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Accueil du site > Tribune Libre > Enseignement et syndicalisme : comment respecter la neutralité (...)

Enseignement et syndicalisme : comment respecter la neutralité professionnelle ?

Bien que « l’obligation de réserve » ne possède en définitive aucun véritable fondement législatif, il est d’usage que les professeurs et instituteurs observent une certaine neutralité, notamment politique, dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit d’une sorte de déontologie implicite, mais forte, découlant de façon naturelle du principe constitutionnel de l’égalité de tous devant la loi et des valeurs de laïcité. Je partage cet esprit de neutralité, j’estime que ce devoir de neutralité est bon. Pour autant, cela n’empêche ni d’avoir des opinions privées, ni d’écrire des livres ou des articles, ni de militer dans des syndicats ou autres organisations sur son temps libre.

J’ai beau être syndicaliste, je me suis toujours as­treint à un indéfectible devoir de neutra­lité politique, ce qui est d’ailleurs l’usage établi dans une administration comme l’Éducation nationale. Je m’astreins d’autant mieux à cette obligation déontologique de neutralité professionnelle que mes valeurs sont républicaines, que je ne suis ni un bobo ni un libéral ni un gauchiste. Je n’ai jamais trans­mis de tracts à aucun de mes élèves. Je n’ai jamais lancé d’appel à la grève en direction des jeunes. Je ne me suis ja­mais exprimé en détail sur aucun conflit social ; je refuse même toute discus­sion et tout débat à ce sujet dans ma salle de classe. Je ne fais de propagande pour aucun syndicat, pas même le mien, ni pour au­cune association, aucune reli­gion, aucun parti. Je n’enjoins personne parmi les jeunes à se syndi­quer. Je m’abstiens même le plus possible de ci­ter des noms d’hommes politiques vi­vants, surtout s’ils exercent le pouvoir au moment où je parle. C’est dire si je neutralise, si je dédramatise même !...

En revanche, je fais grève lorsqu’il faut faire grève. Et je ne compte même plus les tonnes de tracts que j’ai distribués à mes collègues. Car je ne suis pas ce gauchiste barbu, immortalisé par les téléfilms démagos, qui disserte à longueur de journée sur l’émancipation du prolétariat (ou l’émancipation de de la jeunesse, c’est plus à la mode) en perdant de vue son pro­gramme. En revanche, j’enseigne la doc­trine de Marx, conformément au pro­gramme officiel de philosophie (et en­core faut-il préciser que le marxisme, auquel je suis attaché, ne tient malgré tout qu’une petite partie de mon pro­gramme) ; j’enseigne également Platon et Rousseau, penseurs assez étatiques, peu suspects de li­béralisme.

J’évite, surtout, j’évite de dif­fuser les clichés à la mode, les phrases toutes faites, les préjugés gluants qui forment la culture de masse et dont la présence, martelé par l’appa­reil média­tique, est bel et bien totalitaire. Au fond, mon œuvre est négative, et, en ce sens, j’applique les idées de La Boétie : il n’est point même besoin de combattre le monstre, il faudrait simplement déjà éviter de le servir.

Haranguer les jeunes serait contraire à la déonto­logie de mon métier, qui enjoint à la neutralité politique, à une sorte d’obligation de réserve, du moins au sein de la classe (pas dans mes livres) : celle-là même que définissait Kant dans Was ist Aufklärung. Si je combats le monstre, éventuellement avec fracas, c’est comme délégué syndical, devant mes collègues, dans le cadre réglementaire de l’exercice de mes mandats, non devant mes élèves.

Dans ma classe, j’évite simplement d’en rajouter sur l’hor­reur ambiante. Je fais tout ce que je peux pour occulter des choses qui me paraissent politiquement répugnantes ; je freine et je rogne, je rabote, je coince ou je ralentis la course d’un rouage, je té­moigne de la discrétion, de la pudeur et du silence, là où les enseignants collabos (collabobos ?) se targuent bruyamment d’agir et d’œuvrer. Il est des pans entiers de l’actualité sur lesquels je conserve un silence sidéral et sidérant. Il ne m’est point véritablement permis de critiquer ouvertement un ministre ou un président de la république ; il m’est loisible en revanche de ne pas transmettre cer­taines idées, de ne pas cautionner certaines pratiques, de ne pas remonter les ressorts malsains de certains réflexes idéologiques ; il serait illégitime que je m’exprime dans cer­tains cas, il est par contre parfaitement légal que je me taise. En matière d’enseignement, le silence est d’or, plus que partout ailleurs. Parole de résistance devant les collègues, silence de vigilance devant mes élèves.

