En lieu et place de la minutieuse construction prolétarienne, voici donc Gorby et Raïssa…
En 1985, puisqu’il s’agissait d’établir le rapport du secrétaire général Mikhaïl Gorbatchev en dehors de ce tout souverain que constituait jusqu’alors le Congrès du parti communiste d’Union soviétique, et ceci sans plus tenir aucun compte des décisions prises dans le passé – et donc, aussi bien en remontant jusqu’à 1917, qu’en laissant de côté toute la structure d’organisation fondamentalement démocratique que Lénine avait pu définir bien des années auparavant… -, et puisqu’il ne devait plus s’agir que d’un rapport « politique » seulement orienté sur les doux rêves d’un Gorby, et d’une Raïssa sans aucune autre habilitation que d’être son épouse, nous n’aboutissons plus qu’à des discussions autour d’une table de cuisine tout ce qu’il y a de plus familiale… Le nouveau maître n’aura même pas la pudeur de s’en cacher… Mais reprenons cela depuis le passage, de la fin de 1985, au début de 1986 :
« […] à la veille du Nouvel An […], je partis me reposer quelques jours à Pitsunda […] J’invitai Alexandre Iakovlev et Valeri Boldine à venir me rejoindre tout de suite après le Nouvel An. […] Ce fut là, dans cette résidence du gouvernement, sur la côte, que furent faites les premières tentatives pour repenser des pans entiers de notre politique. » (Mikhaïl Gorbatchev, op. cit., page 243.)
Après quoi, il n’y a pas lieu de s’étonner – ne serait-ce qu’un peu – de la réaction de ceux qui ne sont plus, de fait, que des petits camarades plus ou moins à la ramasse :
« À la mi-janvier, lorsque je soumis le projet de rapport au Politburo, je sentis, pour la première fois, combien forte était l’emprise des schémas idéologiques sur ses membres. » (page 245)
Pas l’emprise de ce qu’avait été longtemps la dynamique planétaire de la dictature du prolétariat ouvrier et paysan… Non, rien que des idées qui trottent dans la tête de ces gens-là on se demande bien pourquoi…
Ah, il est certes très éloigné le temps où Lénine pouvait écrire (Aux ouvriers de décider, dans Vpériod n° 6, le 1er juin 1906) :
« Les ouvriers social-démocrates de Pétersbourg savent que toute l’organisation du Parti repose maintenant sur une base démocratique. Cela signifie que tous les membres du Parti élisent les responsables, les membres des comités, etc., que tous les membres du Parti discutent et résolvent les questions relatives à une campagne politique du prolétariat, que tous les membres du Parti déterminent quelle doit être la tactique des organisations du Parti. » (Vladimir Ilitch Lénine, Œuvres, tome 10, etc., page 531. C’est Lénine qui souligne.)
Désormais, il n’y a plus qu’à faire appel à la petite fée du logis qui va vous mitonner tout cela aux petits oignons :
« Après la réunion du Politburo, nous nous rendîmes, Raïssa Maximovna et moi, à la résidence gouvernementale de Zavidovo. Medvedev, Iakovlev et Boldine m’y rejoignirent pour mettre la dernière main au rapport. » (Mikhaïl Gorbatchev, op. cit., page 245.)
On craindrait presque de les déranger… Mais il leur aura suffi de faire une toute petite place aux talents particuliers de la maîtresse de maison en matière de disposition des rondelles de saucisson et de quelques autres gâteries :
« Si les idées restaient les mêmes, la manière de les présenter subit de grands changements. Ma femme participa à presque toutes les discussions. Son expérience de la recherche sociologique, son travail avec la jeunesse des universités et, tout simplement, sa connaissance de la vie et son intuition féminine firent merveille. Elle n’hésita d’ailleurs pas à nous blâmer pour avoir oublié la situation de la famille et de la femme dans la société, nous suggérant la manière de traiter ce thème avec toute l’ampleur nécessaire. » (Idem, page 245.)
Et voici donc que le 19 janvier 1987, Gorbatchev peut présenter son rapport – qui est aussi et surtout celui de sa femme – devant le plénum du Comité central du parti communiste d’Union soviétique qui n’en peut mais. En effet, ne serait-ce pas là l’expression de la vox populi ? Raïssa n’est-elle pas la voix du peuple à elle toute seule, ou d’au moins la moitié, puisqu’elle est femme, et qu’elle intervient ici en lieu et place de toutes les femmes de l’Union soviétique qu’autrement on n’aurait certainement jamais pu entendre ?
En tout cas, Gorbatchev n’hésite pas une seule seconde à écrire ceci :
« […] le texte sonnait le glas de l’approche nomenklaturiste. Un élément nouveau et décisif était désormais introduit dans le processus : l’opinion et la volonté des citoyens. » (page 258)
« Intuition féminine » chez Raïssa… qui ne doit tout de même pas nous faire perdre de vue l’appel lancé par Lénine Aux ouvrières, dans le numéro 40 de la Pravda, le 22 février 1920 pour leur faire savoir ce que le système soviétique attendait d’elles, et, bien sûr, jusque dans l’ensemble de la structure étatique :
« Les femmes feront vite leur apprentissage en administrant et rattraperont les hommes. Élisez donc davantage d’ouvrières au Soviet, tant communistes que sans-parti. Peu importe si une ouvrière honnête, sensée et consciencieuse dans son travail n’appartient pas au parti : élisez-la au Soviet de Moscou ! » (Vladimir Ilitch Lénine, Œuvres, tome 30, Éditions sociales 1964, page 384)
Et encore dans l’édition spéciale de la Pravda du 8 mars 1920 qui portait ce titre : Pour la journée internationale des ouvrières :
« La République soviétique de Russie a […] balayé d’un seul coup toutes les traces juridiques sans exception de l’infériorité de la femme et assuré aussitôt à la femme, au regard de la loi, l’égalité complète. » (Idem, page 420. C’est Lénine qui souligne.)
Vraiment… quelle place madame Gorbatchev – star internationale et très spécialement choyée aux États-Unis – comptait-elle réserver aux ouvrières, elle ? Et précisément sur ce genre de terrain qu’évoque le fondateur de l’Union soviétique dans un monde qui sort à peine de la Première Guerre mondiale ?
« Le mouvement ouvrier féminin ne se contente pas d’une égalité de pure forme, il se donne pour tâche principale la lutte pour l’égalité économique et sociale de la femme. Faire participer la femme au travail productif social, la soustraire à l’« esclavage domestique », la libérer du joug abrutissant, éternel et exclusif, de la cuisine et de la chambre des enfants, telle est la tâche principale. » (Idem, page 421.)
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