Elisabeth, Mikhaïl et Jean-Luc, un monde s’en va, funérailles des espérances
1) Parfois, la mort de personnages ayant marqué l’histoire revêt une signification et s’inscrit dans une période charnière, symbolisant plus le monde passé que ce qui va advenir. Napoléon III est décédé en 1873, laissant derrière lui les vestiges d’une époque marquée par des réalisations ambitieuses mais aussi des contrastes saisissants et une première révolution industrielle soldée par l’arrivée d’une classe de travailleurs vivant dans la pauvreté. En 1968 décède Kojève, laissant derrière lui une ère historique marquée en France par la figure du général de Gaulle qui décèdera un an plus tard. Kojève ne voyait pas dans l’insurrection de 68 un événement historique au sens de la philosophie hégélienne.
2) En 2022, la reine Elisabeth II décède après 70 ans de règne, laissant derrière son cercueil un cortège de souvenirs contrastés, incarnant la stabilité d’une nation en dépit des secousses à répétition. D’abord la fin de l’Empire britannique et la décolonisation. Puis la montée d’un nouvel art de vivre, avec la jeunesse en révolte, mods et rockers face à face, puis la pop génération autour des Kinks, Beatles et autres Stones. La jeunesse se projetait dans un monde plus serein, gai, festif, matérialiste, mais en 1976, la vague punk puis l’arrivée de Thatcher sonna la fin de la récréation, ce qui n’a pas stoppé la progression des sciences, techniques, cultures. Elle a accompagné l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe puis la sortie. Le Covid est arrivé, l’avenir s’assombrit, avec les tensions économiques et géopolitiques. La reine laisse derrière elle une époque de relative stabilité. Son couronnement a été un des premiers événements retransmis par la télévision. La reine s’en va avec une surpuissance des télévisions. Adieu vidéosphère.
3) Quelques jours avant la reine, c’est Mikhaïl Gorbatchev qui passe de l’autre côté. Lors de son passage à la tête de l’Union soviétique, il a accompagné le grand bouleversement historique de l’Après-guerre, à la fois dans la politique intérieure avec la perestroïka assortie d’une libération de la culture et l’ouverture de la jeunesse vers l’Occident. Puis la chute du mur qui suit le réchauffement des relations avec les States gouvernés par Reagan et précède la fin de l’Union soviétique en 1991, année des plus symboliques puisqu’elle fut marquée par ce qui fut l’un des plus grand concerts de l’histoire, accueillant Metallica et AC/DC venus jouer sur l’aérodrome de Touchino devant des centaines de milliers de jeunes, moscovites ou venus des confins de l’empire, assoiffés de musique, d’alcool et de libertés. Un vent nouveau planait sur le monde. La fin de la guerre froide et du communisme laissa démunis les intellectuels européens frappés par une morosité soudaine alors que ce moment de l’histoire était porteur de promesses, à la fois pour les soviétiques et les relations internationales. Mais la transition vers l’économie de marché fut brutale sous Eltsine puis Poutine qui a repris en main la Russie alors que les Etats-Unis, frappés par les attentats du WTC, renforcèrent leur combat contre l’axe du mal et leur politique ambivalente et agressive. Avec Gorbatchev, c’est le souvenir de promesses qui s’en vont, des promesses gâchées par GW Bush, Barack Obama, Donald Trump, Joe Biden et Vladimir Poutine… Et l’Europe.
4) Quelques jours après la reine, c’est au tour de Jean-Luc Godard de décéder et avec lui, le souvenir d’un monde révolu qui s’en est allé depuis des lustres. Epoque légère, parenthèse enchantée, soif de vivre, provocations en tous genres, un nouveau style, prisé par une France et détesté par une autre France. La France de Bedos et celle de Guy Lux. Une nouvelle vision de l’existence moderne, maintenant révolue pour ne pas dire dépassée.
5) Il n’y a rien de plus à dire. Ces funérailles sont symboliques car elles révèlent l’achèvement d’un monde traversé par les espérances. Il n’y a plus d’espoir et les dystopies ont contaminé le cerveau de la jeunesse. Le monde est sur une pente dangereuse. Le monde se défait, la France aussi ; éducation, politique, hôpital, justice, prison, migrants, incivilités, peurs généralisées, virus, climat, inflation, guerre. Le monde qui arrive est incertain et menaçant. Le plus étrange est que cette menace provient de la bêtise humaine. L’homme gâche son avenir. Peut-on encore être humaniste ?
6) Je n’interviens plus beaucoup ici, engagé dans la rédaction d’un livre de théologie sur Dieu, le Logos et la gravité quantique. Cette incise s’adresse aux hommes de l’avenir autant qu’aux éditeurs. Que la parole circule. A bons entendeurs !
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