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Entre Médiocratie et Médiacratie

Alors que la totalité des pays européens réforment leurs institutions et se préparent à une adaptation aux nouvelles règles internationales, que les Etats-Unis manifestent leur retour, que la Chine conforte sa position mondiale, la France poursuit inexorablement son déclin. L’indécision et la fatalité de nos dirigeants sous une puissante tutelle médiatique, nous a conduit droit vers un univers dans lequel les plus médiocres règnent en maître. Nous pourrions facilement dire aujourd’hui que la course à la médiocrité est désormais érigée en cause nationale.

Jules Romains fin écrivain satirique aurait déclaré « Les esprits d’élite discutent des idées, les esprits moyens discutent des événements, les esprits médiocres discutent des personnes ». Bien entendu, si nous transposions cette citation dans notre actuel contexte, nous serions très tentés de reprendre cette proposition sous la forme suivante : « Les esprits d’élite discutent des personnes, les esprits moyens discutent des événements, les esprits médiocres discutent des idées ». Ainsi, ne serions-nous pas conduits vers un nouvel ordre dans lequel nous assisterions à l’omniprésence de la médiocrité à tous les niveaux ?

 

Une culture de production et d’échanges d’information stériles

Le politique à l’instar de l’homme d’entreprise est atteinte d’une maladie très en vogue : la « réunionite aigüe ». Généralement, ces diverses réunions ou conseils ont des ordres du jour étrangement liés à des thèmes racoleurs destinés à démontrer que le gouvernement ou les élus n’oublient pas leurs serviles électeurs. Toutefois, à l’issue de ces longues et fastidieuses réunions, les politiques prennent rarement de grandes décisions. Ils remuent, par exemple, quelques thèmes sociétaux, parlent aux noms de communautés qui n’ont jamais exprimé la moindre demande ou revendication et confient l’intégralité de leurs contenus aux médias chargés de traiter l’information ainsi recueillie et de restituer cette dernière auprès du « bon peuple ».

Ces « décideurs », (étrange mot dans une démocratie…) se croient intellectuellement infiniment supérieurs et détenteurs d’une vérité absolue qui ne peut connaître qu’un partage universel. En aucun cas une autre nation ne saurait contester que notre grand pays généreux lave plus blanc que blanc ! Cet esprit présomptueux hérité de la classe bourgeoise révolutionnaire bien pensante est toujours très ancrée dans notre société. Ainsi, les politiques contemporains toutes tendances confondues entre Montagne et Plaine, se congratulent-ils tous dans un discours très convenu qui les enferme de fait dans un hermétisme improductif.

Cet enfermement idéologique conduit inéluctablement à un appauvrissement des idées dans lequel l’esprit d’initiative est volontairement freiné. Le monde politique souffre d’une médiocrité absolue matérialisée par les gouvernements successifs qui depuis ces quarante dernières années n’ont véritablement opérés aucune réforme structurelle dont la France a pourtant tant besoin.

 

Quand les médiocres se prennent à parler d’intelligence collective

L’exemple qui suit illustre parfaitement la préférence de nos idéologues de voir l’individu fondu dans une collectivé de médiocre niveau plutôt que de voir émerger des intelligences individuelles brillantes et exemplaires.

Les récentes évolutions des technologies de communication nous offrent en effet des possibilités de partages inédits d’informations dans les organisations. Ainsi, pouvons-nous parler d’intelligence collective dans le sens de capacités cognitives d'une communauté résultant des interactions multiples entre ses membres. Le principe en est simple la connaissance des membres de la communauté est limitée à une perception partielle de l'environnement, ils n'ont donc pas conscience de la totalité des éléments qui influencent le groupe. La mutualisation de ces connaissances va ainsi permettre à l’ensemble de la communauté de mieux appréhender cet environnement et des agents au comportement très élémentaire pourront ainsi accomplir des tâches apparemment très complexes grâce à un mécanisme fondamental appelé synergie ou stigmergie (ensemble de réactions automatiques qu'exécutent des groupes d'insectes sociaux). Cette conception semble bien éloignée de la notion d’intelligence comme ensemble des facultés humaines de conception, de compréhension et d'adaptation. L’expression "intelligence collective" est apparue en 1997 lors d’un meeting du philosophe Pierre Levy. Il s’agissait de qualifier la mutualisation des connaissances grâce aux TIC. L’'intelligence collective s'observait principalement chez les insectes sociaux, et les animaux communautaires, notamment se déplaçant en formation ou, dans une moindre mesure, chassant en meute. Les points communs de ces diverses espèces sont exactement ceux qui caractérisent l'intelligence collective. On ne peut donc pas dire que l’intelligence collective s’exprimant grâce à un mécanisme de synergie ou stigmergie soit de l’intelligence humaine à l’état pur !

Mais nos idéologues collectivistes voient dans cette nouveauté une formidable opportunité d’affirmer que les technologies d’information et de communication qui interconnectent l’ensemble des individus et des communautés, associent et transcendent l’intelligence individuelle. Elles seraient sources d’intelligence collective à la fois sur le terrain intellectuel, culturel et démocratique. Il y a donc autour de la démarche d’intelligence collective l’idée de la mobilisation de la multitude des foules au détriment de l’intelligence individuelle. Il s’agirait donc de fondre l’excellence individuelle dans une médiocrité collective.

Dans cette perspective cent lobotomisés seraient donc plus efficients que le cerveau d’un génie ! Principe de majorité s’imposant c’est ainsi que les organisations se voient tirées par le bas par des groupes d’individus se sentant menacés par la moindre perspective de changement et par la remise en cause de leurs carences individuelles. Toute tentative résultant d’une idée novatrice susceptible par exemple d’aborder une manière inédite ou originale de penser et d’agir…fera systématiquement l’objet d’une contestation encline à conduire les individus à des réactions violentes d’autant plus dangereuses que ceux-ci constituent une communauté majoritaire. Alexis de Tocqueville, dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique »1[i] annonçant déjà de manière prophétique les dérives totalitaires du système démocratique fondé sur les principes égalitaristes expliquait très clairement l’aliénation de toute originalité et initiative individuelle : « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

Ainsi pouvons-nous constater que cette aliénation de toute originalité et initiative individuelle nous conduit, malgré des apparences contestataires, vers la voie du médiocre et de la soumission. Cette voie est devenue aujourd’hui un objectif collectif incontournable dans les organisations et la société en général. Notre récente histoire nous démontre hélas que les esprits brillants ont toujours été contrés par les pauvres d’esprits…

 

Du génie à l’argent

Jusqu’au XIX ème siècle, il n’y a pas eu un peuple où la civilisation n’ait été aussi complète que celle de la France. Même si d’autres nations nous ont devancés par un plus grand développement industriel, par une recherche scientifique... Néanmoins, il n’en est pas une qui ait su regrouper et accorder aussi bien que la France toutes les activités humaines. Il est incontestable que ce constat procède de l’essence même de notre société, qui a prouvé à diverses reprises sa capacité à rendre compatible des éléments dissemblables, et à unir et combiner les variétés d’esprit les plus divers. Cette vision de parfait équilibre reposait alors sur un triple but : la prospérité matérielle, le développement intellectuel et l’amélioration morale".

L’enseignement erroné sur la France de l’ancien régime qui est dispensé dans nos écoles et nos universités ne saurait gommer le rayonnement de notre pays. Le progrès social, ou politique, l’harmonie des modes de vie, le bon sens des lois, le prestige de ses écrivains et de ses artistes, ont permis à la France d’atteindre des sommets où aucune nation après elle ne devait parvenir.

François Mitterrand unanimement reconnu comme le dernier politique authentique digne de ce nom, a souvent dit qu’après lui il n’y aurait plus en politique que des agents comptables. Bien qu’ayant parfaitement raison dans sa logique mégalomane il s’était simplement trompé d’époque car il y avait bien longtemps que nos politiques s’étaient fourvoyés dans le champ matériel de la fiscalité. Il suffit de parcourir aujourd’hui un code fiscal pour se rendre compte à quel point nos législateurs aidés de brillants fiscalistes ont mis leur extraordinaire esprit inventif au service de la Nation. Comparons simplement le nombre de taxes et impots entre la France de l’ancien régime et ceux d’aujourd’hui. En 1788, les impôts royaux étaient au nombre de neuf : Les aides, La capitation, Le centième denier, La corvée royale, Le franc-fief, La gabelle, Le papier timbré, La taille, Le vingtième. Si nous y ajoutons les impôts seigneuriaux et ceux du clergé nous dénombrons un total de seize impôts. En 2008, le système fiscal français comportait 214 impôts et taxes différents pour un total de 792.5 milliards d'euros !

Peut-être y a-t-il méprise, les agents comptables ne sont-ils pas devenus nos nouveaux génies politiques ?

 

"Médiocrité, la moyenne à son plus bas niveau"

Déjà au VIII siècle avant notre ère Homère écrivait dans l’Iliade : "Dans l’union s’affirme la force d’hommes même très médiocres". Par union le grand poète grec entendait le regroupement d’hommes dans la chose politique et cette conception n’est que trop actuelle.

Bien entendu, les médiocres ne s’affichent jamais sous ce vocable. Ils avancent derrière un masque portant souvent les noms de compromis, modération, relativisme. Il n’est pas question de diaboliser ces mots car certaines situations dans lesquelles il semble bien difficile de s’accorder faute de l’émergence d’une providentielle solution, un compromis devient nécessaire. Toutefois, ces mots qui ne devraient pas être détournés de leurs destinations, sont traduits par nos politiques comme une fin en soi. Au nom du compromis, les projets de loi sont vidés de leurs substances. Au nom du compromis, la nécessaire distinction entre la vérité et l’erreur se voile et une voie médiane – médiocre – s’offre alors la seule voie d’avenir pour un pays ou pour une entreprise. Au nom du compromis, seule reste l’idée de compromission.

