Entretien avec François Delpla
J’ai publié une chronique littéraire intitulée Rudolf Hess par Pierre Servent en novembre 2019. Après l’avoir lue, François Delpla, historien, normalien et agrégé d'histoire, m’a contacté en avril 2020. Il désirait en savoir plus sur mon appréciation des idées développées par Pierre Servent dans son ouvrage (1). Il m’a donc proposé un entretien écrit que j’ai volontiers accepté.
François Delpla : Quelle est votre vision du nazisme ?
Je produirai une réponse articulée autour de trois points.
Tout d’abord, en tant que catholique romain, je n’adhère pas au nazisme d’un point de vue intellectuel ou doctrinal. Cette idéologie a clairement été condamnée par l’Eglise (2). Personne ne peut nier que le régime national-socialiste persécuta les clercs et les laïcs catholiques. Nombreux sont mes coreligionnaires à avoir refusé d’apporter leur soutien ou leur caution au Troisième Reich. Ils entrèrent en résistance passive ou active. Certains le payèrent au prix fort comme Maximilien Kolbe - pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres. Ce frère franciscain polonais déporté à Auschwitz a librement décidé de prendre la place dans le bunker de la faim d'un père de famille condamné à mort. Je peux dire que ce saint homme - canonisé en 1982 - s’est véritablement offert en sacrifice à la haine des ennemis de la foi.
Dans cette optique, je convoque également monseigneur Clemens August von Galen, surnommé le Lion de Munster. Il fut l’âme de l'opposition catholique aux euthanasies commises par le régime hitlérien. Il dénonça aussi vigoureusement les abus de la Gestapo ainsi que la persécution de l’Eglise. Je le cite, car je crois juste et nécessaire de rappeler des vérités méconnues ou malheureusement oubliées : « C'est une doctrine effrayante que celle qui cherche à justifier le meurtre d'innocents, qui autorise l'extermination de ceux qui ne sont plus capables de travailler, les infirmes, de ceux qui ont sombré dans la sénilité […] N'a-t-on le droit de vivre qu'aussi longtemps que nous sommes productifs ? » (3).
Je mentionne très rapidement et sans m’étendre les racines occultes et ésotériques des nationaux-socialistes. Elles entrent fondamentalement en contradiction avec ce que je sais juste, vrai et bien, qui se confond avec ce qu’enseigne depuis toujours l’Eglise catholique romaine.
Ensuite, comme philosophe, je ne pense pas que la déification de l’Etat et de l’Homme puisse apporter véritablement la sagesse et l’harmonie à une société humaine quelle qu’elle soit. Je pense que l’embrigadement de la jeunesse par l’école, les associations culturelles et sportives, ou celui de la société par l’armée, les syndicats et le Parti unique n’incarnent pas des idéaux louables et sains. Effectivement, je défends les libertés, et plus particulièrement la liberté scolaire, d’entreprendre, et de penser. J’estime que la responsabilité des parents dans l’instruction et l’éducation de leurs enfants ne doit pas être réduite et moins encore annihilée par le contrôle étatique.
En outre, l’étatisme économique de gauche, qu’il soit jacobin, marxiste ou national-socialiste, ne me semble pas être un facteur positif pour la bonne marche d’une société. Je préfère la libre entreprise et la défense des libertés économiques plutôt que la planification et les nationalisations à outrance. Cette promotion des libertés n’entre pas en contradiction, bien au contraire, avec la défense des salariés ou des plus faibles via des corporations et des corps intermédiaires. De même, toujours dans cette authentique quête de vérité qui m’anime, je constate que la mythologie germanique fantasmée conduit inévitablement à des erreurs historiques majeures : les théoriciens nationaux-socialistes déclaraient que la puissance des civilisations grecque et romaine reposait sur le germanisme…
Enfin, comme historien, il est impératif de prendre en considération le contexte pour bien juger les fondements du nationalisme-socialisme, son émergence, ses réussites et son échec final. Il ne faut jamais oublier que les militaires allemands ne comprirent ni n’acceptèrent la paix de 1918. Ils voulaient continuer le combat. Ils estimaient - à tort ou à raison - que la victoire était possible. Cette paix signée par leur gouvernement représenta à leurs yeux un coup de poignard dans le dos. Elle alimenta leur tenace rancœur contre des politiciens jugés corrompus et traîtres à la patrie.
Une fois revenus en Allemagne, ces militaires souffrirent l’opprobre d’une bonne partie de la population voire de leur famille même. La société les accusait d’être responsables de la défaite. Il convient également de ne pas occulter le Traité de Versailles. Ce dernier représentait une insulte à la paix et au futur, comme cela avait été démontré par les analyses brillantes de Keynes (4) et de Bainville (5).
Concrètement, l’Allemagne perdait la guerre, mais elle subissait une humiliation au niveau des relations internationales. Nous pouvons parler de « paix carthaginoise », tant les conclusions du Traité se montraient extrêmement rigoureuses et injustes pour les vaincus. Les sommes demandées atteignaient des montants bien trop élevés. Il paraissait évident que l’Allemagne ne pourrait pas tout payer, sans parler du risque de ressentiment à l’encontre des vainqueurs qui finirait par émerger, tôt ou tard, sur le plan politique. Ce fut une vendetta dans les règles de l’art plus qu’un réel traité de paix. Nous pouvons même parler de traité de soumission. L’article 231 considérait l’Allemagne comme seule responsable de la guerre. Dans l’esprit des vainqueurs, il ne s’agissait pas de réparer des injustices, mais de littéralement écraser l’adversaire de la veille.
En plus de cela, la République de Weimar se montra totalement incompétente pour gérer un pays au bord de la crise de nerfs, avec une situation économique catastrophique, due entre autres à une inflation démesurée et à de multiples réquisitions. La révolution communiste en Russie gagnait des partisans en Allemagne, ce qui amena une forte déstabilisation dans les usines et les ateliers. Cette montée en puissance du communisme allemand provoqua des grèves bloquant un pays qui n’en demandait pas tant, générant des émeutes et des conflits contre les Corps Francs. Ces derniers aussi n’étaient pas avares de provocation et de violence, à la différence près qu’ils se réclamaient de l’Allemagne et de l’ordre.
Crise économique, crise sociale, crise politique, diktat de Versailles, pays au bord du gouffre avec certaines zones livrées à l’anarchie où le bon droit avait disparu, défiance envers la classe politique, voilà la véritable situation de l’Allemagne dans les années 20. Les Allemands ressentaient le besoin de retrouver leur fierté. Ils voulaient vivre dans un pays prospère non soumis à l’anarchie et aux volontés de leurs anciens adversaires.
Réduire le national-socialisme à un mouvement militaire, raciste, anti-juif, ou à de grosses brutes épaisses faisant le coup de poing dans la rue, revient à faire l’impasse sur une réalité historique bien plus riche, et bien plus intrigante car en même temps d’une rare complexité. Commettre ce genre d’erreur d’analyse reviendrait à oublier, entre autres, le rôle trouble de la finance internationale et de certains groupes de pression.
Le national-socialisme a réussi à redresser l’Allemagne par la mise en place d’un très fort interventionnisme d’Etat, une politique de grands travaux, le développement du secteur industriel militaire ainsi que par la remilitarisation du pays. La guerre affaiblira l’Allemagne en la privant de matières premières. La défaite finale provoqua sa destruction, sa division pour plusieurs décennies, l’occupation du pays par des forces étrangères et la conduisit à une situation économique extrêmement préoccupante.
FD : Trouvez-vous concevable que le disciple le plus soumis d'un dictateur soit précisément celui qui commettra la plus grande désobéissance, au cours d’une action d'envergure qui avait demandé des mois de préparation ?
Pour commencer, je ne sais pas si Hess doit être désigné comme le disciple le plus soumis à Adolf Hitler. Je pense qu’en Allemagne, beaucoup d’Allemands étaient prêts à mourir pour lui. Ce fut d’ailleurs ce qui se passa aux quatre coins de l’Europe, en URSS, et en Afrique du Nord. Hess faisait incontestablement partie des Allemands les plus convaincus par le projet hitlérien. Il était probablement un loyal et fidèle ami d’Hitler. Contrairement aux autres barons du Troisième Reich, Hess servait plus le régime qu’il ne se servait de lui pour des intérêts personnels. Cela ne fait aucun doute à mes yeux !
Rappelons que Hess et Hitler vécurent chacun dans leurs unités respectives la Première Guerre mondiale, l’horreur des combats et l’humiliation de la défaite. En outre, les deux hommes connurent ensemble la prison de Landsberg. Des souvenirs communs, des expériences passées similaires, des idées identiques pour l’Allemagne ne pouvaient que rapprocher ces deux hommes désirant une revanche sur la société.
Ceci étant dit et précisé, je ne suis nullement étonné des aventures parfois si singulières que nous offre l’Histoire. Celle-ci délivre chaque jour son lot de surprises, de bravoure, d’héroïsme, de lâcheté et de trahison. La chose surprenante reste que des historiens puissent être surpris par les vicissitudes de l’Histoire. A 12 ans, ayant lu une biographie consacrée à Napoléon (6), j’avais déjà compris que le plus surprenant dans l’Histoire serait qu’elle ne fut plus surprenante.
L’Histoire, de l’Antiquité à nos jours, nous montre des trahisons improbables, des retournements de situation que beaucoup croyaient impossible, des actes irréfléchis marqués par le succès, des entreprises préparées minutieusement connaître les plus gros échecs. Je ne suis pas le premier à l’écrire et à le constater, mais l’Histoire est le théâtre de l’imprévu.
Quand les Etats Généraux débutèrent en France le 5 mai 1789, personne ne pouvait penser, prévoir, envisager que le 21 janvier 1793 le roi subirait la décapitation. Le 8 novembre 1989, ils n’étaient pas rares ceux qui chantaient que le communisme durerait encore plusieurs décennies, voire des centaines d’années. La Chute du Mur de Berlin a clos définitivement leurs espoirs chimériques. Plus près de nous, qui pouvait croire en 2016 qu’un inconnu, ancien associé-gérant de la Banque Rothschild & Cie, deviendrait président de la République un an plus tard, après une propagande médiatique savamment orchestrée dont on ne trouve d’exemple que dans les régimes totalitaires ? Personne ou presque. Il y a encore trois mois, qui aurait prédit que trois milliards d’individus subiraient une assignation à résidence ? Et pourtant, nous avons connu Le Grand Confinement.
Quant à Hess, je ne dis pas que ce fut un traître au régime national-socialiste. Ce n’est pas mon propos. En revanche, j’estime qu’un disciple dévoué, fidèle parmi les fidèles, peut agir en dépit d’une certaine logique, s’il considère que le maître ou le chef ne lui accorde plus faveurs et prébendes. Le sentiment d’abandon et le manque de reconnaissance voire même la jalousie peuvent pousser les gens à commettre presque tout et n’importe quoi, dont l’irréparable : Caïn a tué Abel, Alcibiade a porté les armes contre Athènes, Judas a livré Jésus, Condé a fait la guerre à Louis XIV, etc.
FD : Quels arguments de Pierre Servent vous ont convaincu :
a) que Hess avait voulu agir ainsi ?
b) qu'il y avait réussi sans se faire repérer : le dictateur n'avait-il ni yeux ni oreilles ?
Je ne sais pas où vous avez compris que j’avais été convaincu par les démonstrations et les explications de Pierre Servent. J’ai simplement rédigé une chronique factuelle consacrée à un ouvrage intéressant. Comme à l’accoutumée, j’ai exprimé les points saillants du livre pour le présenter objectivement. Je lis énormément de livres, je rédige un certain nombre de chroniques littéraires, et je ne partage pas toujours les avis exprimés par les auteurs. Pourtant, cela ne m’empêche pas de rédiger des articles honnêtes afin que chacun puisse savoir ce qu’il trouvera en achetant le livre en question.
Pour être très schématique, Servent estime qu’à l’époque de la guerre et surtout à la veille de Barbarossa (22 juin 1941) (7), Hess pensait ne plus faire partie du premier cercle d’intimes d’Adolf Hitler. Ce dernier aurait de plus en plus visiblement accordé sa confiance à Göring, Goebbels, ou Himmler devant l’imminence du conflit, au détriment de Hess. Pourtant, ce dernier avait été confirmé comme numéro trois dans l’organigramme du Troisième Reich en 1941, derrière Göring. Au sein même du régime et dans l’opinion publique beaucoup le considéraient toujours comme le dauphin naturel du Führer. Hess demeurait très fidèle tout en étant l’un de ses plus anciens compagnons de route. Néanmoins, Hess supputait que sa position récemment réaffirmée relevait en réalité plus du hochet - au regard des services rendus et en souvenir du passé - que d’un rôle à proprement parler politique. Il avait connaissance du projet hitlérien d’envahir l’URSS. Il défendait l’idée - partagée par des miliaires dont plusieurs généraux - que cette campagne présentait de nombreux risques pour l’Allemagne nationale-socialiste. La suite leur donna plus que raison.
Les considérations politiques (perte d’influence auprès du chef), militaires (campagne très risquée à l’Est), mêlées à des sentiments personnels (ne plus être un intime d’Hitler ou son favori) ont provoqué, selon Servent, ce plan désespéré visant, en fin de compte, un triple objectif : gagner la paix pour regagner la faveur perdue du maître et être le nouveau héros de son pays.
D’une manière générale, il ne faut pas aller trop vite en suppositions pour tirer des conclusions. Je m’explique en prenant un exemple historique très célèbre. Jules César a été assassiné (8). On lui avait dit qu’il serait assassiné, il a été averti par des devins, l'aruspice Spurinna lors d'un sacrifice, lui demanda de se méfier des Ides, le matin du 15, sa femme Calpurnia a rêvé de sa mort et lui a fortement conseillé de ne pas se rendre au Sénat. Il s’y est quand même rendu. Peu avant d'entrer au Sénat, l'un de ses espions, Artémidore, lui a tendu une supplique donnant tous les noms des conspirateurs et des conjurés. César l’a prise sans la lire. Il apostropha alors Spurinna :
« Les ides de mars sont arrivées, déclare-t-il.
— Oui, mais elles ne sont pas encore passées, répond le devin »
La suite est connue : Jules César reçut 23 coups de couteau.
Dans un système politique centralisé, avec une police politique, une police du parti, une coercition très forte, il semble évident qu’Adolf Hitler pouvait être au courant de beaucoup de choses. Croire qu’il devait tout savoir est une étroite vue de l’esprit. Adhérer à ce principe revient à méconnaitre l’Histoire et les Hommes. Si vous partez du postulat qu’un dictateur sait tout avant tout le monde, pour quelles raisons a-t-il échappé de justesse à des complots ? Selon votre raisonnement, Hitler aurait dû démasquer ses ennemis de l’intérieur avant même qu’ils ne puissent agir. Par conséquent, il n’aurait jamais dû échapper - miraculeusement il faut bien le reconnaître - à plusieurs attentats dont celui du 20 juillet 1944.
En effet, il les aurait tous déjoués avant leurs mises en place, vu qu’il était censé avoir « des yeux et des oreilles » pour reprendre votre expression. Il y a donc une erreur d’analyse fondamentale à penser qu’un dictateur sait tout et contrôle tout. Même aujourd’hui, à l’heure de la surveillance de masse et des nouvelles technologies, il est impossible pour un gouvernement de tout maîtriser à l’avance. Les exemples des Gilets Jaunes ou des Manifestations de Hong-Kong nous le rappellent (9).
Ceci étant dit, supposons un instant qu’Hitler ne commanditait pas ce projet de paix par l’envoi d’un émissaire secret, et qu’en raison des éléments présentés plus haut, Hitler aurait grâce à ses espions eu vent de cette volonté de Hess. Dans ce cas précis, nous nous retrouvons face à deux scenarii extrêmement plausibles :
- Premièrement, Hitler pense légitimement que Hess ne passerait jamais à l’acte, au regard de leur amitié ancienne et de la soumission supposée ou avérée de son bras droit. Il n’envisageait donc pas que l’un de ses proches pourrait agir dans son dos et sans son assentiment. Cela aurait été la totale surprise d’apprendre par la presse britannique et les chancelleries que son dauphin se trouvât au nord du Royaume-Uni.
- Secondement, Hitler laisse Hess mener son action jusqu’à son terme en se disant : s’il échoue, je ne serai pas responsable et je ne perdrai qu’un homme ; s’il réussit, je retirerai les marrons du feu en vertu de l’opportunisme de la situation et de la realpolitik.
Finalement, tout le monde sait que la mission a échoué. Le gouvernement allemand a communiqué en disant que Hess souffrait de troubles mentaux et qu’il avait agi de sa seule initiative. Fin de l’histoire…
D’une manière générale, chacun sera libre d’être étonné ou non par l’envoi d’un émissaire de paix en Angleterre - dans des conditions si particulières - à quelques semaines de la plus grande opération militaire de tous les temps (10). Celle-ci exigeait de la part des plus hautes autorités du Reich un effort et une concentration de tous les instants. Un émissaire voyageant seul dans un avion, ne disposant pas d’une accréditation officielle de son gouvernement n’avait aucune chance d’être pris au sérieux par les autorités anglaises. C’est exactement ce qui se passa.
Agir ainsi, dans le secret le plus complet, pouvait apparaître comme une faiblesse pour le gouvernement national-socialiste aux yeux de leurs adversaires et cela se comprend. Agir au grand jour aurait pu être également interprété par les Alliés comme un aveu de faiblesse, surtout au moment même où les nationaux-socialistes préparent activement le lancement d’une offensive gigantesque à l’Est.
Après, je sais que beaucoup parlent de la duplicité d’Hitler et de sa capacité à être un excellent comédien, mais cela ne change pas grand-chose finalement. Certains partiront du principe que si Hitler avait vraiment voulu la paix, il aurait été simple d’arrêter les attaques et de formuler des offres de paix en bonnes et dues formes. C’était oublier que Staline passerait à l’offensive, tôt ou tard, contre le Reich, malgré le pacte germano-soviétique.
Ce projet, mené par Hess tout seul ou piloté en sous-main par Hitler, était vraiment très mal ficelé, que ce soit en terme de fond ou de forme. Comment le ou les commanditaires de cette action ont pu penser une seconde que cette tentative serait couronnée par le succès ? De plus, Hess, une fois en Angleterre, avait demandé à rencontrer le duc d’Hamilton. Il disait le connaître depuis une visite officielle du prince de Galles en Allemagne antérieure à la guerre. C’était quand même très tiré par les cheveux d’espérer gagner la paix de cette manière. Encore fallait-il que le duc ait l’oreille de Churchill, ce qui ne semblait pas forcément le cas.
Cette tentative de paix, qu’elle émane de Hess seul ou d’Hitler lui-même ne pouvait qu’échouer au vu des éléments objectifs dont nous disposons à ce jour. Précisons aussi, même si cela paraît parfaitement logique, qu’être au courant d’un projet ne signifie pas l’approuver au y apporter son concours.
FD : Trouvez-vous recevables les accusations de complotisme portées contre ceux qui pensent que Hitler était au courant ? Il y a nécessairement dans cette histoire un complot, et plus encore si le chef de l'Etat n'est pas au courant, non ?
Votre première question appelle trois remarques.
La première est la suivante : les complots existent et ont toujours existé. Je sais que certains publient des théories du complot complètement délirantes comme le récentisme, la terre plate ou les reptiliens. Cependant, ce n’est pas pour cette raison que des complots ne se fomentent pas car des ignares racontent des stupidités.
Nous pouvons lire le Littré : « Résolution concertée secrètement et pour un but le plus souvent coupable. Former, tramer un complot ». Quant au Larousse, il propose : « Résolution concertée de commettre un attentat et matérialisée par un ou plusieurs actes. Par extension, projet plus ou moins répréhensible d'une action menée en commun et secrètement ».
Si nous nous en tenons à ces deux définitions acceptables par tous, nous pouvons écrire que « des actions concertées en secret » existent aujourd’hui dans la politique, le sport, en entreprise, et même de tous temps. Dire cela ne fait pas de soi un affreux militant anarchiste ou d’extrême gauche. Il s’agit d’un constat vérifiable par tout un chacun.
Ma deuxième remarque vise à écrire que le terme complot souffre aujourd’hui d’une connotation très négative. Son utilisation vise à détruire, par le recours d’un mot-valise piégé, tous ceux qui recherchent des réponses loin ou au-delà de l’Histoire officielle et des explications fournies par les grands médias. Quand un adversaire ne veut pas discuter avec vous sur la base d’arguments factuels ou circonstanciés, il vous renvoie à la figure les termes « nazi », « complotiste » ou « théorie du complot » (11). Cela permet de jeter l’opprobre sur son adversaire, sans prendre la peine de réfuter sereinement et de manière calme les arguments présentés. Très souvent, les mêmes qui sur les plateaux de télévision ou dans les grands médias parlent de « complotisme » défendent les lois iniques qui répriment la liberté de penser, d’expression et de recherches (12).
Ma troisième observation exprimera nettement l’idée que je préfère un débat argumenté à des échanges reposant sur la violence verbale, les calomnies et les mensonges. Les fatwas, les arguments d’autorité, les injures et les calomnies sont généralement les armes de ceux qui manquent… d’arguments. Je sais que ces accusations de « complotisme » ne sont jamais recevables dans le cadre d’une disputatio.
Toutefois, quand on soutient une thèse, une idée, encore faut-il la présenter comme il se doit : avec des documents, des écrits et des arguments. Aujourd’hui, trop souvent, je remarque des gens qui défendent tout et n’importe quoi, y compris en histoire, sans prendre la peine de présenter une pensée cohérente ou en écartant volontairement toute démarche scientifique et historique. C’est inadmissible ! Dans ce cas de figure, je conseille de ne pas leur accorder trop de temps, car le temps est précieux et malheureusement non extensible. Napoléon aimait à répéter : « Le temps perdu ne se rattrape jamais ».
Pour répondre à la deuxième question, aujourd’hui personne n’ignore que dans l’appareil d’Etat, le Parti et dans la Wehrmacht, nombreuses étaient les voix à s’élever contre les orientations prises par Hitler, et encore plus après le déclenchement de la guerre, notamment dans le cadre de la conduite des armées à l’Est. Plusieurs généraux ont exprimé des réserves et mêmes des critiques sévères au sujet des choix stratégiques et tactiques pris par Hitler : Wilhelm Keitel, Erich von Manstein, Wilhelm List, Erwin Rommel, Friedrich Paulus ne se privèrent pas pour exprimer des désaccords, des protestations et bien plus…
En définitive, si Hess a agi tout seul, le complot au sens de concertation privée en vue de mener une action au grand jour a été plus que limité. Si Hess fut aidé dans son entreprise par d’autres caciques du régime national-socialiste, civils ou militaires, voire Hitler lui-même, il faut le prouver avec des documents certifiés et des preuves incontestables…
Propos recueillis le 12 mai 2020
(1) Rudolf Hess : La dernière énigme du IIIe Reich de Pierre Servent
(2) Mit brennender Sorge encyclique du Pape Pie XI publiée le 10 mars 1937
(3) Sermon du 3 août 1941
(4) Les Conséquences économiques de la paix de John Maynard Keynes, 1919
(5) Les Conséquences politiques de la paix de Jacques Bainville, 1920
(6) Napoléon ou le mythe du sauveur de Jean Tulard, 1978
(7) Barbarossa par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, chronique littéraire de l’auteur publiée en novembre 2019
(8) Jules César de Robert Etienne, 1997 et Vie des douze Césars de Suétone, IIème siècle
(9) Gilets Jaunes, les raisons d'un échec dévoilées de Franck Abed, août 2019
(10) Barbarossa : 1941. La guerre absolue de Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, 2019
(11) La loi de Godwin est une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d'abord relative au réseau Usenet, puis étendue à l'Internet : « Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un ». Cette régle vaut également dans le cadre d’une discussion en réel.
(12) Loi Pleven de 1972 ; Loi Gayssot de 1990 ; Loi Taubira de 2001 ; Loi Alliot-Marie de 2005
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