propositions de ses adversaires de droite, a le
mérite de mieux respecter l’avenir : voter S. Royal peut donc se voir comme
un pari prudent. Puisque les mots nouveaux font recette dans cette campagne, on
dira que deux mois nous séparent maintenant, non pas d’une élection
présidentielle, mais d’une « (an)élection prudentielle ».
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