Emmanuel Macron, nouveau chef de la diplomatie française
Comité Carnot - Think tank du lien : républicain www.comitecarnot.org
On peut être président jupitérien et néanmoins jouer les Mercure. Il est des époques où le garant ultime des institutions et de l’intégrité territoriale délègue la cuisine diplomatique quotidienne à des collaborateurs, entendez son conseiller diplomatique, ou pire, au ministre des Affaires étrangères. Il est d’autres périodes où l’illustre élu se prend au jeu et règle lui-même la partition diplomatique de Paris. Il est en cela victime de la mode, où la personnalisation des rapports politiques trouve une expression exacerbée sur la scène internationale. Mais il a aussi parfaitement assimilé les leçons de la politique obamanienne, pour qui les affaires extérieures ne sont qu’une composante de la position politique globale du président, au demeurant dominée par la politique intérieure. Ne laissant comme pour le reste rien au hasard, le nouveau président a bien compris la place de la diplomatie tant pour son image que pour la conduite de ses réformes : européen, réformateur, ferme dans ses engagements. Le problème est qu’ils apparaissent contradictoires pour enrayer l’effacement du rôle de la France sur la scène internationale.
Dans la geste macronienne, la diplomatie est illustrative mais au fond secondaire pour la conclusion des moments clés de son mandat. L’ancien banquier d’affaires est parvenu au pouvoir avec une équipe dont il ne faudrait pas surévaluer l’homogénéité sociologique ou doctrinale, mais qui dans l’ensemble rassemble l’expérience et la vision d’une « France qui gagne » en partie déterritorialisée, plus sensible aux déclarations des dirigeants économiques et politiques de Francfort, Londres, Bruxelles ou Berlin, qu’à la contestation du Cantal ou de Clichy-sous-Bois ; exprimant un embarras face à la survivance de la nation dans le champ politique, ils optent volontiers pour un règlement systématique des dossiers par la tuyauterie de l’Union européenne.
Au demeurant, la prise de distance avec l’attachement émotif à la cocarde se double d’un moindre intérêt pour le discours postcolonial invoquant à tout moment la culpabilité de la France dans les désastres du Tiers monde. Sans mémoire, sans passion, mais sans surmoi paralysant, telle risque d’apparaître la position française, peut-être moins gaullo-mitterrandienne qu’on l’espérait.
Alors que les deux illustres présidents défunts comprenaient le monde en privilégiant l’histoire et la géographie des peuples, le nouveau pouvoir reflète la primauté de l’économie, le scepticisme face aux possibilités offertes par le service public, le triomphe de l’ordo-libéralisme. Une vision du monde qui pourrait s’avérer remarquable pour transformer la France, mais qui ne prédispose pas à un effort budgétaire considérable en faveur des ministères, fussent-ils régaliens. Certes, le garant de l’article 5 (de la constitution) n’entend pas faillir à ses responsabilités, et a pris une position ferme dans la lutte contre le terrorisme.
Dès lors, les quelques largesses budgétaires consenties en matière de Défense bénéficieront à un renforcement du dispositif sécuritaire, tant sur la ligne de front africano-oriental que sur le territoire national. Mais il se pourrait que cette fermeté se fasse au détriment des autres composantes diplomatiques et militaires, afin de respecter les saintes écritures des traités européens en matière de dépense publique. Or, les forces de défense atteignent la limite de leur possibilité. Par ailleurs, un rapprochement avec l’Allemagne, pays (désormais) pacifiste, ne prédispose pas à de nouvelles aventures militaires : le temps des interventions extérieures, en dehors du Mali et de l’Irak, semble révolu.
La politique française, fondue dans la diplomatie européenne ?
Les premiers pas du président, et le choix des femmes et des hommes qui l’entourent, confirmeraient la centralité de l’Europe et de l’axe franco-allemand. Là va se tisser, au moins dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, le canevas d’une politique étrangère aux actions nationale et collectives enchevêtrées, aussi bien sur des objectifs globaux que pour répondre à des crises locales.
Cette action commune posera la question des moyens militaires à mobiliser, afin de joindre, le cas échéant, le glaive à la parole. Cette question se pose avec d’autant plus d’insistance que le Brexit risque d’isoler le Royaume-Uni de la politique étrangère commune aux Européens. Or, les Britanniques représentaient, avec les Français, l’essentiel des capacités d’action (cf. Balkans, Irak, Libye, Afrique). La vieille discussion sur l’organisation à privilégier – Otan ou Europe de la Défense – a repris, mais ne sera pas efficacement tranchée dans un court terme. Les Français et les Allemands ont rendus publiques leurs propositions communes dès l’été 2016 : le European security compact prévoit un renforcement des dispositifs communs afin de répondre aux menaces terroristes et de participer à la sécurité internationale. Une chaîne de commandement devrait être construite, et, à Berlin, on évoque une « Union européenne de la sécurité et de la défense », et on rêve déjà d’une armée européenne, nouveau gage d’un renforcement de l’intégration (cf. Livre blanc de la défense allemand, juillet 2016).
Jusqu’ici, les Français, s’ils affichaient une convergence de vue avec les Allemands, demeuraient sceptiques sur l’opérabilité d’un tel concept. Les Allemands ont refusé d’intervenir en Libye ou en Afrique, et leur culture militaire ne les prédispose pas à s’engager dans un vrai conflit. Les Européens de l’Est, soucieux avant tout de la menace russe, ne s’y sont pas trompés, et tiennent à la prépondérance de l’Otan. Le président Hollande lui-même, au sommet de Varsovie (8-9 juillet 2016), avait rappelé qu’une défense européenne séparée de l’Otan n’avait pas de sens. Donc, avec les Etats-Unis, quoiqu’il arrive… ; mais désirent-ils encore prendre part à l’Alliance atlantique ? Le scepticisme s’est nourri des déclarations des présidents Obama (rééquilibrage de l’engagement américain vers l’Asie) et Trump (les alliés européens n’ont qu’à payer s’ils veulent être défendus), mais la lucidité invite à reconnaître que les Etats-Unis ne sont pas désinvestis et que la position structurelle et bipartisane de l’establishment politique américain, au-delà de l’actuel président américain versatile et fragilisé, affirme la nécessité de préserver la sécurité européenne pour la stabilité de tout le système international et pour les intérêts américains.
La question de la défense ne sera pas tranchée rapidement, et un certain nombre de dossiers peuvent être découplées de la question du glaive.
L’axe franco-allemand va devoir resserrer les rangs des Européens sur un certain nombre d’enjeux globaux, où l’union fait le maximum de force et, dès lors, donne toute sa légitimité à une position commune. La normalisation des relations commerciales engage désormais non plus seulement des questions de gains économiques, mais des enjeux de société plus fondamentaux : normes sanitaires, définition des prérogatives de service public, règlement des décisions impliquant la souveraineté nationale (tribunaux d’arbitrage), exception culturelle, protection des données, etc. Le dumping de certains Etats émergents, la protection de la propriété intellectuelle, la définition des normes prudentielles bancaires sont autant de sujet sur lesquels les Européens vont devoir dégager un compromis pour affronter des adversaires redoutables (Etats-Unis, Chine) et bien conscients des enjeux. Reste à savoir comment réaliser une position commune : sur tous ces points, les Européens sont-ils si proches ? Sur le réchauffement climatique, au moins, le consensus confirmé dans le cadre de l’accord de Paris offre un terrain de coopération assez prometteur.
L’Europe doit par ailleurs adopter une action vigoureuse et convergente pour stabiliser ses marches et les ancrer dans un système d’échanges mutuellement bénéfiques sans être attirer par des conflits qui ne la concernent pas. La politique de voisinage a connu des résultats inégaux : si le partenariat oriental a servi les intérêts allemands, la politique euro-méditerranéenne, moins intéressante pour Berlin, mais aussi plus compliquée à conduire, s’est achevée sur un bilan décevant. Toutefois, c’est bien l’inclusion téméraire de l’Ukraine dans la sphère d’influence européenne qui a provoqué la crise majeure – le conflit entre l’Ukraine et la Russie par séparatistes interposés. Sur ces marges, à défaut d’assurer le développement économique qui rapprocheraient les deux rives de la Méditerranée, il faudra bien apprendre à traiter la question des migrants clandestins et des réfugiés. Sur le premier sujet, la mutualisation des moyens et la solidarité sont indispensables. Sur le second, les divergences d’approche sont frappantes, difficilement réductibles. Les engagements internationaux – et constitutionnel dans le cas de la France – et le simple principe d’humanité obligent à faire de l’Europe une terre de refuge pour les Syriens et autres persécutés de Moyen Orient. L’Allemagne, promouvant une attitude très ouverte, s’est rapprochée de ses partenaires, mais le système d’accueil ne fonctionne pas. Il sera nécessaire que le tandem franco-allemand impose une vision juste et pragmatique, combinant accroissement des quotas et répartition nationale des migrants. Quant à l’attitude à adopter envers la Turquie, la fermeté nécessaire doit là aussi se cristalliser sur un noyau de nations conscientes de la dérive dictatoriale du régime d’Erdogan.
Cette même cristallisation s’avère nécessaire face à la Russie, et il faut reconnaître que le tandem franco-allemand a jusqu’ici démontré son efficacité. L’Allemagne a incontestablement exercé le leadership et déterminé la position des Européens, mais la présence de la France a crédibilisé son expression tout en évitant l’irritation ou l’inquiétude poindre face à l’hégémonie allemande[1]. Le régime des sanctions a exercé un impact indéniable sur l’économie russe : il demeure dépendant d’une unanimité difficile à maintenir. Or, aucune sortie rapide de crise n’est en vue, et la reprise des combats dans le Donbass durant l’hiver montre les limites de l’action des Européens, qui doivent par ailleurs faire face à l’incroyable incurie du pouvoir ukrainien, gangréné par la corruption, le clientélisme et le pouvoir des oligarques locaux.