Une chose est certaine en tout cas : l’honnête homme se tait lorsque les autres parlent, et parle quand tout le monde se tait.
 
 
Rappel :
 
Article 26 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983
 
Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal.

Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion, de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent.

 

Par ailleurs le devoir de réserve proprement dit (ne pas confondre avec la discrétion professionnelle visée dans l’article de loi cité précédemment) n’a qu’un fondement jurisprudentiel. Voir, par exemple, un site sur la question, ou un blog sur la même question.


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17 réactions à cet article    


  • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 20 mai 2010 10:46

    Illustration de l’article : le philosophe de la III° République, Émile Chartier, dit Alain.

    Source : le site humanum.online.fr


    • finael finael 20 mai 2010 10:56

      Bonjour,

      Il fut un temps lointain ou je redoublai ma classe de 3ème au lycée, à l’époque où l’on apprenait cette année là en Histoire la Révolution Française.

      Mon premier professeur était gaulliste, le second communiste (je l’ai su plus tard), et j’ai eu l’impression de ne pas apprendre la même Histoire.

      Du coup cela m’a beaucoup intéressé et je me suis mis à dévorer tout ce que je trouvai à la bibliothèque de la ville sur le sujet. J’y rencontrai un jour mon second professeur d’histoire qui fut éberlué par mes lectures.

      Je lui expliquai alors mon problème et du coup il m’encouragea à rechercher par moi-même, me conseilla différents ouvrages, souvent quelque peu contradictoires.

      De là date ma passion pour l’Histoire.


      • LE CHAT LE CHAT 21 mai 2010 09:17

        @Finael

        c’était Momo ton prof ?  smiley

        Mon frangin avait un prof de français super bolchevique , il avait compris le truc , il suffisait d’insulter les agents de Washington , de faire payer les riches , en bref de reprendre les discours de Georges Marchais dans ses dissertations pour avoir au minimum 14 ou 15 !

         smiley


      • ZEN ZEN 20 mai 2010 11:18

        @ finael
        Je te comprends, ayant eu aussi des points de vue divers sur l’histoire, qui peut ouvrir à diverses interprétations, pourvu qu’elles soient honnêtes et argumentées
        De plus, si tu as suivi les cours de Vidal-Naquet, alors là...

        @L’auteur, bonjour
        Pas d’accord avec tout ce que vous dites
        "Je ne me suis ja­mais exprimé en détail sur aucun conflit social ; je refuse même toute discus­sion et tout débat à ce sujet dans ma salle de classe,« dites-vous

        En classe, il m’est arrivé de le faire à certaines occasions dans les grandes classes, par exemple lors de la loi Devaquet, qui concernait directement les élèves et dont ils voulaient comprendre les vrais enjeux
        Je conçois fort bien qu’un prof d’économie fasse une intervention sur les ravages de la finance prédatrice et donne son point de vue, loin des manuels et des discours convenus. Il s’agit ici d’une formation citoyenne
        Il est des neutralités et des silences parfois coupables

        Comme quoi » le devoir de réserve", dans l’EN ou ailleurs (l’armée, la gendarmerie, comme aujourd’hui) pose parfois problème...
        Cela mériterait un article entier
        Bien à vous


        • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 20 mai 2010 20:04

          @ ZEN

          Il est vrai que tout est dans l’expression « en détails » ; la neutralité à laquelle j’appelle ne peut, c’est vrai, être absolue ; quel enseignant n’a pas évoqué la crise grecque ces derniers temps par exemple ? En éco, en histoire non plus, on ne peut pas être complètement neutre. Mais, bon, j’évite de faire des cours sur l’actu et je préfère me retrancher derrière les connaissances vénérables du passé. Une sorte de « glissez mortels n’appuyez pas »

           smiley


        • ZEN ZEN 20 mai 2010 11:44

          Il semble que la notion de devoir de réserve au sens strict n’existe pas dans l’EN
          La neutralité, oui


          • yannix 20 mai 2010 17:08

            Si je comprends bien, notre camarade est syndiqué chez FO.

