En Amazonie, j’y étais !
Maripa Soula, dans les anses descendant de ses « sauts » le Maroni, jusqu’à Saint-Laurent et feu son bagne, puis l’océan. De Cayenne à Maripa Soula, c’est une heure de vol au-dessus du « brocoli », la canopée verte foncée, dont on ne voit jamais le sol, sauf des trouées, couleur jaunes glaises, creusées par les orpailleurs. L’atterrissage sur une piste en terre battue, ocre, et dès l’ouverture de l’avion de quatorze places, la sensation d’entrer dans un sauna. L’humidité de l’air y est palpable et moite ; alors, pourquoi venir là ?
La rentrée scolaire 2012 : après un séjour de trois semaines à Cayenne, ville qui comme un vieux rafiot, craque de toutes ses membrures, tant, tout tombe en décrépitude et dont le quartier « Chicago », n’a rien à envier aux favelas brésiliennes : drogues, violences, trafiques et no man’s land. Comme professeur d’anglais/d’espagnol non titulaire, passer l’année 2012/2013 aux fins fonds de l’Amazonie à enseigner à des descendants d’Aloukous et de Wayanas… J’espérais tenir toute l’année, mais, en avril, donnais ma démission tellement tout avait été infernal… Non, pas le lieu, mais le contexte élèves et surtout ces « chers collègues » de l’éducation nationale et le rectorat. Voir le Lien ici de l’article écrit à l’époque.
(Sur le Fleuve Maroni une lettre de Démission…)
http://bonbonlareunion.over-blog.com/2016/04/sur-le-fleuve-maroni-une-lettre-de-demission.html
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Avec maintenant 11 ans de recul, je me remémore des anecdotes, qui les soirs d’hiver peuvent être contées, tellement là-bas tout est hors norme…
En emménageant dans mon carbet, ces petites maisons de construction locale, le propriétaire me dit devoir partager mon espace avec un colocataire non payant, mais très utile pour mon quotidien. Dans la minuscule cuisine à la jonction du plafond et des deux murs d’angles, il me montre une araignée d’au moins 20 centimètres ; une Matoutou se tenant accrochée, tête en bas. Après l’effet d’effroi-surprise et en regardant bien, cette grosse bébête qui possède 8 ou 10 pattes bien velues, des gros yeux noirs bougeant en tous sens, des pinces et surtout le bout des pattes de couleur orange. L’avoir chez soi, c’est la garantie selon lui que tout être rampant se fera dévorer pendant la nuit par « ma » matoutou que je surnomme long legs. La nuit, ces bestioles partent en chasse et se remplissent de cafards, gros comme des boites d’allumettes, de fourmis, de rongeurs, de « trucs » volants indentifiables et même de rats, mulots et petits lézards nombreux sous ces tropiques. De plus, en bon voisin, jamais il ne lui vient à l’idée de faire un détour par mon hamac, et donc, me voilà cohabitant avec long legs pour le meilleur et pour le pire, sachant qu’il n’est pas venimeux. Certains voisins en arrivent même à les domestiquer et à les prendre dans leurs mains ; me concernant, je m’en suis abstenu et nous avons vécu notre histoire sans histoire. Toujours en parlant bestioles : les fourmis légionnaires. Ce sont des nomades qui se déplacent par centaines de milliers et lorsqu’elles bougent en rangs serrés, elles émettent un bruit caractéristique assez angoissant, comme des mandibules qui s’aiguiseraient. Si vous en repérez proche de votre carbet, attirez-les avec du miel versé en travers de l’entrée, puis faites une ligne sucrée qui traverse la maison. Rapidement attirées, elles vont envahir votre domicile, tuer tout ce qui peut être dévoré et ressortir à l’autre bout pour continuer leur quête. Mieux que l’aspirateur machin-truc à 1000 balles ! Un p’tit truc de broussard : la nuit, pour ne pas être embêté par les choses rampantes/volantes qui viendront vous chatouiller dans le hamac sous la moustiquaire, enduire de mousse à raser chaque bouts de corde qui le tient. Les rampants se retrouvent à s’enfoncer dans la mousse et s’étouffent…
Trekking en brousse : A Maripa Soula, la forêt enchâsse le village, et il est tentant pour un curieux d’y aller, plutôt d’y pénétrer. Toujours avec un guide, sinon, ce sera un aller simple. Souvent la balade commence sur une pirogue sur le fleuve. Le débit de l’eau en haute saison est si fort qu’on ne peut y aller qu’avec un piroguier qui s’y connaît : il y a des tourbillons qui aspirent, les fonds sont très profonds et les eaux sont habitées par des animaux qui se feront un plaisir de vous transformer en plat du jour. Toucher terre, est un travail d’experts, car, il y a peu de trous dans la végétation des mangroves. Un espace touffu à moitié immergé de branches, de troncs et d’une faune prédatrice, dont des serpents venimeux qui tombent des branches. Une fois « dedans », l’humidité assaillie comme une chape, et l’odeur de moisi domine. À ma surprise, c'est un lieu très sombre et bruyant. Il y a trois couches d’arbres qui s’élèvent à des altitudes différentes, la plus haute reste invisible. À tout dire, c’est assez angoissant comme endroit et donne l’impression d’avancer dans un tunnel sans fond. Avancer, c’est jouer du coupe-coupe et transpirer deux litres d’eau par minute. C’est là que moustiques et autres volants décident de festoyer sur votre peau, bien claire qui attire ces vampires. Un des « grands héros » de ces lieux est la sangsue… Animal du diable qui sait pomper à la moindre occase. Et puis le sol est gorgé d’eau, de boue, si bien qu’avancer c’est patauger, et sentir parfois sous les grosses bottes un truc non identifié qui bouge… Comme en plus, béotien que vous êtes n’y connaissez que pouic, ce qui fait la joie du guide qui se marre bien en voyant vos frayeurs citadines. L’Amazonie et sa rain forest, n’est pas une terre de branlotins !!! Alors, pourquoi y venir ? Parce que, ce sera une des rares fois de votre vie où l’impression de ne pas être à sa place fait foi. Tout autour est si fort, si ENORME, que cela vous replace où, vous êtes réellement ; comme un petit être balloté, qui ne pourra s’en sortir qu’à la volonté de sa tête ; comme une traversée en solitaire d’un océan ou sur le toit du monde. C’est ce que donne la fréquentation de la grande forêt. Pour finir sur une note joyeuse : Une des bonnes blagues du guide, me laissé passer devant, pour qu’une minute plus tard des milliers de petites araignées me tombent partout sur le corps, rentre dans ma chemise, mon caleçon, un vrai film d’épouvante qui m’a fait gueuler à être entendu jusqu’au Manaus… En fait, un type de petites araignées inoffensives qui a colonisé entièrement un arbre, et lorsqu’un inconscient passe dessous et tape dans une branche, toute la colonie tombe sur l’intrus pour le faire fuir, je dirais, mission accomplie mesdames, je me suis pissé dessus !
Le dispensaire de Maripa Soula : La nuit venue, de l’autre côté du fleuve Maroni, de frêles embarcations, des bouées, des nageuses s’apprêtent à traverser les 300 à 500 mètres d’eau qui séparent le Surinam de la France… La fluviales patrouille, pourtant, ce sont de très jeunes femmes, je dirais plutôt filles, qui au risque de leur vie, veulent traverser et donner naissance à leur bébé sur la terre de France, car droit du sol oblige. Ce qu’il faut savoir, c’est que le fleuve est la demeure de beaucoup de prédateurs comme les piranhas, crocodiles, poissons électriques et raies. Combien de ces pauvrettes, enceintes jusqu’aux yeux, périssent-elles dans ces eaux ? Parfois, des restes humains sont retrouvés en aval. C’est dire à quel point ces femmes voulant donner la vie sont désespérées. Celles qui parviennent sur la berge, vont être prises en charge par le dispensaire qui les accouchera. Merci à ces jeunes sages-femmes et infirmières qui se dévouent pour elles, leurs petits seront français et pourront envisager un futur…
Le jour du RMI : aujourd’hui RSA. Devant le bureau de poste chaque mois vers le 10, la distribution d’argent du RMI. Tout se fait en liquide, en billets et pièces. Encore récemment, pour les natifs Wayanas, la monnaie d’échange était le coquillage ou le troc. Le concept pour certains des plus âgés, qu’un morceau de papier avec une image dessus puisse permettre d’obtenir quelque chose est difficile à comprendre. En rang d’oignions, ils mettent leurs mains en coquille et le préposé de l’administration dépose dedans environ cinq cents euros. Ils sont là, un peu ballot, avec « ça » dans leurs mains, mais ont compris que s’ils se dirigent vers les marchands postés de l’autre coté du chemin, ceux ci contre ces morceaux de papier leur donneront, de l’alimentation, du tabac et des alcools. C’est, ce que fait de pire l’administration française pour ce peuple ancestral, de lui donner, alors que depuis toujours, ces hommes et femmes se sont battus contre la nature et ont survécus. D’autant, qu’ils deviennent aussi des attractions touristiques pour occidentaux en mal « d’authenticité ». Quant aux Aloukous, appelés aussi, noirs marrons, ils sont devenus de gros commerçants prospères, vivants dans un hamac, comparés à leurs ancêtres, fiers constructeurs de pirogues et navigateurs hors pair. Ainsi va l’acte civilisationnel de la métropole « bienfaitrice » et redistributrice…
J’ai vu aussi : Kourou et son lanceur de fusée bien dressé vers les cieux, c’est un peu arrogant, mais ça le fait. À saint Georges Oyapoc, au sud, à la frontière du Brésil, ce pont construit sous les ordres de Chirac, qui a couté un bras et qui ne fait qu’aboutir dans la jungle impénétrable Brésilienne. Papaïchton, du bout du monde, son jour de festival et les pagnes des femmes. Arecume-Pata le village des Wayanas isolé, mais trop proche d’après eux. Au loin de Cayenne, les iles du levant : Papillon/Charrière, le capitaine Dreyfus, ces prisonniers oubliés des humains… Et ce bagne, rongé par la végétation, comme un pied de nez à l’horreur de la pénitentiaire, où, encore, est visible le socle en pierre de « La Veuve » ou si vous préférez de la guillotine qui trancha les têtes récalcitrantes. La Guyane, un bout de terre forêt, assoupi en sa torpeur moite, d’histoires de bagnards, d’exclus, de renégats ; avec ces senteurs de vase dues aux alluvions limoneuses charriées par des courants bouillonnants de leurs scories aqueuses… Des cadavres et des songes.
Georges ZETER/ septembre 2024
Deux vidéos de Guyane
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