La France sans l’Europe : un rôle à jouer sur des enjeux majeurs
Mais, pour le reste, la France va se retrouver seule pour contribuer à la paix et à la sécurité d’autres zones. Du moins, elle ne pourra compter qu’à la marge sur les Européens pour financer ou fournir des moyens d’intervention ; à part les Britanniques…
La France doit recentrer sa politique méditerranéenne sur le Maghreb, avec lequel elle est rattachée par de multiples liens, et dont le moindre n’est pas celui des diasporas. Le développement économique et la lutte contre le chômage des jeunes sont plus que jamais des questions cruciales pour la paix civile et la stabilité de la région… or, la situation demeure très préoccupante. Pour faire face à ces enjeux, la France doit mobiliser les acteurs européens mais aussi sa société civile, ses entrepreneurs, ses collectivités locales, ses services publics et renforcer une coopération en choisissant les bons interlocuteurs sur la rive Sud : ceux qui préserveront l’intérêt général et donc l’avenir de leur pays.
Plus au sud, l’Afrique subsaharienne oscille entre prophéties optimistes et réalité des obstacles considérables à la croissance. Le monsieur Afrique du Président – Jean-Michel Séverino, homme de talent et d’expérience – défend une voie privilégiant le rôle de l’entreprise et du secteur privé dans la solution au retard de développement. Elle entend tourner résolument le dos au temps de la Françafrique, mais aussi aux méthodes franches et viriles reposant sur la combinaison d’une présence militaire et des services secrets[2]. Si l’on ne peut que condamner la pratique de la corruption dans ces Etats présidentialistes, le nouveau président devra se garder de faire preuve d’angélisme : nos concurrents en sont dénués (Chine, Russie, Etats-Unis, Inde, Qatar, etc.) et jouer notre rôle implique de trouver l’équilibre entre morale et realpolitik (ou pour faire védrinien : refus de l’irrealpolitik).Sur le front sahélien comme dans des pays menacés par la guerre civile (hier Côte d’Ivoire, aujourd’hui Gabon ou RDC), la force demeure la meilleure protection du droit, ce qui pose à nouveau la capacité à conserver un glaive au service des autres. Un glaive qui ne peut se restreindre au cadre autorisé par l’Onu, mais qui combine tous les aspects de la guerre hybride.
Enfin, le président hérite d’un dossier oriental compliqué, ayant souffert d’un traitement déséquilibré. Ses prédécesseurs ont curieusement privilégié le camp sunnite, conduits par le Qatar – désormais en difficulté au sein même du camp sunnite, et l’Etat le plus rétrograde, le moins prometteur pour l’essor régional, le plus éloigné de nos valeurs : l’Arabie saoudite. Il est difficile de croire qu’aucune considération d’intérêts économiques assez divergents de ceux du commun des Français n’ait prévalu dans ce rapprochement. A terme, l’Iran présente une force d’entraînement bien plus significative pour le développement de la région : il faut désormais aider le pouvoir des classes moyennes iraniennes à s’imposer et réaliser son rêve de réinsertion dans la mondialisation. L’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 fut un premier pas valable dans la perspective d’une normalisation des relations entre les Occidentaux et la puissance chiite. Troublée par l’avènement de Trump au pouvoir – et par un manque de retenue dans l’implication militaire de l’Iran en Syrie – la solution négociée de la réintégration de la puissance autrefois hétérodoxe doit être pleinement exploitée pour faire pièce aux djihadistes sunnites, mais aussi pour circonscrire une Arabie saoudite inquiétante[3] et dont l’intervention au Yémen devrait faire l’objet d’une enquête par la CPI. Sur le dossier du Moyen Orient, les Européens sont en retrait : pourtant, ils ne peuvent se satisfaire de l’approche proposée par la ligne actuelle Riyad-Tel Aviv – Washington.
Il n’est pas sûr que le champ diplomatique s’impose comme une priorité pour le nouveau président de la République. D’un côté, la majorité parlementaire écrasante qui devrait survenir au lendemain du second tour des élections législatives permet une marge de manœuvre confortable pour que son gouvernement conduise le programme de réformes, délestant du fardeau un président libre de s’occuper des questions internationales. Mais, d’un autre côté, l’édifice du nouveau pouvoir pourrait se révéler plus branlant que ce que les résultats électoraux laissent apparaître : vainqueur par dépit, par défaut, le président devra encore expliquer le sens et la légitimité d’un pouvoir face à une population sceptique, hostile à la mondialisation, rétive à la rhétorique européiste : la conviction se gagnera alors plus dans les cours d’usine de Whirlpool que dans les sommets internationaux ou les visites aux troupes en tenue tropicale.
[1] Ulrich Krotz & Richard Maher (2016) Europe’s crises and the EU’s ‘big three’, West European Politics, 39:5, 1053-1072 ; http://dx.doi.org/10.1080/01402382.2016.1181872
[2] Jean-Pierre Bat, le syndrome Foccart, Folio-Gallimard, 2015.
[3] Olivier Da Lage, « L’Arabie saoudite, un État à risque », Hérodote 2016/1 (N° 160-161), p. 177-194.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON