En couverture du livre de Pierre Péan : les noces singulières de MM. Bush et Kouchner
Pierre Péan et son éditeur pouvaient-il choisir meilleure ou pire photo en couverture de leur livre, « Le monde selon K. » ? On croirait à un montage tant la scène frise la caricature. Il ne semble pas pourtant que les têtes de MM. Bush et Kouchner aient été ajoutées sur des troncs inconnus : les unes et les autres paraissent bien leur appartenir.
L’image d’une relation authentique
Pris en plan moyen, près du dossier d’un fauteuil auquel ils s’appuient pour occuper le bras dont ils n’ont pas usage dans leurs effusions et éviter de l’avoir ballant, les deux compères ressortent, l’un près de l’autre, dans un beau contraste en pleine lumière sur un fond noir qui garantit une mise hors-contexte pour, à la fois, ne pas distraire le regard et donner à leur étreinte la puissance du symbole souhaité.
Sans doute feignent-ils d’être photographiés à leur insu et/ou contre leur gré puisqu’ils paraissent ignorer l’objectif et que la bouche ouverte de l’un signe un instantané. Mais la photo est trop bien cadrée et l’éclairage trop étudié pour qu’il en soit ainsi. Ce leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée n’a d’autre but que de donner plus d’authenticité à leur étroite relation : c’est un moment d’intimité auquel ils veulent faire croire, censé échapper, loin des caméras indiscrètes, aux contraintes rigides du protocole. Celui-ci, d’ailleurs, n’autoriserait pas les privautés auxquels tous deux se livrent. Une entente entre les représentants de deux pays amis est tout au plus symbolisée, du moins selon le code des moeurs occidentales, par une poignée de main - « un shake hands » - plus ou moins prolongée et énergique accompagnée des sourires de circonstance eux aussi plus ou moins figés. Même comparée à la poignée de mains entre MM. Sarkozy et Kouchner, ci-dessous en pied d’article, la posture de MM. Bush et Kouchner dégage un fumet de complicité que l’autre n’a pas du tout.
L’image d’une symbiose entre deux hommes
Ici, loin de tout témoin sauf du photographe de service, la scène offerte par MM. Kouchner et Bush est la métonymie de la symbiose qui existe entre les deux hommes. M. Bush enserre amicalement, voire tendrement, de son bras droit le cou de M. Kouchner, la main molle retombant même sur le revers de son veston. Symétriquement, M. Kouchner étend son bras gauche le plus loin qu’il peut dans le dos de M. Bush jusqu’à montrer le bout de ses doigts sur son épaule gauche : cet effet est-il dû à une retenue dont est dépourvu son partenaire et pour cause ? On n’embrasse pas le président des Etats-Unis sans ressentir malgré tout une certaine crainte révérencielle que celui-ci n’a aucune raison d’éprouver envers quinconque, puisque, à la tête de la plus grande puissance du monde, il n’a aucun maître au-dessus de lui.
L’image d’une relation asymétrique apparente néanmoins
Une seconde métonymie confirme bien cette relation asymétrique que les deux hommes auraient souhaité peut-être gommer. M. Bush, par sa seule taille, domine M. Kouchner qui est contraint de lever les yeux vers lui. Il l’enveloppe, à vrai dire, moins amicalement que paternellement, quand l’autre, plus petit, au bras trop court, peine à atteindre son épaule gauche. Les expressions des visages renforcent cette impression de domination de l’un sur l’autre. M. Bush a le regard non pas perdu dans le vague mais fixé sur ses pensées personnelles. Peut-être se réjouit-il de sa prise : on le devine au sourire qu’il esquisse. M. Kouchner, au contraire, est aux anges et le dévore des yeux. On le sent parvenu au faîte de la puissance, puisque l’ayant admis dans le cercle de ses intimes, le prince du monde l’étreint et que lui-même le tient familièrement par l’épaule.
Le rictus que sa bouche ouverte dessine, vise à glisser cependant dans cette scène une pointe d’humour qui introduise un peu de distance sans laquelle l’étreinte équivoque des deux hommes sombrerait dans le ridicule : on sent que M. Kouchner force le trait. Il s’abandonne aux bras de l’homme le plus puissant de la terre, mais il veut faire croire encore qu’il garde une certaine indépendance, au moins celle de plaisanter avec lui. Mais il faut se rendre à l’évidence : il a beau interpeller M. Bush, celui-ci reste désespérément absent : les grands fauves sont maîtres de leurs humeurs et n’entendent pas qu’on leur dicte leur conduite !
On aurait aimé connaître la date de cette photo et son contexte. Le livre, c’est dommage, ne les précise pas. A-t-elle été prise lors du premier mandat de M. Bush ou au cours du second ? Dans le premier cas, M. Kouchner avait quelque raison de se réjouir de se montrer si proche et si intime de l’homme le plus puissant du monde. Dans le second cas, on s’interroge sur ce besoin de parader avec un président décrié qui a conduit les États-Unis dans les pires impasses, à moins qu’il n’est pas cru à la victoire de M. Obama. Quant à M. Bush, si persuadé d’être l’incarnation du Bien sur terre, a-t-il eu besoin, pour en convaincre ses détracteurs, de s’afficher avec « l’icône de l’humanitaire » et d’en rechercher la caution ? En tout cas, une chose est sûre, ni M. Bush ni M. Kouchner n’ont pensé que la photo à laquelle il se sont prêtés servirait un jour à illustrer un livre qui décrirait leur commune imposture.
Paul Villach
Documents joints à cet article
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON