Entre la pierre et le fusil !
Un conte coupant.
À quelques entablures* d'ici, un pays qui se prétend neutre, un bricoleur émérite a mis au point dans le plus grand secret l'arme la plus sophistiquée que l'humanité n'ait jamais conçue dans sa fièvre guerrière. Il y a fort longtemps de cela, sommé de choisir entre la croix et la bannière, un résident suisse fit un choix qui marqua son destin personnel, celui d'une profession qui attendait son heure et simplifia la vie de tous les bricoleurs du monde. Contrairement à la légende, ce n'est donc pas une cocotte, femelle d'un coucou, qui en fit la découverte.
La tradition de ce doux et bon pays est si ancrée dans les esprits que notre homme disposait comme représentation mentale unique et esthétique, le coffre-fort. C'est ainsi que l'inventif personnage décida, dans le plus grand secret de dissimuler aux regards affûtés des douaniers français, une multitude de petits outils dans un gros bloc parallélépipédique. Fin psychologue, il le fit de couleur rouge pour ne pas attirer l'attention de ces derniers.
Notre homme ignorait alors que son pays allait innover dans l'art complexe de la viticulture. Il n'était nullement abstème et aimait fort lever le verre de ce délicieux vin blanc de Chasselas. Il mit dans sa petite boîte, un tire-bouchon qui se désole maintenant de l'apparition des capsules à vis dans cette bonne confédération. Comme l'objet cherche à faire rentrer des devises dans une nation qui aime tout particulièrement cela, l'ustensile demeure.
Le créateur avait une hygiène bucco-dentaire assez douteuse ! Il est bon de rétablir l'exacte vérité lorsqu'on a vocation à faire œuvre d'historien. Le cure-dents fut le deuxième accessoire, complément indispensable du premier pour les amateurs de bains de bouche alcoolisés, accompagnés de cochonnailles, qui comme chacun sait (ou presque) collent aux dents.
Constatant qu'il cheminait vers la postérité à coup de mots composés, il se mit en quête d'un troisième élément, aussi improbable que les deux premiers dans le monde feutré de la tradition coutelière. Au risque de se faire moquer par ses amis de Thiers ou de Laguiole, lui qui n'était ni manche ni queux, il ajouta un ouvre-boîte.
On se gaussa mais il ne prit pas la mouche qu'il laissa à ses collègues Français de l'Aveyron. Il opta pour la croix blanche non pas par patriotisme déplacé mais parce qu'il était fort étourdi. Une croix à son couteau pour se rappeler sans cesse où il le rangeait, l'idée fit son chemin et s'avéra fort utile pour retrouver un objet qui aime à se cacher…
Après bien des réflexions, il se rendit compte avec effarement qu'il avait omis un élément indispensable à la chose coutelière. Son couteau quoique Suisse méritait bien quelques lames. Il les fit fines, tranchantes, effilées. Une lame pour chaque usage, un usage pour chaque lame. Il y a celle qui coupe le brouillard, une autre qui coupe court, une troisième pour les petites coupures (indispensable en Helvétie), et la quatrième destinée aux français qui n'aiment rien tant que couper les cheveux en quatre.
À l'évocation de ce dernier usage, l'homme qui avait la tête sur les épaules et encore un système pileux abondant adjoignit une paire de ciseaux à son outil qui prenait des allures de somme dans sa totalité. Il regarda son œuvre et en fut particulièrement content. Pas moins que son épouse, retoucheuse de profession qui se rendit compte immédiatement des perspectives nouvelles que ce nouveau couteau allait offrir.
Elle vit juste et les poches percées se multiplièrent à plaisir. De fil en aiguilles, le couple fit fortune et s'en alla dissimuler ses avoirs dans une banque du Liechtenstein. Nul n'est prophète en son pays et le coutelier était à couteau tiré avec le banquier de son village. Depuis lors, le couteau Suisse sillonne le Monde. S'il est gris dans l'armée Helvétique pour un louable souci de camouflage, il se pare de ce rouge vif qui fit sa gloire chez les civils moins belliqueux.
C'est la lame à l'œil que je suis contraint de vous annoncer la fin de sa gloire. Le délire sécuritaire qui touche nos sociétés urbaines et policées interdit désormais d'avoir un couteau dans la poche. La garde à vue menace le bricoleur ou le gourmand. Nous vivons une époque formidable et le délinquant que je suis, puisque j'ai toujours un couteau dans la poche, vous salue bien tant qu'il en a encore la possibilité.
À contre-emploi.
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