En finir avec le monarchisme républicain
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Bien que pourvue, conformément à mon identité femelle, d’un système pileux modeste, je ne peux regarder le moindre reportage trahissant, en fond sonore ou pictural, le décorum royal dont se tartinent les sommets de l’Etat, sans avoir l’impression qu’une forêt de poils se hérisse d’indignation sur mes membres : palais Pompadour, villégiatures seigneuriales, escortes empressées, carrosses lustrés, respect révérenciel, trésorerie somptuaire, dépenses nébuleuses, pectoral doré, portraits en gloire, hallebardiers casqués, ouvreurs de portes, porteurs de parapluie et autres larbins compassés... voilà pour le protocole habituel.
Quant à ce qui transparaît de l’attitude générale de nos gouvernants, il est loisible de le juger à la même aune de princier sans-gêne : celui d’une élite auto-assumée pour laquelle les biens et la souveraineté de l’Etat (et dans une certaine mesure de ses subdivisions territoriales) sont consubstantiels, non à l’entité morale et juridique de la nation, mais à leur fonction et par une extension choquante, à leur personne.
Sous l’Ancien Régime, le royaume de France étant une possession héréditaire du monarque, les coffres de l’Etat l’entretenaient, ainsi que son entourage familial et ses subordonnés. En république, la France n’appartient évidemment à aucune personne physique, le peuple se gouvernant par le truchement des représentants qu’il élit, et rétribue pour l’exercice de ces fonctions. Au nom de quel principe constitutionnel les président, Premier ministre et ministres sont-ils donc logés, nourris, blanchis, conduits, servis, aux frais exclusifs de leurs administrés, au nom de quelle légitimité institutionnelle peuvent-ils piocher en toute obscurité dans les finances publiques pour mener le train de vie opulent et ostentatoire de suzerains qui ne disent pas leur nom ?
L’idée que les gouvernants, y compris le plus haut, devraient prendre en charge leurs dépenses personnelles, c’est-à-dire toutes celles, quelle que soit leur nature, qui ne tiennent en rien à leurs responsabilités officielles, paraît en effet tenir de l’éthique politique la plus élémentaire. Pourquoi ne pourrait-on adopter les pratiques de sobriété et de transparence en vigueur dans les démocraties nordiques ?... Si une luthérienne simplicité ne convenait pas à nos dirigeants, ils pourraient toujours claquer en toute flamboyance méditerranéenne leurs propres sous, et faire ainsi œuvre utile pour soutenir la consommation de petits fours et d’écrans plasma...
Bref, quand donc la République française se dépouillera-t-elle définitivement des oripeaux de la monarchie héréditaire de droit divin, y compris dans la terminologie - ne parle-t-on pas couramment des « fastes » de la république, ne désigne-t-on pas la circonscription d’un député comme son « fief », la femme du président comme « la première dame de France » ?...
Probablement pas dans les cinq ans à venir, en tout cas. Dans notre monarchisme républicain hybride, le nouvel impétrant, qui use de toutes les ressources de son hyperactivité gouvernementale, de sa stratégie de marginalisation de l’opposition et d’une omniprésence médiatique bien orchestrée, pour accentuer la regrettable présidentialisation du régime, semble à l’aise comme loup en forêt profonde. Il est assisté notamment par deux alliés de choix, dont les comportements opposés lui servent habilement de faire-valoir.
D’abord un chef de gouvernement inutile : si dans notre régime, cette fonction porte en principe son titulaire à assumer une responsabilité majeure, susceptible en outre de le positionner comme successeur ou rival potentiel du président, ce Premier ministre-ci pousse l’effacement jusqu’à préconiser lui-même la disparition de sa fonction. Puis une épouse à l’apparence et au comportement hiératiques propres à accompagner la peopolisation de la vie politique, et visiblement éprise de reconnaissance personnelle. L’affaire de la Carte bleue, émargeant directement sur le Trésor public, attribuée à Cécilia Sarkozy, a déjà mis en évidence que les rênes de l’Etat sont tenues par des gens considérant de manière explicite et « décomplexée » que le statut privé d’épouse du président lui confère l’usance des fonds publics - carte qu’elle a ensuite restituée du fait de la polémique engendrée, mais peut-être aussi, comme le suggérait Le Canard enchaîné (11/07/07) parce que les montants ainsi réglés étaient susceptibles de ne plus demeurer confidentiels... Mais en accompagnant le 12 juillet en Libye le secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant venu évoquer avec Khadafi le sort des infirmières bulgares - tiens, une affaire étrangère non confiée au ministre afférent... -, Mme Sarkozy a puisé à nouveau dans une idéologie monarchique : s’arroger ainsi un droit de représentation de son mari auprès d’un chef d’Etat étranger est le fait de la reine, non d’une personne à laquelle la constitution républicaine ne reconnaît aucun pouvoir, aucun office.
Dans un contexte propre à alimenter tout poujadisme de mauvais aloi, il est grand besoin de rappeler quelques fondamentales évidences : le président de la république et les ministres sont des fonctionnaires. Ils se positionnent aux premières places de la pyramide administrative, et non pas d’une pyramide féodale. L’honneur de leur fonction est de servir en s’oubliant, non de se servir en oubliant leurs devoirs.
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