En finir avec l’union européenne : défaire l’imaginaire européen
"Si cet ensemble d'armées, le plus grand de l'histoire du monde, passe maintenant à l'attaque, ce n'est pas seulement pour créer les conditions indispensables à la conclusion définitive de cette grande guerre ni pour protéger les pays momentanément affectés, mais pour sauver toute la culture et toute la civilisation européennes."
Adolf HITLER, 22/06/1941
La crise du capitalisme qui a frappé depuis 2008 a engendré une réaction thermidorienne de la part des oligarchies politique, économique et médiatique qui asservissent les peuples des pays occidentaux.
Dans ce cadre, l'épisode grec a démontré au delà du nécessaire le caractère ultra-réactionnaire de la construction européenne. Outil de destruction des solidarités existant au sein des pays de l'ouest de l'Eurasie, l'Union Européenne s'est aussi révélée depuis longtemps l'outil d'un impérialisme occidental débridé : Irak, Syrie, Lybie ont subi les effets dévastateurs et meurtriers du fanatisme de l'occident. Véritable dictature qui ne dit pas son nom, l'UE a occasionné, notamment de puis l'Acte Unique de 1986 des régressions économiques, sociales et politiques sans précédent depuis l'époque nazie.
Si la critique économique et politique de l'UE a été faite, son aspect idéologique n'a pas encore fait l'objet d'un tel traitement. Tel est l'objectif de cet article.
L'Europe, une identité chrétienne
Lors des débats sur le projet de traité constitutionnel européen (TCE), un certain nombre de dirigeants souhaitaient inclure une référence aux origines chrétiennes de l'Europe.
En France, cette proposition a fait l'objet d'une forte opposition. Toutefois le sens de cette proposition n'a pas été perçue dans sa vraie signification.
S'il est indubitable que l'UE fait une forte place aux groupes religieux, qu'elle constitue un relai important des préoccupations du Vatican et que la mise à mort de la séparation de l'église et de l'état est un de ses objectifs, ces différentes considérations n'épuisent pas les motivations des auteurs de cette proposition.
En effet, les européistes convaincus et conscients voient dans le Moyen Age une forme d'âge d'or qui est la matrice du projet européen.
Le principal prix européen, qui récompense des personnalités qui se sont engagées en faveur de l'unité européenne, est ainsi baptisé "prix international Charlemagne". Sauf à présupposer la bêtise et l'innocence des créateurs de cette récompense, cette appellation ne peut être anecdotique. La référence à l'empire carolingien, défenseur des chrétiens, témoigne clairement que la nature profonde de l'Europe est chrétienne1.
Pour s'en rendre compte pleinement, il est sans doute utile de se référer à un chaud partisan d'UE, et de l'Europe2 :
"L’Europe, c’est une identité culturelle forte inscrite dans un territoire incertain. Historiquement, l’Europe est une invention du premier millénaire. Ce sont la fusion, à partir de Constantin, des héritages gréco-romain et judéo-chrétien, le déplacement entre Seine et Rhin, sous l’effet des Grandes Invasions, des centres de décision politique du continent, la résistance de ce qui reste des Empires romains d’Occident et d’Orient à la double poussée arabo-musulmane et turcomusulmane, qui lui donnent à la fois une identité culturelle puissante et une assise territoriale mouvante, organisée autour de l’empire carolingien mais imparfaite à l’est, débordante à l’ouest et chahutée en permanence au sud par le flux et le reflux des puissances musulmanes.[...]
Etre Européen, ce n’est pas être chrétien mais l’avoir été, non pas individuellement mais collectivement, non pas personnellement mais historiquement, non pas cléricalement mais culturellement ; c’est admettre, même si l’on a abjuré toute foi ou si l’on est musulman, que de la liberté des modernes est sortie cette grande matrice civilisationnelle qui, en séparant la loi civile et la loi religieuse, a rendu possibles la raison, le progrès, la liberté religieuse, l’égalité des hommes et la souveraineté des peuples."
A travers ces propos, il apparaît évident que la dimension chrétienne de l'idée européenne ne fait pas de doute. Ainsi pour les européistes conscients, l'Europe doit nécessairement avoir une dimension chrétienne héritée du Moyen Age.
Or la modernité, et avec elle la démocratie, s'est bâtie contre le christianisme. Contrairement à ce qu'affirme Jean-Louis Bourlanges, c'est la destruction, par des combats parfois violents, des principes du christianisme que la modernité a pu s'imposer.
A l'idéalisme chrétien, à son respect absolu de l'autorité, à son rejet de la raison, se sont affrontés le matérialisme, la rationalisme, et in fine l'athéisme, qui ont permis l'apparition de la démocratie et du seul cadre dans lequel elle puise survivre : l'état-nation. C'est en se débarrassant du dogme chrétien que nous avons pu accéder à la liberté. L'idée que le christianisme aurait été la racine de la démocratie et des droits de l'homme est une falsification grossière, rendue nécessaire aux cléricaux de tout bord pour essayer de rendre ses lettres de noblesse à une religion discréditée par ses crimes3, sa complicité avec les dictatures d'extrême-droite et par nature incompatible avec la démocratie, la loi révélée ne pouvant s'accomoder de la délibération des hommes consubstantielle à la démocratie.
L'Europe est ainsi nécessairement liée à l'idée chrétienne. Les progressistes peuvent-ils ignorer cet aspect et se rallier à cette identité ultra-conservatrice et anti-démocratique ?
L'Europe, un empire.
"Je suis convaincu que dans 50 ans, les gens ne penseront plus en termes de pays"
Joseph Goebbels
L'Europe au risque de prendre une idée reçue à rebours, n'est pas un continent. Une consultation même superficielle de la tectonique des plaques montre que l'Europe n'est pas un continent : l'Eurasie en est un. En outre, l'idée de frontière naturelle est une idée abandonnée depuis longtemps4 par les géographes.
Donc si elle n'est pas un continent, l'Europe relève donc d'un choix identitaire et géopolitique. Et celui-ci peut-être précisément identifié.
Selon le mot d'Henri Spaak, cité par Jean-Louis Bourlanges5, le but des pères fondateurs était de "rebâtir l'empire romain". Cette idée n'est pas sans incidence.
Ainsi l'Europe ne peut pas être une idée internationaliste. Rebâtir un empire romain, ce n'est pas une étape vers un ordre international démocratique ou une République mondiale6. C'est la volonté d'établir durablement une entité politique dirigée contre le reste du monde et inféodée aux Etats-Unis d'Amérique. En particulier, l'Europe, du fait de sa dimension chrétienne, est un instrument orienté vers le monde arabo-musulman voisin. Cela permet de comprendre le soutien sans faille de l'UE aux exactions de l'état d'Israël, qui ne vient pas seulement de choix économiques mais aussi d'un fonds idéologique et culturel plus profonde.
Mais il y a plus grave, derrière la notion d'empire7 c'est la démocratie qui est menacée.
Il faut rappeler que la nation, si elle est une réalité historique, est aussi un concept fondamental de la philosophie politique, et qu'il est le lieu de la délibération collective du peuple et donc de la démocratie.
Le choix de créer un empire européen vise donc à annihiler la communauté politique à la base démocratie.
Dans ce cadre, le principe de subsidiarité joint au principe fédératif vise à concentrer au niveau de l'empire les fonctions considérées comme essentielles (monnaie, budget, défense, relations étrangères) laissant les autres ainsi que quelques résidus du pouvoir économique8 à la charge des autorités "locales".
Il est d'autant plus important de comprendre cela que cela permet de dissiper totalement le mythe de "l'Europe sociale". Au delà de la malhonnêteté (et parfois de la naïveté) de ceux qui ont défendu cette idée9, il est contraire au principe même de la construction européenne d'instaurer une sécurté sociale européenne ou des services publics européens, puisque ces tâches relèvent par construction des autorités locales et non du niveau impérial.
Le projet européen a ainsi un objectif clair : créer un empire au sein duquel les citoyens n'auront aucun pouvoir de décision politique, en particulier dans le domaine économique et social10.
L'Europe, la victoire posthume d'Hitler
Comme l'a rappelé utilement François Ruffin, jusqu'au début des années 1990 et la chute des régimes de l'Est, le Front National était favorable à l'Union Européenne. Son revirement sur la question est liée au fait que l'Union Européenne avait rempli son but, à savoir combattre le communisme11. Néanmoins, ce changement d'orientation ne traduit pas un rejet de l'idée européenne bien au contraire.
Il faut d'abord souligner que le FN, de par ses liens forts avec les milieux patronaux, est plus qu'ambigu sur la question d'une sortie de sortie de l'UE et de l'euro12. Ceci est fort compréhensible : si les petits patrons et indépendants subissent la concurrence déloyale des autres pays européens, la compression des salaires et la dérèglementation que met en place l'UE n'est pas forcément contre leurs intérêts. Il faudrait préciser cette opposition selon les secteurs économiques. Cependant, il faut avoir clairement à l'esprit que le patronat est divisé sur la question européenne. Les PME ont plutôt intérêt à en sortir et les grandes entreprises ont intérêt à son développement afin d'assurer la reproduction du capital. La divergence entre la droite "républicaine" et l'extrême-droite sur cette question reflète moins une divergence idéologique qu'une divergence socio-économique tenant aux franges du patronat représenté13.
Mais, plus fondamentalement, l'idée européenne n'est pas l'objet d'un rejet de la part de ce mouvement. C'est l'Europe supra-nationale qui est rejetée, ce qui est substantiellement différent.
Ainsi le programme du FN défend-il14 :
"[de] grands projets européens innovants, au service des peuples, bâtis à partir de partenariats volontaires, comme l’ont été Ariane ou Airbus décidés, faut-il le rappeler, en dehors des institutions communautaires".
L'idée européenne n'est donc pas du tout incompatible avec l'extrême-droite.
A cela, il faut ajouter la continuité des hommes qui ont défendu l'idée du fédération européenne avant et après la seconde guerre mondiale15.
De Walter Hallstein, premier président de la commission européenne et ancien diginitaire nazi, à Robert Schuman, soutien de Pétain, en passant par Jean Monnet16, la continuité du projet européen avec le troisième Reich n'est guère douteux.
Loin de représenter une rupture, la constitution de la CECA et de l'UE ne traduit pas une prise de conscience humaniste de la nécessité d'unir les peuples, mais bien une volonté de leur asservissement généralisé.
L'Europe : un choix géopolitique
Se dire européen, ce n'est pas une marche vers une République universel, c'est implicitement se positionner contre un certain nombre d'entité.
Evidemment, c'est un acte d'hostilité envers le monde arabo-musulman. Quand on affirme une identité chrétienne, il est évident que "l'infidèle" ne peut pas être un allié.
En outre, c'est aussi se positionner contre la "barbarie asiatique". La xénophobie anti-russe exacerbée que l'on constate aujourd'hui chez nombre d'européïstes en est l'un des avatars, comme elle le fut lors de la lutte menée par l'extrême-droite contre l'URSS (ce qui ne signifie aucune approbation du régime en question, soit dit en passant).
Mais surtout, cela consiste à créer un bloc supposé homogène culturellement autour d'une identité fantasmée visant à prendre le relais d'impérialismes nationaux en phase d'effondrement. Pour le dire plus clairement, la France, l'Allemagne l'Italie et leurs voisins n'ont plus la force pour imposer au reste du monde leur domination : elles doivent donc s'unir pour continuer à écraser les autres, en particulier l'Afrique. Il n'y a donc aucun aspect progressiste dans l'idée d'une Europe qui s'inscrit dans la volonté d'une domination impérialiste.
Conclusion
Il y aurait certainement d'autres points à soulever et à détailler, par exemple, le fait que de nombreux partisans de l'Europe viennent de l'extrême-droite, via des mouvements tels "Occident" ou le GRECE17.
On peut ne pas aimer l'état-nation et souhaiter un dépassement de ce mode d'organisation, souhait au demeurant respectable. Néanmoins, aucun mode d'organisation alternatif maintenant la démocratie n'a été sérieusement proposé18.
Mais, plus fondamentalement pour ce qui nous préoccupe ici, à supposer que l'on puisse déterminer un tel dispositif, il doit être clair que celui-ci ne saurait être basé sur l'idée européenne dont le caractère intrinséquement réactionnaire et fascisant ne peut être occulté.
A l'heure même où ce que l'on range sous la catégorie de "pensée occidentale" fait l'objet d'intenses critiques, plus ou moins justifiées19, comme par exemple ce que l'on range sous le terme de développement, il apparaît curieux que l'idée européenne qui en est une incarnation exemplaire soit exempte de tout questionnement.
