Enseignants : la pénurie plus tôt que prévue ?
En Suède, un quart des enseignants du primaire et du secondaire abandonnerait le métier pour se consacrer à d’autres activités professionnelles, selon une étude récente menée par un Institut suédois de statistiques.
Majoritairement concernés : les hommes, découragés par les mauvaises conditions de travail, l’usure face au stress et l’insuffisance des salaires.
Mais, derrière les poncifs habituels que l’enquête réitère, il conviendrait d’y voir, plus concrètement, le désir de bon nombre d’enseignants à reprendre en main une carrière pour la développer soit en évoluant au sein du système éducatif vers des fonctions d’encadrement ou de direction dans le scolaire ou le périscolaire, soit en la quittant pour de bon.
En Suède, le problème est d’autant plus préoccupant que le nombre de professeurs nouvellement formés est en baisse constante et que la pénurie des vocations qui sévit depuis plus de dix ans vient en accentuer le phénomène, au point de compromettre l’équilibre du système à brève échéance.
En France, le feuilleton ne fait que commencer.
Si l’appel aux enseignants retraités, aux jeunes pensionnés, lancé récemment par recteur de l’académie de Créteil, Jean Michel Blanquer, a fait sourire ou fait blêmir (au SNES notamment), il serait judicieux pour une fois de s’élever au-dessus des sempiternels reproches faits au gouvernement sur sa méchante rigueur budgétaire, pour commencer à s’alerter de ce qui pourrait très vite apparaître comme une désertification progressive, voire massive du vivier d’enseignants.
Ce qui pour l’heure est présenté par le recteur de l’académie de Créteil comme un aléa conjoncturel pourrait bientôt devenir un problème structurel.
Il est facile de ne voir dans cette actualité qu’un effet des décisions gouvernementales d’amplifier le mouvement de non-renouvellement des départs en retraite - argument logiquement repris par les syndicats opposés à la suppression des postes d’enseignants à l’Education nationale - sans chercher à voir plus loin.
Il est tentant également de remettre le couvert sur la question des personnels détachés dans les associations et établissements publics, enseignants qui n’enseignent plus depuis bien longtemps, voire qui n’ont jamais été affectés à une quelconque tâche d’enseignement depuis leur entrée en fonction.
Par un effet de conjugaison malheureux, la suppression de postes d’enseignants et la réduction du nombre de places ouvertes aux concours pourraient bien vite se révéler un exercice périlleux et dangereux pour l’équilibre de notre propre système d’éducation.
Ainsi, dans les grandes agglomérations, les salaires d’enseignants débutants ne permettent plus aux jeunes ménages de se loger et de vivre décemment. Les sirènes de l’étranger ne laissent pas indifférents un certain nombre de jeunes diplômés qui vont tenter l’aventure au Pays-de-Galles, en Irlande ou plus loin encore.
Le prestige de la fonction et l’indice de satisfaction au travail chutant, la qualité des relations élèves/enseignants étant stigmatisée, il ressort que la démotivation et la tentation du départ restent palpables chez les enseignants et notamment chez les nouveaux venus. Témoin, la demande pour des bilans de compétences qui ne cesse d’augmenter.
On sait aussi que cette demande correspond bien souvent à l’expression d’un malaise, autant qu’à une aspiration à se repositionner dans la carrière.
Par ailleurs, selon les recherches de l’OCDE, le problème du vieillissement du corps enseignant allié à une moindre attractivité de la carrière devrait affecter la plupart des pays industrialisés. Les emplois mieux rémunérés dans d’autres secteurs constituent une concurrence apte à détourner de nombreux jeunes d’une vocation encore fragile.
La conjugaison de tous ces facteurs ne devrait pas être négligée. De ce point de vue, l’épisode du rectorat de Créteil, sacrifié pour l’heure sur l’autel des déballages médiatiques du Carla Show, sonne comme un avertisseur et pourrait connaître de nouveaux rebondissements.
Ce qui se passe en Suède devrait donc nous alerter, d’autant que ce qui est attendu par les experts européens pour réussir la stratégie de Lisbonne est une élévation de la qualité et de l’efficacité de l’enseignement.
Or, on sait ce qu’il advient des métiers présentés comme pénibles, déconsidérés et peu attractifs sur le plan de la rémunération.
La protection que constitue le statut de fonctionnaire pourrait ne plus jouer autant à l’avenir, pour les meilleurs potentiels notamment, qui pourront faire jouer la concurrence et la loi du marché, dès que cela sera visible et réalisable.
L’exemple des COPSY, personnels de l’orientation, premier bastion à faire directement les frais des restrictions budgétaires, devrait également nous alerter. Car leur extinction progressive, programmée peut-être, se conjugue avec le développement de la marchandisation du conseil en orientation, menace pointée par certains de leurs représentants sur le danger d’une orientation à deux vitesses.
Le risque d’une marchandisation de l’Education n’est donc pas non plus à écarter.
Ce que vivent les professions de santé et du social, avec une désaffection qui gagne malgré les garanties statutaires, l’enseignement pourrait lui aussi le vivre, plus tôt qu’il ne l’imagine, surtout si rien n’est fait pour contredire ce mauvais scénario.
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