Erreurs de communication (1)
De toutes les accusations subies par François Fillon, la plus absurde est certainement l’accusation d’hypocrisie, tant rien n’indique qu’il soit plus apte à la dissimulation qu’un attelage de bourrins. Il suffit de revoir son « grand oral » face aux pontes un rien dubitatifs de la Fondation Concorde [1], en mars 2016, pour voir qu’à l’époque déjà, la finasserie n’était pas son fort : d’emblée, il annonce ni plus ni moins qu’un « blitzkrieg » à coups d’ordonnances, de votes bloqués et de 49.3, pour « changer le climat de l’économie et le climat du travail dans notre pays » en reprenant les recettes qui ont fait le succès du quinquennat actuel – sauf que cette fois-ci, au lieu de parler de mesures de gauche, on parlerait de mesures de droite. Sur le plan symbolique, c’est considérable. En effet, pourquoi ne pas appeler un chat un chat ?
« Je veux prolonger la tension politique », jure-t-il. « Pour prolonger cette tension […] il faut organiser un référendum en septembre, qui permet de maintenir l’état de tension électorale dans le pays, et donc de rendre très très difficile la contestation sociale pendant cette période. […] Si on fait tout ça, on crée un choc qui à mon sens, rend très très très [sic] difficile la réaction sociale que vous craignez […] Il y a des secteurs de l’action publique qu’il faut progressivement éteindre, ou transférer au secteur privé. […] Je propose des mesures de diminution de la dépense sociale […] le plus rapidement possible, le plus rapidement supportable [sic] ».
Car François Fillon, c’est d’abord une méthode : tension, choc, diminution, extinction. Le but n’est pas nouveau : faire, encore et encore, des économies (qui diable ne rêve pas d’en faire ?), à condition bien sûr que ces économies ne s’appliquent pas aux membres de la Fondation Concorde, mais au restant de la population. Seul problème, comment s’y prendre pour que celle-ci accepte qu’on lui plonge encore davantage la tête sous l’eau, et qu’on la dépouille du peu qui lui reste ? La réponse de Fillon est tellement évidente que personne n’y avait songé : il suffit de ne pas lui demander son avis. Nouveau champion de la lutte des classes, Fillon la remet au goût du jour, avec une transparence qui frise l’ingénuité. A l’entendre, l’ultra-droite de gauche du tandem Hollande-Valls n’était qu’un hors d’oeuvre, en comparaison de ce qu’il nous prépare. L’autisme va monter d’un cran.
Vue d’ensemble (Les Echos, 27/11/16) :
– Ratiboiser : le Code du travail, les allocations chômage, les effectifs de la fonction publique et le système de santé
– Réduire à néant : la taxation du capital
– Augmenter : la TVA, l’âge légal de départ à la retraite et les places de prison
– Augmenter sans limites (autres que la mort par épuisement) : la durée légale du travail, jusqu’à ce que l’adjectif « légal » ait totalement disparu de la circulation
C’est tellement brillant et novateur qu’on se demande forcément comment il a pu trouver ça tout seul. Chacun le sait maintenant, François Fillon a le goût du travail en équipe, d’autre part il est aussi proche que faire se peut d’Henri de Castries, à l’époque président de l’Institut Montaigne (et PDG d’AXA) : « Souvent classé comme libéral, l’institut […] propose une forte réduction des dépenses publiques notamment en augmentant le temps de travail des fonctionnaires et dans le secteur privé, en rendant dégressive l’indemnité chômage, en créant une franchise de remboursement médical, enfin en réduisant les allocations familiales » (source Wikipedia). Autrement dit, il a suffi à Fillon d’effectuer un copier-coller pour accoucher de son programme, au terme de ce qu’il n’hésite pas à nommer « un travail de fond ». En tout cas s’il y en a un qu’on ne risque pas de taxer de populisme, c’est bien lui, car ceux qu’il a entrepris de caresser dans le sens du poil ne sont pas à proprement parler le peuple, mais les membres éclairés (et d’autant plus anxieux) de son auditoire patronal, qu’il s’évertue à rasséréner en mettant à leur disposition tout l’arsenal répressif de l’État : après son passage, ce pays n’aura plus de république que le nom, il s’y engage solennellement.
