Enseignement et syndicalisme : comment respecter la neutralité professionnelle ?
Bien que « l’obligation de réserve » ne possède en définitive aucun véritable fondement législatif, il est d’usage que les professeurs et instituteurs observent une certaine neutralité, notamment politique, dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit d’une sorte de déontologie implicite, mais forte, découlant de façon naturelle du principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi et des valeurs de laïcité. Je partage cet esprit de neutralité, j’estime que ce devoir de neutralité est bon. Pour autant, cela n’empêche ni d’avoir des opinions privées, ni d’écrire des livres ou des articles, ni de militer dans des syndicats ou autres organisations sur son temps libre.
En revanche, je fais grève lorsqu’il faut faire grève. Et je ne compte même plus les tonnes de tracts que j’ai distribués à mes collègues. Car je ne suis pas ce gauchiste barbu, immortalisé par les téléfilms démagos, qui disserte à longueur de journée sur l’émancipation du prolétariat (ou l’émancipation de de la jeunesse, c’est plus à la mode) en perdant de vue son programme. En revanche, j’enseigne la doctrine de Marx, conformément au programme officiel de philosophie (et encore faut-il préciser que le marxisme, auquel je suis attaché, ne tient malgré tout qu’une petite partie de mon programme) ; j’enseigne également Platon et Rousseau, penseurs assez étatiques, peu suspects de libéralisme.
J’évite, surtout, j’évite de diffuser les clichés à la mode, les phrases toutes faites, les préjugés gluants qui forment la culture de masse et dont la présence, martelé par l’appareil médiatique, est bel et bien totalitaire. Au fond, mon œuvre est négative, et, en ce sens, j’applique les idées de La Boétie : il n’est point même besoin de combattre le monstre, il faudrait simplement déjà éviter de le servir.
Haranguer les jeunes serait contraire à la déontologie de mon métier, qui enjoint à la neutralité politique, à une sorte d’obligation de réserve, du moins au sein de la classe (pas dans mes livres) : celle-là même que définissait Kant dans Was ist Aufklärung. Si je combats le monstre, éventuellement avec fracas, c’est comme délégué syndical, devant mes collègues, dans le cadre réglementaire de l’exercice de mes mandats, non devant mes élèves.
Dans ma classe, j’évite simplement d’en rajouter sur l’horreur ambiante. Je fais tout ce que je peux pour occulter des choses qui me paraissent politiquement répugnantes ; je freine et je rogne, je rabote, je coince ou je ralentis la course d’un rouage, je témoigne de la discrétion, de la pudeur et du silence, là où les enseignants collabos (collabobos ?) se targuent bruyamment d’agir et d’œuvrer. Il est des pans entiers de l’actualité sur lesquels je conserve un silence sidéral et sidérant. Il ne m’est point véritablement permis de critiquer ouvertement un ministre ou un président de la république ; il m’est loisible en revanche de ne pas transmettre certaines idées, de ne pas cautionner certaines pratiques, de ne pas remonter les ressorts malsains de certains réflexes idéologiques ; il serait illégitime que je m’exprime dans certains cas, il est par contre parfaitement légal que je me taise. En matière d’enseignement, le silence est d’or, plus que partout ailleurs. Parole de résistance devant les collègues, silence de vigilance devant mes élèves.
Une chose est certaine en tout cas : l’honnête homme se tait lorsque les autres parlent, et parle quand tout le monde se tait.
Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion, de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent.
Par ailleurs le devoir de réserve proprement dit (ne pas confondre avec la discrétion professionnelle visée dans l’article de loi cité précédemment) n’a qu’un fondement jurisprudentiel. Voir, par exemple, un site sur la question, ou un blog sur la même question.
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