Erdogan : « Des minorités ont été nettoyées ethniquement »
Le Premier ministre Erdogan admet enfin que la Turquie a pratiqué le nettoyage ethnique
De Harut Sassounian
Édité par The California Courier
Éditorial de Sassounian du 28 mai 2009
Dans une déclaration audacieuse, le Premier ministre Rejeb Erdogan a admis pour la première fois que l’expulsion de Turquie de dizaine de milliers de Grecs au siècle dernier était un acte "fasciste", a rapporté l’agence Reuters.
Certains commentateurs pensent que la déclaration d’Erdogan faisait référence à l’expulsion d’un million et demi de Grecs, de la Turquie vers la Grèce en 1923. L’échange à très grande échelle qui a eu lieu entre les deux pays incluait également le transfert de plus de 500 000 Turcs de Grèce vers la Turquie.
D’autres observateurs quant à eux pensent qu’Erdogan faisait référence au pillage de milliers de maisons et de magasins grecs par la populace turque à Istanbul les 6 et 7 septembre 1955, suite à la fausse rumeur répandue faisant état de la destruction, par le feu, de la maison d’Atatürk à Thessalonique, en Grèce.
Au-delà de l’expulsion des Grecs, Erdogan a fait une référence indirecte au destin tragique des autres groupes ethniques, tels que les Arméniens, en Turquie. "Pendant des années, ceux qui avaient des identités différentes ont été chassés de notre pays. Cela n’a pas été fait avec bon sens. Cela a été fait selon une approche fasciste", a déclaré Erdogan le 23 mai, lors du congrès annuel du Parti pour la Justice et le Développement, qui s’est tenu dans la province occidentale de Düzce.
"Pendant des années", a continué Erdogan, "divers faits se sont produits dans ce pays, au détriment des minorités ethniques qui y vivaient. Elles ont été nettoyées ethniquement, parce qu’elles possédaient une identité culturelle ethnique différente. Le temps est venu pour nous de réfléchir sur la cause de ce fait et sur les leçons que nous pouvons tirer de tout ceci. Il n’y a pas eu d’analyse de ces faits, jusqu’à ce jour. En réalité, ce comportement est le résultat d’une conception fasciste. Nous avons également fait cette grave erreur."
Les propos très francs du Premier ministre turc ont été durement critiqués par les partis de l’opposition. Onur Oymen, vice-président du principal parti de l’opposition, le Parti Républicain du Peuple (CHP), a dit qu’associer l’histoire de la Turquie à des termes comme fasciste, sur la base de on-dit, n’était pas correct. Il a également déclaré qu’aucun citoyen turc n’avait été expulsé en raison de son appartenance à un groupe ethnique. Oktay Vural, du parti de l’opposition MHP, a ajouté : "Les paroles d’Erdogan insultent la nation turque."
Par opposition, les commentateurs libéraux turcs ont loué Erdogan pour ses paroles conciliantes : "Pour la première fois, un premier ministre turc veut bien admettre que de erreurs ont été faites dans le traitement des minorités religieuses. C’est historique", écrit le journaliste Sami Kohen dans Milliyet. "Mais il reste à voir si cette rhétorique sera suivie d’actes Hürriyet Daily News ajoute : le discours d’Erdogan était un discours historique ; c’était la première fois qu’un haut responsable admettait qu’il y avait eu des pratiques illégales et non démocratiques dans le passé à l’encontre des minorités. Ce sentiment a été repris par le Prof. Halil Berktay dans le journal Vatan : "Cette déclaration est la chose la plus encourageante qu’Erdogan a jamais dit." Baskin Oran, un autre chercheur connu pour ses opinions libérales, a déclaré au journal Star qu’il était "fier d’un Premier ministre qui dénonçait le nettoyage ethnique et religieux."
Le directeur de CNN-Turk News, Ridvan Akar, était, lui, plus sceptique quant aux véritables intentions d’Erdogan. Il a écrit dans Vatan : "Les droits des minorités ainsi que ceux des fondations religieuses sont un problème structurel à l’intérieur de l’État turc. Bien sûr, Erdogan a fait un pas en avant avec cette déclaration. Mais la sincérité de ses paroles dépendra des actes qui s’ensuivront, tels que la restitution des droits de ceux qui ont été expulsés, le retour des bien confisqués, ou des compensations."
La déclaration du Premier ministre est encourageante si elle indique que les responsables turcs ont enfin décidé de se confronter aux horribles chapitres de l’histoire de leur pays.
Cependant, il serait faux de tirer des conclusions optimistes de cette déclaration isolée. Erdogan a déjà fait des commentaires similaires sur les Kurdes de Turquie, pour ensuite ruiner leurs espoirs en prenant des mesures répressives inattendues contre eux.
Le fait est qu’Erdogan n’est pas le maître de son domaine politique. Les "fascistes" qu’il attaque ne sont pas enterrés dans une tombe ottomane historique, mais ils sont bien vivants dans la société turque, et ils occupent les plus hauts échelons de la hiérarchie militaire et judicaire.
Et pourtant, Erdogan est suffisant astucieux politiquement pour savoir que sa condamnation du fascisme sera entendue en Turquie et en Occident, et qu’il s’attirera ainsi les bonnes grâces et le soutien nécessaires contre ses adversaires puissants dans le pays.
La bataille d’Erdogan contre les fantômes du passé turc est en réalité une bataille de survie politique contre ceux qui, aujourd’hui en Turquie, le regardent, lui et son parti islamique, d’un œil très soupçonneux, et qui sont déterminés à contrer chacun de ses actes, dans le but final de précipiter sa chute.
©Traduction C.Gardon pour le Collectif VAN - 27 mai 2009 - 15:35 - www.collectifvan.org
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON