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Enfers démographiques et demografictions

Serions-nous « de trop » ou « en trop grand nombre » sur une Terre surexploitée ? Entre « romans démographiques », utopies liberticides et dystopies eugénistes voire génocidaires, la littérature met l’avenir des populations en personnages et en situations souvent tragiques. Si la « démografiction » envisage tous les modes de vie et tous les possibles, elle privilégie souvent le scénario du pire, jusqu’à la déshumanisation des sociétés, « l’hiver démographique » et l’extinction « quasi complète de l’espèce humaine ».

 

Les fictions spéculatives mettant en scène des « questions de population » (et, forcément, de « contrôle des populations »...) sont légion, du Meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley (1894-1963) à Soleil vert (1966) de Harry Harrison (1925-2012) ou La Servante écarlate (1985) de Margaret Atwood. Sans oublier l’apocalyptique Camp des saints (1973) de Jean Raspail (1925-2020) évoquant un déferlement migratoire menaçant l’ « Occident blanc » - une fiction relevant, selon son auteur, non plus de l’utopie mais de la prophétie...

Entre utopies lénifiantes ou dystopies eugénistes, les sociétés humaines d’un « foutour » plutôt inquiétant légiférent contre « l’excès de gens » voire contre une « infestation de surpopulation » tout en se confrontant aux questions climatiques, migratoires, pandémiques – et de pollution structurelle.

Le démographe Jacques Véron et le philosophe Jean-Marc Rohrbasser précisent les enjeux de sociétés fondamentaux, actuels et à venir, sur fond de rageuse « décarbonation » de l’économie et de piège informatique global. Un « nombre souhaitable de citoyens »...

Déjà, Platon (vers 428-348 avant notre ère) précisait dans sa République puis dans Les Lois le « fonctionnement souhaitable d’une population pour que règne l’harmonie entre les citoyens » - avec un « nombre souhaitable de citoyens » fixé à 5040, sans prendre en compte les esclaves et les étrangers... Il évoque même l’utilisation des morts comme engrais...

Bien plus tard, L’Utopie (1516) de Thomas More (1488-1535) accorda une « grande attention aux paramètres démographiques en construisant son île imaginaire ».

Bernard Le Bouyer de Fontenelle (1657-1757) propose une République, sise sur l’île d’Ajao, donc préservée de la « corruption des autres peuples de la Terre », et « fondée sur le règne de la vertu dans le respect de la loi naturelle » - ce qui ne va pas sans une « organisation minutieuse et contraignante »... Car le monde des utopies est « avant tout celui de l’équilibre, celui d’un ordre social stable, au prix d’un totalitarisme de fait  ». Celui des dystopies, « profondément tragique », plonge les populations déboussolées dans un chaos destructeur de toutes les valeurs de reproduction sociale, souvent au seul profit d’un modèle génocidaire de perpétuation de privilèges oligarchiques.

Une société confrontée à la « question démographique », donc de raréfaction des ressources, n’hésite pas à limiter la durée de la vie humaine (et le nombre de vies « autorisées »...) pour freiner la croissance de la population, quitte à verser dans une systématique totalitaire, comme le constatent Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser : «  Si c’est de manière différente, utopies et dystopies nous plongent bien dans des univers totalitaires. Mais en contraste avec les utopies, les dystopies mettent en place uncontrôle de la population qui n’a pas pour priorité le bien-être des habitants, mais une stabilité sociale qui serait à elle-même sa propre raison d’être et ne profiterait en dernier ressort à personne  ».

Dans son essai aussi retentissant que controversé, La Bombe P (The Population Bomb, 1968, traduit en France en 1972), le biologiste néomalthusien Paul R. Ehrlich évoque « l’excès de gens », voire le « cancer de la croissance de la population » responsable de la dévastation environnementale et la notion de bombe démographique. Bien entendu, il préconise la « régulation » de la population d’une planète tellement « infestée d’hommes »... .

Mais après tout, pourquoi s’obstiner à vivre plus longtemps et plus nombreux « que nécessaire » ?

Entré depuis dans sa quatre-vingt douzième année, l’universitaire Ehrlich a disposé du « temps nécessaire » pour aiguiser sa réflexion en sagesse aphoristique.

 

Dynamique et mécanique des populations

 

L’immortalité, qui semble non seulement enviable mais due à certains milliardaires libertariens, peut être vécue comme un enfer dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1667-1745) évoquant le peuple des Luggnaggiens : «  Le prix de l’immortalité est particulièrement élevé puisque celle-ci ne se traduit pas par une jeunesse éternelle : les immortels échappent certes à la mort mais pas au viellissement ».

Ainsi, le « privilège » de longevité devient un fardeau, avec son cortège d’infirmités à endurer indéfiniment – voire un enfer enduré en parodie d’immortalité...

Si le héros de Tous les hommes sont mortels (1946) de Simone de Beauvoir (1908-1986) ne vieillit pas, il doit faire face à la mort de ses proches et à l’asymétrie des relations amoureuses : comment vivre le vieillissement, la dégénérescence et le décès de ceux que l’on a aimé passionnément au temps de leur splendeur ? Que deviendraient de surcroît les relations entre les générations si le vieillissement des populations se poursuivait « indéfiniment » avec une « ingérable » proportion de personnes âgées, donc décrétées « improductives », de l’ordre d’un tiers de la population totale présumée être « une charge » ?

La renégociation du « contrat intergénérationnel » renvoie à la place du travail dans nos sociétés dites « postindustrielles » mais résolument technosolutionnistes.

Dans ses essais sur la dynamique des populations, le démographe Jean Bourgeois-Pichat (1912-1990) imaginait un scénario de « maîtrise de la sénescence » fondé sur une espérance de vie de 140 ans. Nos sociétés « surendettées » sont-elles en mesure d’y faire face alors que le système prudentiel des Etats-nations dépossédés fait eau de toutes parts ?

Depuis De rerum natura de Lucrèce, au Ier siècle avant notre ère, évoquant la peste à Athènes (de 430 à 426) la littérature s’est emparée de la thématique épidémique.

Daniel Defoe (1660-1731) dans son Journal de l’année de la peste (1722) se fait romancier-chroniqueur de l’épidémie de peste bubonique qui s’est développée à Londres au cours du printemps et de l’été 1665, au temps de son enfance. Depuis, l’individu « postmoderne » et ultraconnecté voire « posthumain » doit faire face à de tonitruantes annonces de menaces « pandemiques » ou de maladies « émergentes », selon des scénarios catastrophe médiatisés pour le moins « extrêmes » : finira-t-il par mourir de peur, serait-ce au cours d’une non-vie indéfiniment prolongée et confite en déni de réalité ?

Les observateurs avisés ne manquent pas de relever pour le moins une distorsion de la réalité à l’oeuvre depuis le début du XXIe siècle. Elle est perceptible tant dans l’effritement du sens commun et du socle vital de l’espèce, dans l’érosion des principes d’humanité la plus élémentaire que dans l’effondrement de la capacité de la société à maintenir un bien-être minimal des populations.

La littérature est d’autant plus légitime à nous interpeller sur la manière dont « cela va finir », avec ou sans notre « consentement éclairé », alors que les frontières se brouillent vertigineusement entre le vivant et la machine avec des « robots de plus en plus humanisés et des humains de plus en plus robotisés », toujours selon la doxa d’une mythologie de « civilisation » programmée comme une machine de guerre contre des populations désarrimées du réel – comme leurs monnaies...

Bien évidemment, ce « meilleur des mondes » robotisé « ne tolère pas la marginalité rebelle hors des réserves affectées aux non-conditionnés »... Quel « héros » de la « vraie vie » manifestera une capacité d’âme capable de déjouer le scénario du pire orchestré par les forces du chaos en faisant advenir du vrai, du beau, de l’utile et de l’indispensable, enfin ? La littérature n’a pas fini de lancer le chant des possibles contre le mur du goulag numérique (ou du parc d’attractions...) dont l’humain ne trouve plus la sortie, faute de seulement l’envisager, la désirer, la penser ou la vouloir pour de vrai...

Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser, La démographie de l’extrême – Quand la fiction anticipe l’avenir des sociétés, La Découverte, « Cahiers libres », 296 pages, 22 euros.


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2 réactions à cet article    


  • Ffgismo 9 novembre 11:32

    Il n’existe aucun problème démographique non résolvable pour une raison simple c’est l’éducation la clef de la réussite démographique.

    Aujourd’hui on utilise plutôt l’artifice de la terreur pour limiter les dépenses d’éducation…

    Des océans de béton et quelques oasis de verdure, sapiens hors de contrôle.

    J’ai besoin de 800ha pour m’ épanouir, des troupeaux de rats de laboratoire ont besoin de beaucoup moins… Certains vivent même dans moins de 20m2.


    • lephénix lephénix 9 novembre 13:50

      @Ffgismo
      tristement exact : une infime minorité vit largement aux dépens et au-dessus des moyens comme des capacités contributives d’une multitude d’oppressés hébétés, comptabilisés en fonction d’un principe « coût-bénéfice » et comptés pour rien... le « système éducatif » fabrique des crétins à la chaîne pour rendre irréversible ce rapport de force... une éducation à la vraie décroissance, à la sobriété et la frugalité consenties remplacera la « non-vérité fondamentale » qui a cours sur le marché des illusions, fraudes, farces et attrapes...une véritable éducation est la clé d’un monde meilleur ça commencera lorsqu’« on » ne cherchera plus à accroître son « argent » mais à le faire servir enfin et lorsqu’on cessera de vouloir extorquer des carottes archicuites à l’avenir pour planter les siennes...

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