             Dans l’enseignement, pour ce que j’ai pu en voir de mon expérience personnelle , autant dire que les « vrais » syndicats qui se bougent, c’est ni FO (ça existe à l’éduc ?) ni surtout la FSU. Peut-être que le problème du « devoir de réserve » se pose chez ses syndiqués là lorsqu’il s’agit de participer à des collectifs comme RESF ? Est-ce que Lucie Aubrac se posait ces questions quand il a fallu se bouger à une autre époque ? Dommage qu’elle soit morte et ne puisse pas nous répondre ici, car ça vaudrait surement son pesant de cacahuètes.


            • morice morice 20 mai 2010 17:49

              FO a été créé par le Plan Marshall et en dollars, pour lutter contre la CGT : vous ignorez totalement l’histoire, Troll Yannix...


            • morice morice 20 mai 2010 17:50

              Est-ce que Lucie Aubrac se posait ces questions quand il a fallu se bouger à une autre époque ? Dommage qu’elle soit morte et ne puisse pas nous répondre ici, car ça vaudrait surement son pesant de cacahuètes.


              laissez-là en dehors de votre petitesse, yannick, svp...

            • yannix 20 mai 2010 17:27

              Oh mais attendez, j’avais pas vu « De l’abjection gauchiste à l’idée d’une coalition républicaine » du même auteur. Là c’est clair que FO à l’educ n’est qu’un ramassis de jaunes dont certains publient ici des tribunes anti-syndicales au profit de leur bannière tricolore.

              Bravo Agoravox. Après les articles antisémites, les tribunes anti-syndicalistes. Ne reste plus que les attaques contre les franc-maçons pourqu’on en conclue quelle est la ligne éditoriale de ce site.

              Yannix



              • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 20 mai 2010 19:35

                1) Je n’ai de leçon de syndicalisme à recevoir de personne

                2) J’ai participé à toutes les luttes sociales en France depuis que j’ai des mandats (vers 2000) avec le notamment le point fort des grandes grèves de 2003 sur les retraites (un mois de grève reconductible) ; il m’est souvent arrivé d’être le seul gréviste de mon établissement ; j’ai bénévolement traité une quantité considérable de dossiers de salariés de l’éducation nationale ayant des problèmes de conditions de travail et de salaire

                3) Je viens de signaler votre commentaire sur ma « jaunitude » comme difammatoire


              • yannix 20 mai 2010 19:05

                « Mes deux articles de fond sur le syndicalisme » :

                Le syndicalisme ne consiste pas à rester le cul sur votre chaise à réfléchir, tout prof de philo que vous soyez, sur le sexe des anges, surtout quand la maison prend feu.

                Racontez nous plutôt dans quelle genre de luttes syndicale vous vous êtes investi, qu’on en ai le cœur net.

                Yannix.


                • yannix 20 mai 2010 20:04

                  « 3) Je viens de signaler votre commentaire sur ma »jaunitude" comme difammatoire« 

                  Il faut croire qu’ici le »modérateur" a les ciseaux bien affutés puisque que ma réponse à Morice fut promptement effacée en moins d’une heure.

                  Yannix.

                   


                  • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 20 mai 2010 20:05

                    il est vrai...

                     smiley


                  • yannix 20 mai 2010 20:20

                    Et donc, vous êtes d’accord pour censurer mes quelques lignes d’Histoire syndicale qui rappelle que la CGT-FO ne fut qu’une création de la CIA via Irving Brown de l’AFL-CIO ?

                    Yannix.


                  • yannix 20 mai 2010 20:15

                    "2) J’ai participé à toutes les luttes sociales en France depuis que j’ai des mandats (vers 2000) avec le notamment le point fort des grandes grèves de 2003 sur les retraites (un mois de grève reconductible) ; il m’est souvent arrivé d’être le seul gréviste de mon établissement ; j’ai bénévolement traité une quantité considérable de dossiers de salariés de l’éducation nationale ayant des problèmes de conditions de travail et de salaire"

                    En résumé, vous ne faites que dans le corporatisme. Aucune action pour protéger vos élèves étrangers de l’expulsion dans un collectif RESF ou RUSF. Aucune idée de ce que votre métier de prof implique en retour par rapport à la société.

                    Heureusement que je connais des profs syndiqués dans d’autres syndicats que le votre parce qu’à vous entendre on pourrait effectivement s’interroger sur le syndicalisme...

                    Yannix.

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