Escapade parisienne (2)
Pendant que je longeais la grande avenue parisienne, celle qui s’étend de la place Charles-de-Gaulle-Etoile jusqu’à la Concorde, celle que l’on dit être la plus belle avenue du monde et effectivement elle l’est, l’avenue des Champs-Elysées pour, enfin, cracher le mot, mon esprit divaguait et je m’étais improvisé poète. Décrivant, avec des mots simples, sans recherche lexicale ni grammaticale mon état d’esprit et humeur d’alors, j’ai pu accoucher, dans la joie et non dans la douleur, de ces quelques vers.
"En ce début du mois de janvier, à Paris, on s’amuse et on rie.
Pourtant, le temps est vachement gris.
Par le froid, je suis transi
Mais je ne regrette pas d’être à Paris.
Savez-vous qu’à l’appel de Paris
Toutes activités cessantes, j’ai répondu,
Laissant femme et enfants en Algérie ?
Prenant le risque d’être éconduit
Même si, sur moi, j’avais un sauf-conduit,
J’ai pris l’Aigle bleu et, de mon pays, je me suis enfui
Mais pas comme un Harraga qui, en haute mer, périt."
C’est ainsi que pendant que je flânais sur les Champs-Elysées, sans faire attention aux passants, je pondais machinalement mes mots. Les uns après les autres. Spontanément ou parfois accompagnés de mouvements du corps, d’étirements des bras, de claquements des doigts, de mimiques et de gestuelles qui frisaient parfois le ridicule, les mots sortaient sans faire de bruit, sans faire de vagues et allaient se répandre, comme la brume de ce matin-là, sur tout Paris. Mais, j’en étais pleinement conscient, Paris était sourd à ma poésie naissante, à mes vers ridicules. Il s’en foutait royalement de mes jérémiades.
Tel un chorégraphe, je m’exprimais avec mon corps. Et chaque fois qu’un vers me semblait convenir, j’opinais de la tête et le répétais plusieurs fois de suite pour le mémoriser définitivement. C’était comme un jeu d’enfant. Mais à défaut de billes ou de quilles dont, enfant, j’avais usé et abusé, je jouais avec les mots d’une langue qui n’est pas mienne. Mais une langue que nous avons, de ce côté-ci de la Méditerranée, gardé comme un "butin de guerre". Et que, malgré tout, nous essayons d’enrichir aussi. Sémantiquement parlant. Ne risquerais-je pas le lynchage pur et simple si on apprenait que j’étais en train de dénaturer la langue de Molière, me suis-je demandé à hauteur de la FNAC à la vue d’un livre de Simone de Beauvoir dont on venait de célébrer le centenaire de la naissance ? On parlait beaucoup d’elle et, excusez-moi cette petite digression, de son cul qui a fait la une du Nouvel Observateur. Chose que j’ai, cependant, ratée ! J’aurais tant aimé voir le corps nu, même de dos, même retouché numériquement, de cette dame qui a tant donné à la littérature française et qui s’est tant engagée dans le mouvement féministe. Dans l’émancipation des femmes. Non pas pour cultiver le côté voyeuriste qui se cache certainement en chacun de nous, il faut l’avouer, mais par simple curiosité. Et parce que aussi, comme l’a dit quelqu’un "le cul de Simone... c’est beau à voir". La nature humaine est ainsi faite. Pas moyen de la changer. Mais, hélas, sa photo qui n’avait pas, semble-t-il, fait l’unanimité au sein même de la rédaction du Nouvel obs, a disparu de la circulation aussi vite qu’elle était apparue. J’ai beau chercher de vieux journaux dans les poubelles, mais en vain. Aucune trace d’elle. "Tant pis", finis-je par lâcher alors que je m’éloignais à grandes enjambées de la FNAC pour aller griller une cigarette au pied de la statue de Charles de Gaulle.
Simone de Beauvoir, si elle était encore vivante, aurait-elle accepté qu’on étale à la une d’un magazine à fort tirage son corps tout nu ? Ses fesses relookées ? Pendant une bonne partie de la matinée, ces questions-là ne voulaient pas me quitter. Elles me poursuivaient. Elles me collaient aux fesses. Même lorsque j’ai voulu acheter un parfum pour ma femme chez Sephora, pendant que l’hôtesse d’accueil me présentait les dernières nouveautés de leur gamme, je ne voyais ni "J’adore" ni le flacon en forme de pomme de Nina Ricci : mon esprit n’avait d’yeux que pour l’image du corps dénudé de Simone de Beauvoir. Que j’imaginais, évidemment.
Mais, comment, bonté divine, me suis-je demandé, une société qui ne jure que par les Droits de l’homme en est arrivée là ? A bafouer, à fouler du pied les droits les plus élémentaires d’une femme morte depuis belle lurette maintenant ? Une femme dont il ne reste plus ni les fesses ni les os ? Serait-elle, cette femme, en train de se retourner dans sa tombe à l’heure actuelle parce que, dans le but de tirer plus de bénéfices de leur papier, des esprits mercantiles ont exhumé, sans autorisation de qui de droit, une vieille photo de sa jeunesse ? Belle façon de marquer son centenaire ! A qui sera le tour l’an prochain ? "Mais qui suis-je pour parler comme ça ? Qui suis-je pour donner des leçons de morale à une société sortie tout droit du siècles des Lumières ? Les gens qui ont pris la décision de publier cette photo ne sont pas débiles tout de même. Ils ne sont pas non plus animés par le désir de porter atteinte à une des leurs, qui plus était une dame bien pensante ! C’est peut-être leur façon, une façon bien à eux en tout cas, une façon spécifique à eux et à eux seulement comme l’est le Camembert à la Normandie, de marquer ce centenaire et de montrer ainsi leur affection toujours intacte, malgré le temps écoulé depuis sa mort, à cette dame au grand coeur. Ce n’est pas si grave que ça ! Les gens, toutes catégories sociales confondues, ont dû, certainement, prendre cela du bon côté. Personne n’a émis de fatwa condamnant les journalistes de ce magazine au bûcher ou à la damnation éternelle dans les feux de la Géhenne ! Il y eut, peut-être, une discussion à bâtons rompus, avant le bouclage du journal, entre les partisans de la publication de cette photo et ceux qui n’en voulaient pas et puis... rien. Tout le monde a donné son OK. On était certainement curieux de voir aussi la réaction des lecteurs. C’est comme ça que ça se passe en démocratie. La majorité finit toujours par l’emporter. Et la minorité, même si elle n’est pas du même avis, joue le jeu ; elle accepte de fait sa défaite. Ni le rédacteur en chef ni le directeur du magazine n’ont été inquiétés par les pouvoirs publics et encore moins par la justice. La liberté de la presse n’est pas, ici, une simple vue de l’esprit mais elle est réelle. Elle existe bien. De cela, qu’ai-je à dire ? On en est encore loin, nous. L’esprit de "Taghenanet" qui consiste à dire et à affirmer que ’ça ne peut être qu’une chèvre même si elle vole’ n’existe pas chez eux. Ah ! oui, ça c’est une de nos spécialités . Une de nos spécifités."
Absorbé dans mes pensées, j’ai failli être renversé par une moto qui roulait à vive allure et qui a mal négocié son virage du côté du musée du Louvre. C’était ma faute. Sans m’en rendre compte, j’étais pratiquement au milieu de la chaussée alors que le feu pour piéton était au rouge. Cet incident m’a rendu fou de rage. Contre moi-même. Contre ma façon de marcher dans la rue sans faire attention ni aux voitures ni aux piétons, empêtré comme j’étais dans mes pensées à un sou. J’avais envi de griller encore une cigarette pour reprendre mes esprits et retrouver ma sérénité ; mais mon paquet Marlboro était vide. Furieusement je l’ai froissé et jeté par-dessus la balustrade d’un des ponts qui traversent la Seine.
Une loi, interdisant la cigarette dans les lieux publics, venait d’être promulguée. Et appliquée dans toute sa rigueur. Le contrevenant s’expose purement et simplement à une amende de plusieurs dizaines d’euros. Mais, les cafetiers et autres tenanciers de débits de boissons, par crainte de perdre leur clientèle habituée jusque-là à passer des soirées dans une atmosphère enfumée, ont vite trouvé la parade : sur les terrasses, chauffées avec des moyens du bord, les tables, sur lesquelles trônent encore des cendriers incitant ainsi les gens à ne pas renoncer à leurs anciennes habitudes, sont prises d’assaut. Là, on peut griller tranquillement sa clope sans se faire tirer les oreilles ni taper sur les doigts comme un enfant que l’on surprend en pleine bêtise.
Simone de Beauvoir, pour revenir encore à elle, aurait-elle accepté, sans rechigner, cette loi ? N’aurait-elle pas vu en cette loi une régression dramatique du champ des libertés individuelles ? Gageons qu’elle aurait, hargneusement, défait son chignon et arraché ses cheveux pour protester contre cette loi que d’aucuns considèrent déjà comme n’allant pas faire long feu. Pour sûr, elle ne durera pas longtemps. Elle finira par s’éteindre d’elle-même, petit à petit, comme une cigarette mal éteinte que l’on a abandonnée, à la hâte, au fond d’un cendrier, pour ne pas rater son train. Mais en attendant, il faut apprendre à faire avec. Prendre son mal en patience et griller sa clope ailleurs que dans un bar ou autre lieu convivial. Et puis de toute façon "fumer tue". C’est ce que, obéissant à cette nouvelle loi, les fumeurs de mon acabit finissent pas se dire. On se console comme on peut.
A la sortie du métro, à Barbès-Rochechouart, j’ai été approché par des jeunes qui vendaient clandestinement des cigarettes de marque Marlboro. Bien que le prix de ces cigarettes défie toute concurrence, je n’ai pas succombé à la tentation et j’ai préféré m’approvisionner chez le buraliste ou plutôt dans un "bar-tabac" situé à la place Clichy, pas loin de mon hôtel.
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