Il en est de même de la modération qui avant tout devrait être une vertu. Elle devrait pousser les individus à modérer leurs passions. Mais, les récentes et actuelles générations de Français ne semblent pas bien connaître leurs classiques, ils attribuent donc un autre sens à la modération. De la plus infime à la plus déterminante, la modération est devenue inspiration de chaque décision nous imposant, via les médias, le schéma de toute une vie gouvernée par la peur. Sur ces derniers points, politiques et médias forment un couple très uni. « La peur est le début de la sagesse » a-t-on pu entendre récemment sur nos ondes de la part d’un brillant journaliste…Ce qui en dit long sur l’état d’esprit de notre élite journalistique !

Le relativisme est devenu l’un des maîtres mots dans notre société. En effet, le relativisme qui dans son sens originel signifie qu’il n’y a pas de vérité absolue, s’est lui-même transformé peu à peu en une règle absolue ! Cette nouvelle règle absolue conduirait les individus qui posséderaient encore leurs convictions, leurs valeurs, leurs décisions et leurs aspirations à ne plus assumer ces dernières. C’est au nom du « respect de l’autre » qu’il nous faut pratiquer le relativisme et surtout ne pas déplaire.

Pourtant, ceux qui n’ont pas peur de déplaire, de déranger, de prendre position, de se mesurer à l’incompréhension, savent, assument, disent et agissent. Les grands hommes politiques et les journalistes dignent de ce nom avaient tous un point commun, ils n’avaient pas peur de l’incompréhension des médiocres.

 Objectivement et en dehors de toute position grotesquement politico-politicienne , la dernière élection présidentielle, plus qu’à toute autre époque, apparaît comme le triomphe de la médiocrité tant sur le plan propositions que sur la médiatisation de celle-ci. En 2012, un nouveau « génie politique » est né avec le nouveau concept de normalité reposant essentiellement sur le compromis. Mais dans notre monde qui change si radicalement et si rapidement et qui exige des prises de décisions rapides, quelle valeur accorder à la normalité ? La normalité c’est aussi la voie du relativisme qui ne peut que faire choisir la voie médiane, l’entre-deux que l’on appelle moyenne. Cette dernière élection présidentielle vient de nous démontrer que ce sont toutes ces qualités médiocres qui ont fait gagner les promoteurs de la voie moyenne… en France. 

Dans un pays qui a tant besoin de réformes structurelles pour survivre dans une compétition économique mondiale plus forte que jamais, est-il vraiment nécessaire de choisir des voies moyennes pour affronter quarante années d’immobilisme et de nombrilisme social ? Est-il utile de choisir la stratégie facile des thèmes sociétaux frivoles et éphémères au détriment des vraies questions de modernisation de notre société ?

Nous conclurons sur cette citation de Beaumarchais dans le mariage de Figaro : "Médiocre et rampant, et l'on arrive à tout."
 



1 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique Tome 2, Paris, GF, 1981 p. 386

 


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4 réactions à cet article    


  • lionel 4 février 2013 10:27

    Vous avez écrit un article pertinent. Il me semble que la souveraineté de la France implique un débat d’idée du plus grand intérêt, malheureusement, le débat au sujet de la sortie de l’UE, de l’euro et de l’Otan est occulté par la merdiacratie.


    Merci

    • Deneb Deneb 4 février 2013 11:15

      Mon logiciel de stylométrie Jstylo me dit que Démosthène = JL


    • Deneb Deneb 4 février 2013 11:03

      Est-ce vraiment nouveau, tout ça ? Que les élus du peuple soient juste des agents comptables, que la société démocratique, c’est le nivellement par le bas permettant à quelques oligarches de se maintenir au dessus de la mêlée ? Je pense que ça existe depuis toujours, mais que récemment l’internet l’a mise en évidence comme jamais auparavant. D’ailleurs, la lutte contre la transparence et la neutralité du Net devient une priorité du Pouvoir malmené par les hordes d’internautes irresponsables.


      • Aldous Aldous 4 février 2013 11:12

        "La vérité est une menace, et la science est un danger public. Nous sommes obligés de la tenir soigneusement enchainée et muselée. (...) Elle nous a donné l’équilibre le plus stable de l’histoire. Mais nous ne pouvons pas permettre à la science de défaire ce qu’elle a accompli. Voila pourquoi nous limitons avec tant de soins le champ de ses recherches. Nous ne lui permettons de s’occuper que des problèmes les plus immédiats du moment. Toutes les autres recherches sont soigneusement découragées."

         

        Aldous Huxley, « Le meilleur des mondes »

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