Il est donc temps pour la gauche de rompre définitivement avec l'idéologie européenne. Non seulement pour se débarrasser du monstre anti-démocratique qu'est l'Union Européenne, mais aussi pour refonder un authentique internationalisme, qui, tout en maintenant l'héritage irremplaçable des lumières, sache faire place aux pensées non occidentales.
Ce qui précède tord sans doute (un peu) la bâton dans l'autre sens. Mais face à la propagande présentant systématiquement l'Union Européenne comme source de tous les bonheurs, et l'Europe comme l'horizon indépassable de l'avenir, il apparaît nécessaire d'ôter à l'idéologie européenne l'innoncence que ses promoteurs zélés lui prêtent et d'ouvrir un autre imaginaire de relation entre les peuples, basée sur l'indépendance de chacun, l'entraide et la coopération.
1Plus précisémeent, il faudrait dire christianisme catholique et protestant. La religion orthodoxe suscite en effet une forte suspicion de la part des européistes, que l'on perçoit à travers la xénophobie anti-russe actuelle, l'acharnement sur la Serbie ou à travers certains propos tenus sur la Grèce.
2 Jean-Louis Bourlanges, Etudes, 2004/6, tome 400, pages 729 à 741
3Outre le génocide des amérindiens, soit plusieurs dizaines de millions d'être humains, l'église chrétienne est responsable par son anti-sémitisme du génocide des juifs d'Europe et fut complice de l'arrivée au pouvoir d'Hitler et Mussolini, pour ne citer qu'eux.
4Paradoxalement, l'idée de frontière naturelle transparaît chez des mouvements qui se veulent anti-nationalistes, notamment le NPA et EELV, via à leurs soutiens à certains mouvements dits régionalistes. Ce naturalisme politique est le socle fondamental de toutes les idéologies d'extrême-droite.
5Note 7, page 740
6Au délà du cas précis de l'Europe, ceux qui rêvent d'une République mondiale devraient sérieusement se demander si une telle chose est souhaitable. Un monde sans frontière où les capitaux circuleraient sans aucune entrave ressemble plus à un cauchemard capitaliste qu'à un rêve de fraternité. En outre, les rares propositions vaguement esquissées sonnt pour le moins problématiques. Le cosmoplitisme parfois défendu (par exemple par Derrida) ne donne aucune piste concrète d'organisation. Quant au système envisagée par Noam Chomsky (De l'espoir en l'avenir), il ne résout en rien les problèmes de délégation.
7Terme utilisé notamment par Dominique Strauss-Kahn en juin 2004 : "L'Empire européen, tout le monde le voeu".
8Celui-ci sera bien entendu effectif en défaveur des salariés du fait de la concurrence entre les territoires
9Jacques Delors a par exemple ainsi défendu l'Europe sociale après avoir liquidé sciemment tout un pan de l'économie française et attaqué les droits des salariés
10Voir Aymeric Montville et alii, L'idéologie européenne, Aden ; Antonin Cohen, de Vichy à la communauté européenne, PUF
11Voir Aymeric Montville et alii, L'idéologie européenne, Aden ; http://www.liberation.fr/france/2016/06/25/quand-le-front-national-etait-pro-europeen_1461803
12Voir par exemple les prises de positions de Marion Maréchal Lepen : http://www.lexpress.fr/actualite/politique/fn/sortir-de-l-euro-embarras-chez-les-lepenistes_1786402.html
13Cette analyse mériterait d'être raffinée. Il est fort probable que les petits patrons des secteurs en développement (informatique par exemple) sont plus favorables à l'UE que ceux de secteurs traditionnels en perdition (textiel par exemple), l'UE étant une chance pour les premiers, un problème pour les seconds.
15Aden ; Antonin Cohen, de Vichy à la communauté européenne, PUF ; Annie Lacroix-Riz, le choix de la défaite, Armand Colin
17https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupement_de_recherche_et_d' ;%C3%A9tudes_pour_la_civilisation_europ%C3%A9enne
18Noam Chomsky (De l'espoir en l'avenir, Agone) a bien proposé l'idée d'une fédération de fédération ; néanmoins, les contours d'une telle organisation reste pour le moins éminemment floue.
19Pour des crtitiques stimulantes, voir : Anne-Cécile Robert, l'Afrique au secours de l'occident, éditions de l'atelier ; Alain Gras, Fragilité de la puissance, Fayard.
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