Quant aux membres de la France d’en bas, il est temps qu’ils réalisent qu’à force de dépenser tout ce qu’ils gagnent, ils se sont mis tout seuls dans la dèche. Comme c’est le discours qu’ils ont l’habitude de gober depuis des décennies, ils devraient normalement en redemander. Contrairement à François Fillon et à ses proches, l’électeur français vit dans l’angoisse perpétuelle du châtiment, et il est prêt à toutes les expiations pourvu qu’il se sente, enfin, « responsabilisé ». Il pourra justement compter sur Fillon pour l’accuser de tous les maux, et lui annoncer des représailles sans fin – témoin le titre de son livre, rédigé selon lui par sa fille et publié en 2006 : « La France peut supporter la vérité ».
D’un blitzkrieg l’autre
Un pareil amateur de blitzkrieg n’aura pas manqué d’apprécier la vivacité avec laquelle le parquet national financier lui est tombé dessus, suite aux révélations du Canard Enchaîné à propos de son penchant invétéré pour les emplois présumés fictifs. En découvrant que son futur tortionnaire a pu commettre des indélicatesses avec l’argent public, la normalosphère grimpe aux rideaux, prête à reprendre la Bastille : « Toute la famille au gibet de Montfaucon…. Avec visite organisée, cars de tourisme et parkings sans limite de temps », vocifère Jean-Yves Le Roy dans la section commentaires du Monde. « [Des] internautes se positionnent sur le plan de la morale et en appellent à la probité de François Fillon [sic]. « Cet emploi absolument immoral et à la grande limite de la légalité est une honte pour notre droite et ne respecte en rien les valeurs de travail et de probité prônées par le candidat », développe Haralde 37″ – « Comment confier le sort de notre pays à un candidat aussi peu clairvoyant que se révèle être Mr Fillion avec cette affaire, qui s’entête avec un égo insoupçonné , qui nie la volonté des Francais ! Mr Fillion a utilisé, certes comme d’autres parlementaires, sénateurs, notre argent c’est grave, mais lui se présente à la Présidence de la République ! C’est tellement clair il doit renoncer ! » adjure EARTHONE (Le Figaro, 26/01/2017).
Et pourtant… Au lendemain de la chute de Jérôme Cahuzac – qu’on nous avait vendu, sur la seule foi de sa mine peu avenante, comme l’incarnation du « sérieux budgétaire » – Emmanuel Todd expliquait déjà pourquoi « ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est s’imaginer que c’est une exception » : « La notion même d’austérité est véhiculée par des gens qui ne sont pas nets, est véhiculée par des pourris. […] La dette publique, c’est des riches qui ont prêté leur trop d’argent à l’Etat. Donc les gens qui gèrent la rigueur, […] qui veulent maintenir l’Etat en état de servir les intérêts de la dette publique, sont des gens qui travaillent pour les riches. […] La rigueur, c’est quelque chose qui a pour objet d’éviter ce qui apparaîtra un jour comme inévitablement nécessaire, c’est-à-dire le défaut sur les dettes. […] Des sociétés avancées ne peuvent pas fonctionner si de plus en plus d’argent va aux gens qui ont trop d’argent. […] Le mur de la réalité qui est devant tous les gouvernements occidentaux, […] c’est qu’il va falloir effacer des dettes, et il va falloir spolier les riches ».
De tels propos résonnent bien sûr comme un blasphème à nos oreilles vertueuses, toutefois personne n’est étonné d’apprendre que la dette publique, dont on nous les rebat constamment, a « quadruplé en seulement 22 ans » (Le Figaro, 30/09/15). Elle est devenue « structurelle », comme à peu près tout ce qui nous arrive (chômage des jeunes, chute du niveau de vie, violence dans les banlieues, etc.). Elle fait désormais partie du décor, comme le couloir de la mort autour de la cellule du condamné. Dans le même temps, le patrimoine global des 500 Français les plus riches a atteint 460 milliards d’euros, « soit cinq fois plus qu’il y a 20 ans », se félicite Challenges dans son classement 2015 des 500 fortunes de France.
« Le problème de la dette va sans cesse s’aggraver« , insiste Todd lors d’un autre entretien, car « les riches adorent la dette publique » (on l’adorerait à moins), et « les banques ont besoin de prêter ». A y regarder de près, il se pourrait même qu’elles en vivent ? Une chose est sûre : en 2016, dette publique ou pas, la France reste la « championne des pays qui versent le plus de dividendes aux actionnaires », selon Boursorama (21/02/17). Que demande le peuple ?
Selon l’agence Reuters, le principal détenteur français de la dette du pays n’est autre que le géant de l’assurance AXA, qui loue en privé les services du candidat à la présidentielle (Franceinfo 08/02/17), et accessoirement rédige son programme [2]. Par exemple, pour « sauver notre système de santé », AXA et Fillon ont trouvé la solution : lui couper les bras et les jambes (« focaliser l’assurance publique universelle sur des affections graves […], et l’assurance privée sur le reste » – Le Monde, 13/12/16), « une proposition interprétée par beaucoup comme une manière de privatiser en partie le système de santé français » (BFM BUSINESS, 07/02/2017).
Heureusement, il ne s’agit là que d’une erreur de communication, que Fillon s’empresse de rectifier dans Le Figaro du 12/12/16 : « Mes détracteurs me soupçonnent de vouloir « privatiser » l’Assurance-maladie et diminuer les remboursements. C’est évidemment faux ! ». Fort de cet argumentaire imparable, le voici donc reparti comme en quarante, jusqu’à ce que l’enquête du Canard plonge la médiasphère dans la stupeur, et la « droite républicaine » dans l’affolement.
La logique des choses
Bref rappel des faits :
– Contre toute attente et tel le Sauveur entre ses deux larrons, Fillon remporte une primaire qui l’oppose à deux « favoris » dont le premier est un repris de justice notoire (prise illégale d’intérêt, diffamation), et l’autre sous le coup d’une double mise en examen (financement illégal de campagne électorale, corruption active, trafic d’influence, etc., etc.). Tous trois ont travaillé – si l’on peut dire – au sein du même gouvernement, et appartiennent au même parti, dont l’activité prédominante consiste à dilapider les cotisations de ses adhérents à coups de fausses factures, quitte à finir régulièrement au bord de la faillite.
– Son projet de saccage définitif du service public équivaut, de son propre aveu, à une déclaration de guerre contre l’ensemble de la population, et nos pudiques commentateurs ont cru voir une référence assez vintage au thatchérisme de leur jeunesse dans ce qui rappelle plutôt le Chili de Pinochet et de ses Chicago Boys [3]. La Dame de fer, pourtant peu avare de louanges envers son ami putschiste, reconnaissait en 1982 que « certaines des mesures prises au Chili seraient inacceptables en Grande-Bretagne, où il existe des institutions démocratiques » (source Wikipedia). Mais chacun sait qu’en France, celles-ci ont l’habitude de connaître des hauts et des bas – et Fillon, adepte repenti de la « réforme prudente », lorgne ouvertement vers le bas.
Pour reprendre la terminologie d’Emmanuel Todd, nous avons donc affaire au candidat d’un parti pourri (ce qu’on appelle en langage courant une association de malfaiteurs), porteur d’un programme pourri, et nous trouvons le moyen de nous étonner parce que lui-même n’est pas de première fraîcheur : « Francois Fillon n’aurait jamais fait ce score si les électeurs de la primaire […] avaient été informés de l’emploi de Mme Fillon et de ses enfants », assure Pibracdepuis le tréfonds de la Mondosphère. Ils étaient pourtant informés de tout le reste…
Notes
- Présentée sobrement comme un « think tank d’inspiration libérale ».
- Henri de Castries « a travaillé dès 2013 sur le programme du vainqueur de la primaire de la droite et l’a aidé à lever de l’argent pour sa campagne présidentielle. Il pourrait devenir un membre important du gouvernement de Fillon si celui-ci gagne la présidentielle de 2017. »(source Wikipedia) – « Mon engagement ne date pas d’aujourd’hui. Cela fait longtemps que je connais François Fillon et, depuis les cinq années qu’il a passées à Matignon, je suis convaincu qu’il est capable […] de redonner espoir aux Français. » (Le Figaro, 16/01/2017)
- « Peu avant d’être assassiné par la dictature, l’économiste et diplomate Orlando Letelier reproche aux Chicago Boys le fait que leur « projet économique doit être imposé de force. » Il ajoute que ‘cela s’est traduit par l’élimination de milliers de personnes, […] et l’incarcération de plus de 100 000 personnes en trois ans. […] Au Chili, la régression pour la majorité et la liberté économique pour une poignée de privilégiés sont l’envers et l’endroit de la même médaille.' » (source Wikipedia)
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