En Egypte, dénoncer le harcèlement sexuel peut conduire en prison
Ces derniers mois, deux femmes ont été emprisonnées et condamnées pour avoir publiquement dénoncé le fléau du harcèlement sexuel en Egypte.
En mai dernier, l'actrice Amal Fathy publiait une vidéo sur Facebook dans laquelle elle expliquait comment, lors d'une visite dans l'une des agences de la Banque Misr, elle avait été harcelée sexuellement par des hommes pendant qu'un agent de sécurité l'observait en se touchant.
Deux jours après la publication de la vidéo, des policiers firent irruption au domicile cairote d'Amal Fathy et de son mari Mohamed Lotfy, directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, pour conduire le couple et leur enfant âgé de trois ans, au commissariat de Maadi. Si son mari et son enfant furent libérés par la suite, Amal Fathy resta en détention. Le 29 septembre dernier, elle a été condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement et à une amende de 10 000 livres égyptiennes, soit l'équivalent de près de 480 euros.
Il y a quelques mois, Mona Mazbouh, une jeune touriste libanaise était condamnée à huit ans de prison pour "atteinte" au peuple égyptien après la diffusion d'une vidéo sur Facebook dans laquelle elle se plaignait d'avoir été victime d'harcèlement sexuel. Son cas fut alors largement relayé dans les médias et une pétition appelant à sa libération vit le jour.
Mona Mazbouh a depuis été libérée suite à la décision de la cour d'appel égyptienne de réduire sa peine à un an d’emprisonnement avec sursis et au versement d’une amende de 30.000 livres égyptiennes, soit l’équivalent de près de 1.500 euros.
La question du harcèlement sexuel fit réellement irruption dans le débat public égyptien lorsqu'une femme courageuse de 27 ans, Noha Rochdi, agressée en 2008 par un chauffeur de bus, osa porter l'affaire devant les tribunaux et réussit, malgré les menaces et les insultes, à faire condamner son agresseur. Mohamed Diab, qui assistait au procès, en tirera son célèbre film "Les Femmes du bus 678" qui met en scène trois jeunes femmes, appartenant à des mondes différents, victimes d'agressions sexuelles. Si le film contribua à sensibiliser la société égyptienne à la question du traitement des femmes, des procès furent intenté au cinéaste pour avoir prétendument sali l'image du pays. Quelques semaines après la sortie du film, lors du soulèvement populaire de janvier 2011 qui chassa Hosni Moubarak du pouvoir, des groupes de volontaires se constituèrent afin de protéger les femmes des agressions sexuelles durant les manifestations et des graffitis anti-harcèlement fleurirent sur les murs du Caire.
Le remarquable civisme qui régnait alors sur la place Tahrir fut brutalement interrompu lorsque, le dix-huitième jour, au milieu de la liesse populaire, une envoyée spéciale de la chaîne américaine CBS, Lora Logan, fut sauvagement agressée par plusieurs centaines d'hommes. Au cours des mois suivants, deux journalistes françaises, Carole Sinz, de France 3, et Sonia Dridi, de France 24, furent-elles aussi victimes d'agressions sexuelles.
En 2013, de nombreuses égyptiennes se réunirent régulièrement sur la place Talaat Harb pour dénoncer la spirale des agressions sexuelles. Selon un rapport de l'ONU, publié la même année, 99% des femmes égyptiennes déclaraient avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel.
Cette mobilisation de la société civile déboucha l'année suivante, sous l'impulsion du Président Abdel Fattah al-Sissi, d'une loi criminalisant le harcèlement sexuel et le rendant passible d’une peine d'emprisonnement d’un an minimum.
Depuis, les condamnations sont rares et la grande majorité des victimes attendent que justice leur soit rendue. Selon Amnesty International, lorsqu’elles demandent de l’aide, les victimes sont ignorées ou traitées avec mépris par la police et la justice. En 2017, un sondage de la Fondation Thomson Reuters confirmera les craintes des ONG en désignant Le Caire comme étant la "mégalopole la plus dangereuse au monde pour les femmes".
Face aux critiques, les autorités égyptiennes, qui entendaient il y a peu encore lutter contre les violences faites aux femmes, ont durcies leur position en faisant récemment adopter par le Parlement un projet de loi ciblant les réseaux sociaux. Désormais, les comptes de plus de 5 000 abonnés seront traités comme des médias et leurs propriétaires feront l'objet de poursuites s'il s'avère qu'ils diffusent de "fausses nouvelles" ou incitent à des troubles.
Le temps où le Président égyptien se rendait au chevet des femmes victimes de violence, bouquet de fleurs à la main, en s'engageant à lutter contre le fléau du harcèlement sexuel, parait désormais loin.
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON