En Macronie tout est possible : renforcer les capacités de défense en réduisant le budget des armées
Tandis que Macron promet d'augmenter les capacités de défense de la France en portant le budget de la défense, hors surcoûts OPEX et hors pensions à 50 millions d'euros contre 37 actuellement d'ici 2025, son ministre des comptes annonce que le budget de la défense va être raboté de 850 millions d'euros cette année, avec pour conséquence une révision à la baisse du plan d'équipement.
Evidemment Jupiter, l'homme du "et en même temps" nous a habitués à des prodiges, surtout de langage, mais là il va falloir vraiment faire fort pour suivre "en même temps" cette double ligne. Voyons un peu ça !
Le même jour où notre jeune, fougueux et charismatique président plantait son regard d'acier dans les yeux du président du CIO pour lui arracher l'organisation d'une des sessions des jeux olympiques de la prochaine décennie, et pourquoi pas les deux puisqu'en macronie rien ne résiste aux réalités, financières ou autres, notre jeune ministre des comptes publics, et accessoirement de l'action, mais pas militaire comme on va le voir, informait le bon peuple que 4 milliards d'euros devaient être trouvés d'ici la fin de l'année afin que l'empereur Juncker et surtout l'impératrice Merkel, nos maitres à tous, daignent jeter sur nous le regard bienveillant du maitre à l'élève consciencieux.
"Pas de problème !" s'écria le président. "Ça ne coutera qu'un milliard en investissement à l'Etat"
"On est dans la dèche !" s'écria le jeune Darmanin relayant les propos de son n+1 ou 2. "On va piquer du pognon à tous les ministères, même à la défense."
Surtout la défense aurait-il pu dire puisque c'est presque le quart des efforts globaux que le ministère des Armées, selon la plus récente nomenclature, devra fournir. Pour être honnête ce sera entre un cinquième et un quart puisqu'il s'agit de 850 millions d'euros. Mais pourquoi ne pas arrondir au milliard supérieur ? Pourquoi se gêner tandis que les militaires sont privés d'un certain nombre de droits communs attribués aux citoyens, comme celui de rassemblement, de se syndiquer, ou de grève, sans parler les limitations du droit de s'exprimer, commun aux fonctionnaires, on appelle ça le devoir de réserve, sauf qu'eux n'ont pas intérêt à la transgresser ? Bon ! On pourra dire que certes il y a une part de lâcheté des chefs militaires qui s'expriment parfois, mais quand ils ne sont plus en activité, et encore avec la retenue nécessaire pour ne pas être radiés quand ils sont généraux de ce qu'on appelle la seconde section et qui ouvre certains avantages, assez minables au demeurant, mais tout est bon à prendre sans doute. Les chefs d'état-major quant à eux s'expriment dans des lieux assez confidentiels, comme la commission de la défense, mais d'une telle manière qu'on ne puisse pas trop leur en vouloir. Des exemples comme le sort fait au général de gendarmerie Soubelet exprimant devant des parlementaires qui pourtant l'y invitaient la réalité du traitement de la criminalité et de la délinquance, peuvent faire réfléchir celui qui tient à sa carrière. La vérité est la dernière chose qu'on demande à ces gens chargés du quotidien de notre défense ou de notre sécurité. Qu'ils gardent ça pour eux. Et qu'ils tiennent ce discours appris il y a 20 ans quand l'armée entamait son processus de professionnalisation : "on va faire mieux avec moins !". Ils ne s'y trompaient d'ailleurs pas car dès cette époque où on aurait pu espérer que des efforts seraient faits pour que la professionnalisation se passe correctement, la loi de programmation militaire 1997-2002 (Chirac et Jospin à la barre) fut réduite de 20% en cours d'exécution. Pourtant cette époque on n'était beaucoup moins dans la dèche.
Mais cela est devenu une tradition que chaque gouvernement successif a tenu à respecter. Fabius nous expliqua quand le bloc de l'Est s'effondra sur lui-même, dans un propos resté célèbre chez les militaires qui eux avaient tout de suite compris de quoi il s'agissait qu'il fallait désormais récolter les dividendes de la paix. Sauf qu'on n'avait jamais été en guerre et que depuis on n'est jamais autant intervenu, dans le monde, et désormais à l'intérieur de nos frontières avec cette ahurissante opération Sentinelle tellement consommatrice en effectifs. La liste est longue en effet des opérations extérieures qui se succédèrent depuis la première et calamiteuse guerre du Golfe, jusqu'à cette opération Barkhane qui restera sans issue (imaginez 4000 hommes pour contrôler un territoire 5 fois plus grand que la France). On ajoutera à Barkhane l'opération Chammal dans le cadre de la lutte contre l'EI et les ronds dans l'eau du Charles-de-Gaulle quand il n'est pas en cale pour révision, tout ça pour ne parler que des opérations les plus significatives puisqu'il y en existe d'autres moins médiatisées (voir ici les opérations où la France est engagée). La France participe même à l'encerclement de la Russie avec 300 hommes stationnés en Estonie !
Alors voilà ! Plus on en demande aux armées, plus on les massacre sur le plan budgétaire. Les effectifs n'ont cessé d'être réduits depuis la professionnalisation, tandis que les retards en acquisition d'équipements neufs étaient sans cesse retardés, ajournés, annulés.
La première victime lors de l'intervention au Mali en janvier 2013 fut un pilote d'hélicoptère, de Gazelle plus précisément. Une gazelle, c'est une cellule de pilotage en plexiglas, avec en-dessous un canon de 20mm ou des missiles, sans aucun blindage évidemment, donc à la merci, surtout dans le désert de la première balle tirée au hasard dans sa direction. Imaginez-vous avec un quad au milieu d'une bataille de chars, et vous aurez sans doute une petite idée de ce que doit ressentir un pilote de gazelle dans un tel contexte d'engagement. Un pilote qui aura rêvé peut-être de piloter un Tigre, cet hélicoptère qui devait remplacer les gazelles dès 2000 et qui commença à être livré avec parcimonie 5 ans plus tard. Dans un autre registre, imaginez ce militaire qui crapahute dans le désert malien et qui perd les semelles thermocollées de ses rangers qui ne tiennent pas à la chaleur. Voilà donc notre armée, avec des hommes mis en danger parce que leur matériel est vétuste et non adapté aux formes de combat moderne, et de surcroit mal équipés. Une armée de surcroit aveugle car ne disposant pas de drones et devant compter sur les Américains pour lui fournir du renseignement-images, et devant louer des gros porteurs à la Russie que par ailleurs elle encercle (!).
Mais rassurez-vous, demain 14 juillet, tout sera nickel. Jupiter pourra être fier de ses troupes auquel son jeune ministre de l'action et des comptes publics veut voler 850 millions.
Pourquoi cette somme me direz-vous ? C'est juste le prix des guerres et de la gloire de nos chefs des armées donc aucun, depuis Mitterrand inclus, n'aura résisté à cette pulsion, peut-être pas de mort, si ce n'est celle des autres, mais d'amour de soi. Mitterrand aura eu sa guerre du Golfe, et aussi la Yougoslavie, Chirac le Kosovo et l'Afghanistan, Sarkozy la désastreuse en conséquences intervention en Libye, et le gros Hollande, le Mali et la Syrie (et il aurait même voulu en faire plus là-bas). Notre Jupiter qui a déjà promis d'intervenir en Syrie contre le régime d'Assad si les gaz étaient employés et quels que soient finalement les utilisateurs ne devrait pas échapper à ce qui est aussi devenu une tradition née au même moment où nous étions censés récolter les dividendes de la paix, donc dit autrement, réduire la voilure en termes de capacités militaires. Que voulez-vous, la France doit tenir son rang, fût-ce avec une armée de va-nu-pieds, ce terme étant à prendre dans son sens littéral.
Alors les 850 millions d'euros sur lesquels lorgne Darmanin, c'est juste le surplus de coûts des opérations extérieures prévisible pour l'année 2017. 450 millions furent provisionnés dans le budget 2017, tandis qu'au final ça coutera sans doute 1,3 milliards d'euros. Cet écart ne constitue pas une erreur de calcul car nul ne pouvait imaginer que nous allions sortir du bourbier du Sahel, ni de celui de Syrie, ni d'ailleurs, pendant cette année 2017, mais aussi une tradition. Celle-ci permet d'afficher un budget réel de la défense supérieur en part de PIB, OTAN oblige, tout en repoussant à plus tard le problème. Celui-ci étant de savoir si ce sont les armées qui vont payer ou si ce sera ponctionné sur le budget général, chose d'ailleurs prévue dans la dernière loi de programmation militaire qui, à l'instar des autres, n'est pas faite pour être respectée. C'est donc chaque année quelque chose de récurrent, le budget OPEX étant délibérément sous-estimé. Parfois les militaires gagnent, parfois ils perdent. L'effort de défense promis par Macron/Jupiter semble être une promesse déjà oubliée, à moins que comme pour certaines mesures fiscales il ne revienne en arrière contredisant son ministre. Sait-on jamais ? Cela deviendra peut-être aussi un marquant de ce gouvernement, quand le président revient sur les déclarations de la veille de ses ministres. Cela dit comment juger un exécutif dont les décisions annoncées par l'un sont contredites par l'échelon supérieur le lendemain.
Au demeurant, on le saura vite, d'autant plus vite que le chef d'état-major des armées, visiblement excédé de manger des couleuvres, menace de démissionner après avoir exprimé vertement sa colère devant la commission de la défense alors que, hasard du calendrier il vient d'être prolongé d'une année dans son poste alors qu'il est atteint par la limite d'âge. Macron va peut-être couper la poire en deux. "Je vous baise, et en même temps ça vous fera moins mal que prévu", pourra-t-il dire à son chef d'état-major des armées qui justement disait qu'il refusait de se faire "baiser par Bercy".
En attendant les forces armées qui sont considérées en surchauffe, notamment depuis cette grotesque opération Sentinelle, qui sont sous-entraînées, l'entrainement étant devenu une variable d'ajustement tant budgétaire que temporelle, qui sont mal équipées et destinées à le rester, seront priées de faire bonne figure devant Manu et Donald, devant Mélania et Brizitte. Ces quatre-là dinant au second étage de la Tour Eiffel auront eu d'autres choses à penser qu'au coût de leurs agapes et au nombre de paires de rangers à semelles cousues et de fusils que ça peut représenter. Fusils au passage allemands puisque pour la première fois de sa longue histoire l'armée française s'équipe de fusils étrangers. Tout un symbole.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON